Disney contre-attaque sur le petit écran partie 3 : « Gravity Falls ».


Pour cette troisième et dernière partie sur les nouvelles séries Disney, après Tron Uprising et MotorCity, abordons la déjà populaire Gravity Falls, une série animée qui représente brillamment ce qui manque de plus en plus chez le rival Cartoon Network, à savoir de nouvelles idées, exclues au profits de shows de real tv insipides. Une aubaine pour Disney qui a accueilli à bras ouverts des artistes en quête de nouveaux horizons.

« Chers maman et papa, la maison de notre oncle est dingue ! J’ai trouvé ce truc dans le grenier. Mabel dit que c’est un opossum mais ce n’en est PAS UN ! Envoyez-nous de l’aide et/ou des armes »

Créée sous le giron de Disney par Alex Hirsch (déjà à l’œuvre au storyboard sur la trop brève mais excellente série The Marvelous Misadventures of Flapjack sur Cartoon Network), Gravity Falls a commencé son développement il y a quatre ans avant d’arriver cette année sur Disney Channel. Mais il ne faut pas se gausser de l’arrivée d’une nouvelle série sur une chaîne réservée en grande partie à un public de jeunes filles, car Gravity Falls possède un humour et une narration à double lecture extrêmement poussé par rapport à ce que Disney Channel a pu produire ces dernières années.

« Chers maman et papa, l’été est cool jusqu’ici ! J’ai été piquée par un moustique, génial non ? Notre oncle est bizarre. Que veut dire « travail des enfants » ? Envoyez-nous des cookies ! Bisous, Mabel ! »

Mais présentons tout d’abord le postulat de départ : Dipper et Mabel Pines sont des enfants jumeaux au caractère bien trempé. Lui est plutôt mûr pour son âge et elle avide de paillettes et toujours enjouée. Ils sont envoyés pour l’été chez leur oncle Stuart dans le village perdu de Gravity Falls, dans l’Oregon.

Hélas, celui-ci est bien trop occupé à arnaquer les touristes à l’aide de son commerce sur le paranormal nommé The Mystery Shack qu’à s’occuper d’eux, les laissant régulièrement sans surveillance.

Mabel et Dipper feront plus d’une découverte à Gravity Falls : la première sera un grimoire mystérieux dont la couverture arbore le numéro trois et qui répertorie un grand nombre de phénomènes paranormaux dans les environs. La dernière est que rien n’est ce qu’il semble être, d’autant plus dans ce coin perdu !

L’un des premiers dessins de la série, par Bridgette Barrager

Si Alex Hirsch est le créateur de la série, il est assisté par une équipe de choc. Si Dan Mc Grath (l’âge d’or des Simpsons), occupe le poste de Story Editor, Joseph Pitt est le character-designer (il a travaillé auparavant sur Les Mondes de Ralph et le dernier Winnie l’Ourson) mais occupe également le poste de réalisateur avec John Aoshima (American Dad, Futurama). Michael Rianda (que vous connaissez peut-être grâce à son court-métrage Work) est quant à lui au poste de directeur créatif. Un soin manifeste a été apporté aux décors par le directeur artistique Ian Worrel, brillamment assisté d’artistes tels que Sean Jimenez, Elle Michalka, Bill Flores ou le jeune Josh Parpan.

Côté narration, on peut penser en premier lieu à des séries existantes comme Eerie, Indiana ou X-files et Twin Peaks pour le paranormal, l’humour et la complicité des deux protagonistes trouvent leurs racines dans des évènements plus personnels. En effet leurs rapports reposent en partie sur les souvenirs qu’ont Alex et Ariel Hirsch de leurs vacances de jeunesse dans des campings et à visiter leur grand-père un peu filou appelé… Stan.

On peut par ailleurs émettre quelques remarques après avoir vu quelques épisodes, comme le fait que leur oncle soit extrêmement laxiste, les laissant aller et venir et ne se préoccupant pas ou peu d’eux à moins de les faire travailler gratuitement dans sa boutique. Les enfants peuvent donc aller et venir à leur guise, sortant de nuit faire des explorations dans le village ou en forêt, autant de choses assez inhabituelles dans une série Disney, sans même évoquer les activités illégales auxquelles les enfants sont mêlés à cause de Stan.

Le traitement des débuts de l’adolescence est également abordé avec une délicatesse rare, toujours mêlé à une trame qui permet des gags hilarants. Comme par exemple le fait de basculer du statut enfantin « d’original » au bien plus blessant « bizarre » aux yeux des autres, à ce moment où chaque enfant veut être considéré comme une personne à part entière. Quelque chose de bien difficile à appréhender pour une jeune fille comme Mabel, très excentrique et volubile, à l’image de ses pulls multicolores ornés d’arcs-en-ciel et de licornes. C’est donc également l’histoire d’une maturation de deux enfants, et du fait d’assumer ses différences sans en rougir.

