Interview – Sur les pas de la Grande Dévoreuse avec Claire Sichez et Marine Rivoal


Les César, c’est fini ! Une occasion de souffler et de revenir sur ces courts-métrages qui étaient présents au sein de la présélection mais qui n’étaient pas arrivés dans le dernier carré, alors même que leur forme comme leur fond étaient bien singulier. Aujourd’hui, je reviens sur Iâhmès et la Grande Dévoreuse avec une interview de ses deux réalisatrices, Claire Sichez et Marine Rivoal !

[message]En Égypte Antique, dans le Royaume des Morts, la règle est immuable : si le cœur du défunt est plus léger que la plume il a droit à la vie éternelle, si le cœur est plus lourd, la Grande Dévoreuse le dévore et le défunt sombre dans le néant. Iâhmès est un enfant de 10 ans. Il vient de mourir et refuse le jugement des Dieux. Face à Osiris, Thot et Anubis, il clame justice et subtilise son cœur pour retourner dans le monde des vivants.[/message]

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Claire Sichez : J’ai fait les Arts Déco de Strasbourg avec Marine et après La Poudrière, j’en suis sorti en 2011. Ensuite, j’ai notamment fait plusieurs petits films de commande pour France Télévisions et on a démarré assez rapidement sur Iâhmès et la Grande Dévoreuse, qu’on porte en fait depuis 2011-2012. Voilà, j’ai fait des films et j’écris des scénarios pour des séries. Voilà, c‘est très synthétique ! (rires)

Marine Rivoal : Ben moi, j’ai une formation d’auteur-illustrateur, j’ai fait l’école Estienne à Paris, spécialisée dans le métier du livre, puis j’ai fait les Arts Décoratifs de Strasbourg où j’ai rejoint Claire en troisième anné, où l’on ne s’est pas trop fréquentées puisqu’elle en est partie. (rires) Ensuite, j’ai terminé les Arts Déco en tant que graveuse-illustrateur. Puis j’ai commencé ma vie de freelance. Je fais aussi des albums jeunesse et des dessins de presse. Iâhmès, c’était mon premier projet de film.

Comment avez-vous travaillé au niveau de l’écriture ? Comment cela s’est passé au niveau de la conception, avec cette dynamique commune ?

C.S : On savait qu’on voulait fait un projet ensemble…en fait, on s’était proposé de faire un projet ensemble et Marine m’a dit “Ben ouais, carrément ! Faisons quelque chose…”

M.R : (rires) Ben ouais, je parle comme ça !

C.S : “ Faisons quelque chose, en ce moment je fais des enfants momies ou des crocodiles, au choix ! Tu peux écrire quelque chose là dessus”

M.R : Quand on s’est dit ça, on sortait de l’école et on s’est retrouvé à Paris toutes les deux. Claire rentrait de Valence et moi de Strasbourg. J’avais un job alimentaire au Louvre en tant que gardienne de musée, job que j’ai gardé plusieurs années, ce qui a servi à élaborer le projet. Ce qui est amusant, c’est que dans la tête de Claire c’était tout de suite un film et on n’était pas d’accord là dessus…

C.S : Pour moi, c’était un film et Marine imaginait un livre. On a eu des échanges à ce sujet et j’ai envoyé le scénario au CNC pour aides. Puis je l’ai réécrit toujours en réfléchissant à l’ambiance, donc le scénario ressemblait plus à une structure qu’à quelque chose de détaillé. Je me suis dit qu’il y a des choses qu’on trouverait à l’étape de l’animatique, et ça s’est confirmé par la suite.

Même au montage grâce au travail de Santi Minasi, jusqu’au montage final, il y a des scènes qu’on a retiré, comme les retrouvailles avec la mère. L’histoire a évolué pour devenir plus simple et ça correspondait à notre envie. On s’est laissées des portes ouvertes, par rapport à certains projets qui sont plus demandeurs lors de l’écriture.

Revenons maintenant sur la forme, on a l’habitude de voir le papier découpé sous sa forme naïve, dans des anthologies de court-métrage, dans du pré-school. Est-ce que ce choix était une évidence ou avez-vous tout d’abord expérimenté sur d’autres supports ? M.R : ça, pour le coup, on était tout de suite sûres de l’utilisation du papier puisqu’on vient toute les deux du papier, avec des formations d’illustrateurs. L’utilisation du dessin direct et du graveur, ce n’était pas un choix mais une évidence, comme quoi. Après, il a fallu réfléchir à une technique par rapport à mes dessins, et le papier découpé s’est imposé de lui-même.

C.S : Aussi, cette technique sur transparent est quelque chose qu’on a réfléchi parce que dans le graphisme de Marine, il y a ces jeux de transparence qui sont légers, mais qui sont là et que l’on avait envie de conserver. On a donc essayé de mettre en place une technique qui soit le plus fidèle à l’univers de Marine, et qui faisait également sens avec l’histoire.

M.R : Pour le transparent, on était pas sûre que ça allait fonctionner alors avec les premières aides on a fait des tests de deux-trois minutes…

C.S : une minute quarante, en fait…

M.R : oui, c’est ça. On l’a fait il y a quelques années pour être sûres que l’image soit lisible avec notre technique. On est passées par plein de tests pour avoir quelque chose de suffisamment solide avant de se lancer.

L’univers du court est égyptien, mais ne tombe pas dans le cliché, avec tous les attributs que l’on connaît. Comment avez-vous travaillé les inspirations pour ne pas que ce soit too much ?