Mais il suffit d’écouter Alex Hirsch pour saisir le vrai message :

« Je pense que les meilleures séries pour enfants ne s’adressent pas juste à eux. Elles possèdent quelque chose qui s’adresse à tous. Ainsi quand vous grandissez, vous devenez de plus en plus fier d’être un amateur de cette série au lieu d’en nourrir une certaine honte parce que c’est normalement adressé à des enfants de sept ans. »

Et c’est absolument le cas de Gravity Falls. Chaque épisode est l’opportunité d’aborder une thématique (Dipper qui veut se faire plus vieux qu’il ne l’est par exemple) et d’y apporter une réponse ouverte positive et drôle. Le tout est bien sûr enrobé de cet humour très particulier à plusieurs niveaux, bien que certain gags complètement absurdes feront différemment rire petits et grands pour d’évidentes raisons de point de vue.

Mais ce sens du détail habite également les personnages de second plan comme le très sympathique Soos, qu’Hirsch estime être son préféré :

« Soos est inspiré par un mec que j’ai rencontré à la fac. C’est un de ces gars qui a eu son diplôme et qui en reste là, squattant le laboratoire de physique en te demandant – Hey mec, tu veux d’un coup de main pour ton travail, pour utiliser l’imprimante ? Il est juste assis là et te remarque si t’as besoin de quelque chose. C’était un mec adorable et il ressemble beaucoup au personnage de la série. »

Niveau technique, la série possède une saveur très « madeleine de Proust », un coté traditionnel qui fera rajeunir les parents à vue d’œil. On est bien sûr loin du niveau d’un long-métrage et certains plans sont statiques mais lorsque les personnages bougent il n’y a pas de mauvaises surprises, les intervalles sont fluides, les personnages ont un poids et sont très bien mis en valeur par les cadrages et les mouvements de caméra. Ce résultat est obtenu par l’alliance entre des techniques d’animations traditionnelles et un outil informatique éprouvé depuis Bernard et Bianca au Pays des Kangourous, ici adapté à la télévision.

Leur aspect physique semble du coup être un compromis entre une esthétique « disneyenne » très mignonne tout en rondeur et l’influence de partis pris plus radicaux de la concurrence, notamment des séries comme Regular Show ou Adventure Time, d’où un côté un peu cinglé dans certaines postures ou des jeux de regards authentiquement débiles (portant la patte de John Aoshima, déjà spécialiste des strabismes hilarants dans Futurama) qui peuvent surprendre les amateurs de l’ancienne école.

Le casting des voix est lui aussi coloré pour Dipper avec Jason Ritter (Freddy VS Jason) et la très excentrique Kristen Schaal (Flight of the Conchords, Trixie dans Toy Story 3) pour Mabel. L’oncle Stan et Soos sont joués par Hirsch lui-même (?!) et l’ado blasée Wendy par Linda Cardellini (Freaks & Geeks). Les personnages secondaires sont assez souvent doublés par des voix connues comme John Di Maggio (Bender dans Futurama, Jake dans Adventure Time),  Jennifer Coolidge (American Pie, les films de Jared Hess) ou Alfred Molina (Rango, Spider-Man 2).

« Combien de fois peut vomir un gnome ? » Cette image montre combien d’étapes furent nécessaires pour conceptualiser le visuel de ce gag.

La musique est au diapason avec un travail très sympathique et dynamique de Brad Breek (également compositeur pour la nouvelle série MTV Awkward et la très prochainement diffusée Randy Cunningham: 9th Grade Ninja) qui a de plus composé un thème principal parfait pour le générique de début. Il est également responsable des fonds sonores et les petites mélodies qui caractérisent les situations et certains personnages. Ses compositions vous resteront dans un coin de la tête, au moins jusqu’à l’épisode suivant et l’orchestration d’une nouvelle situation incongrue, si ce n’est pas tout simplement une chanson improvisée par l’un des personnages !

La série s’élève donc à un niveau technique et de divertissement assez rare et est à placer aux côtés de Adventure Time et Phineas & Ferb dans le trio de tête des séries animées pour la jeunesse, sa force comique la rendant également attirante aux yeux des aînés, un défi traditionnellement difficile à relever, à fortiori sur une chaîne telle que Disney Channel.

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Il me tarde donc de voir Gravity Falls envahir les écrans des télévisions françaises. La série mérite de rencontrer le public en dehors des occupants du territoire américain, déjà accro aux aventures des jumeaux Pines au vu des audiences historiques pour Disney Channel. Mais étant donné l’humour et l’agencement de certaines blagues, la traduction risque d’être parfois épineuse avec à la clé une inévitable perte de sens. C’est donc un défi pour les traducteurs et les adaptateurs, mais la série le mérite largement.

Elle sera d’ailleurs nommée en France Souvenirs de Gravity Falls et le preview sera diffusé le 29 août 2012.


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