C.S : On a tout de suite voulu que ce soit un mélange, et c’était déjà là, dans les premières images de Marine. On avait déjà cette double temporalité avec des gens d’aujourd’hui dans une ville d’aujourd’hui avec des rituels égyptiens. Ces rituels venus d’Egypte Antique ne se placent pas non plus au sein d’une religion spécifique actuelle, ce qui permettait de parler de la mort sans a priori ou d’images négatives, ce qui est le cas quand c’est trop proche de nous. Voilà, ça faisait sens d’avoir quelque chose de très lointain mêlé au contemporain, après Marine, toi, visuellement tu as fait quelques recherches…

M.R : Du coup, autour de nous, on avait pas mal d’amis égyptologues, ce qui nous permettait d’avoir une masse d’informations et une iconographie pas seulement folklorique. Dès le départ, on avait une base de matériau, on a pu s’en détacher et en faire quelque chose d’onirique.

En voyant le making-of, le travail de découpage est énorme. Il y a une scène qui s’est révélée plus complexe à la conception ?

M.R : Pour la découpe, la scène où la Dévoreuse s’effrite, disparaît, s’émiette, on avait une idée mais on a laissé l’animatrice se démerder en lui disant “Il faut que tu trouves un truc”. Donc, elle est arrivé avec les ciseaux et c’était quitte ou double.

Et il y a la scène d’ouverture avec le cortège où l’animateur se demandait comment animer tout ce monde, il a passé une semaine dessus, il devenait fou.

C.S : Après, dans les scènes moins sensationnelles, il y a des plans où la mère se retourne. Comme nos pantins ne sont pas fait pour ça, il a fallu remplacer des éléments de manière discrète, on ne s’est pas donné de limites dans la mise en scène. On s’est dit qu’on pouvait faire faire à nos pantins ce qu’on voulait.

M.R : Il y a des éléments qui étaient liés physiquement dans nos pantins et du coup, c’était un bordel monstre ! Il y avait du remplacement et il fallait dénouer et renouer les fils de fer, c’était pas sympa du tout (rires).

D’ailleurs, comment s’est déroulé l’organisation autour du court à l’intérieur du studio ?

C.S : On a travaillé avec un chef animateur qui nous a aidé à organiser et à répartir les plans qui correspondaient à la sensibilité des animateurs. Ensuite, on avait envie que chaque animateur puisse travailler sur une séquence et une transition pour qu’il puisse prendre plus de plaisir aussi, ce qui a déjà bien orienté notre organisation. Puis avec Marine, on faisait beaucoup de préparation et nous discutions avec les animateurs.

On retouchait les décors, on retouchait les pantins. L’organisation s’est faite de manière intuitive et les animateurs ont été patients le temps qu’on mette les plateaux en place.

M.R : On a choisi une équipe assez cohérente et sensible. Les trois animateurs à qui on a proposé de travailler se connaissaient déjà, ils s’entendaient bien. C’étaient trois caractères patients, passionnés, calmes voire maniaques et ça marchait plutôt bien au sein du groupe. Même les personnes qui s’occupaient de la fabrication, un vrai travail de fourmi. Même si parfois ça nous est arrivé de nous sentir dépassées par un plan surprise, par exemple. C’était en amont un vrai travail de patience !

Pour terminer, revenons sur vos spécialités respectives. Claire, en tant que scénariste, quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui voudrait se lancer dans l’écriture ?

C.S : C’est difficile ! Disons déjà : écrire, et ne pas hésiter à soumettre ses écrits au regard des autres pour avoir une perception différente sur le scénario. Le plus souvent, j’ai l’impression qu’il y a une différence entre ce que les autres perçoivent dans les intentions et ce qui existe réellement dans l’histoire. Avoir un retour permet d’avancer sur les intentions de l’histoire.

Pour Marine, au vu de ton travail d’illustratrice, qu’est-ce que l’animation a apporté à ton travail ? Est-ce que cela a eu un impact sur tes travaux ?

M.R : (rires) Le travail d’animation en soi n’a rien changé étant donné que je n’ai pas animé, vu que je suis resté dans mon domaine d’illustration et dans les discussions avec Claire. Ce qui change vraiment par rapport au travail d’illustrateur freelance, c’est le travail en équipe. En tant qu’illustrateur, on gère un livre, texte et image, de bout en bout, seul. Là, c’était humainement différent, on se retrouve avec une trentaine de personne à gérer et en terme d’énergie, aussi. C’était un marathon émotionnel.

En cela l’animation a quelque chose de fou, compter les uns sur les autres pour aller dans la même direction. En regard, le travail d’illustrateur est celui d’un ermite. De mon côté, je n’ai jamais arrêté de travailler mes images pendant la production du film et j’ai même un bouquin qui est sorti dans le même temps. Je n’ai pas mis ça de côté du tout.

Quels sont pour la suite vos projets en commun, ou personnels ?

C.S : Je travaille en ce moment sur de la série. Avec Marine, on a des projets, mais qui sont à l’état d’envie. Là, on s’accorde un peu de temps, on n’a plus trop envie de se voir (rires). On a besoin de prendre l’air, de faire un break (rires) !

M.R : Oui…oui, on a des envies de livre ou de film mais on sort d’une période tellement dense qu’on n’est pas tout à fait prêtes à se rejeter là dedans la tête la première. Là, il faut qu’on se désintoxe un peu chacune de notre côté, je suis sur un projet de bouquin en ce moment…(silence) mais ça reviendra certainement !

(rires) Vous me tiendrez au courant alors ! Merci pour cette interview !

Merci !

Vous pourrez retrouver Iâhmès et la Grande Dévoreuse en compétition au festival du cinéma éuropéen de Lille et au festival national du film d’animation de Bruz.

Un grand merci à Luc Camili, producteur chez Xbo films, pour la mise en relation avec les réalisatrices.



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