Interview – « On recherche toujours l’étonnement. » Dominique Hoff, de la Fondation Gan


Présente depuis quatre ans pour remettre un prix spécial à un film en Work in Progress au Festival international du film d’animation d’Annecy, la Fondation Gan pour le cinéma joue un rôle qui a son importance sur le projet lauréat. Nous savons désormais que l’heureux élu de cette année est l’adaptation en long-métrage de Petit Vampire de Joan Sfar, mais ce qui nous intéresse ici, ce sont les rouages de ce processus de sélection. Retour au cœur de la machine avec sa déléguée générale, Dominique Hoff.

Pouvez-vous vous présenter, la fondation Gan et vous-même, pour les lecteurs et lectrices qui ne vous connaîtraient pas encore ?

Je suis Dominique Hoff, la Déléguée générale de la Fondation Gan pour le cinéma, un organisme qui existe depuis trente ans et a principalement deux missions : l’aide à la création et l’aide à la diffusion. La première nous permet de soutenir des projets de films de fiction à partir du scénario jusqu’à leur diffusion en salle, et la seconde prend le relais pour soutenir le film au moment où il est prêt à arriver au public.

La première aide est essentiellement donnée pour des films en prise de vues réelles, des films qui ont des sujets qui font que leur mise en production est rendue plus difficile. Ici, à Annecy, c’est la seconde aide qui est mise en avant.

Car à Annecy nous donnons un prix, le Prix Fondation Gan à la Diffusion, pour soutenir d’autres formes de cinéma, ce qui fait que nous venons voir les films à l’état de projet, à savoir ceux qui sont en Work in Progress, et nous attribuons les prix en jugeant leur scénario et ce que nous pouvons voir durant ces sessions pendant le festival.

Croc Blanc, lauréat 2016 du prix de la Fondation Gan à la diffusion

Je crois me souvenir que vous avez l’année dernière récompensé Croc Blanc (réalisé par Alexandre Espigares et distribué en France par Wild Bunch, ndlr)…

Tout à fait, c’est la quatrième année que nous donnons un prix à un film en « Work in Progress feature » car il y a désormais, depuis l’an dernier, des « Work in Progress télévision ». Nous avons commencé en 2015 avec Adama, puis nous avons primé Ma vie de courgette, l’an dernier Croc Blanc et nous démarrons dès demain (l’interview a été réalisée lundi 12 juin, ndlr) pour huit sessions de Work in Progress.

Ce qui est important de savoir, comme c’est une aide à la diffusion, c’est que l’enveloppe d’argent que ce prix confère va au distributeur français qui va s’engager sur ce projet-là. Comme c’est une compétition internationale, certains projets qui viennent ici n’ont pas encore de distributeurs et sont justement en recherche d’un partenaire. Il y aussi des films américains qui ont déjà trouvé leur distributeur d’office, grâce à leurs antennes nationales ou aux partenariats sur la durée, ce qui fait que l’on peut resserrer notre choix du projet à soutenir.

La Fondation s’intéresse donc à toutes sortes de films d’animation mais il est vrai que nous avons peut-être un goût plus prononcé pour les œuvres plus adultes, ou des films tout public mais qui ont plusieurs lectures, comme Courgette qui avait cette portée de plaire à la fois au petits mais où les grands pouvaient aussi s’y retrouver.

Adama, lauréat 2015 du Prix Fondation Gan à la Diffusion.

Adama également, puisqu’il y avait cette histoire de ce jeune garçon africain qui part retrouver son frère dans les tranchées de Verdun lors de la Première guerre mondiale, un sujet qui parle évidemment aussi aux adultes. Pour Croc Blanc, c’est le côté universel de l’histoire, avec lequel nous avons tous grandi, qui nous a attiré.

Et donc, cette année, il me tarde de découvrir les différents projets proposés.

Et c’est ce qui est intéressant, je pense : comment parvenez-vous à hiérarchiser vos choix, à définir le lauréat et vous mettre d’accord sur ce dernier, et selon ce que vous venez de m’exposer ?

Oui, nous essayons de respecter une certaine cohérence par rapport au catalogue des films que nous avons déjà soutenu depuis trente ans puisqu’en les examinant ce sont des films qui ont une certaine ambition artistique, un propos, un univers fort. Il y a bien sûr des thèmes universels mais ce qui nous intéresse est que ça touche le plus grand nombre avec des idées fortes.

L’idée est d’aider des films qui ne sont pas formatés ou standardisés. On recherche toujours l’étonnement, la qualité formelle bien sûr mais aussi la qualité intellectuelle. C’est peut-être bateau de dire ça, mais nous apprécions aussi les films qui ont une ouverture sur le monde et c’est par le cinéma que l’on peut avoir des opportunités de s’intéresser à d’autres cultures.

Que le point de vue du film sur le monde soit pertinent…

Oui, prenez Persepolis, par exemple, qui a reçu à l’époque un prix spécial de notre part grâce auquel les gens ont découvert cette époque de l’Iran, la transition entre le régime du Chah et la révolution islamique à travers le personnage de Marjane Satrapi puisqu’on est face à une autobiographie. Par ça, elle nous a ouvert tout un pan de l’histoire qui est ignorée en Europe. De même, pour Le chat du Rabbin, que nous avions soutenu, on questionne avec humour les religions, ce qui est toujours un thème adulte bien que sous-jacent.

« W. ou l’oeil d’un long nez » est la source du projet de long-métrage Mister Wu, de Patrick Zachmann

Nous avons aussi donné un prix spécial en 2015 à un photographe de l’agence Magnum, Patrick Zachmann pour son projet Mister Wu, inspiré de sa propre histoire durant laquelle il s’était lié d’amitié avec un journaliste chinois. L’originalité de cette histoire d’amitié et la particularité de ce film est qu’il est hybride, mélangeant prises de vues réelles, animation et photographie. On retrouve donc cet inattendu artistique et cette ouverture vers le monde que j’ai évoqué auparavant. Ce qui ne nous empêche pas d’aimer rire ! Nous n’avons pas eu l’occasion de les récompenser jusqu’ici mais nous adorons l’humour de Patar et Aubier et de leur saga Panique au village, très surréaliste…

Mais revenons aux modalités, et comment nous sélectionnons les films ici, à Annecy. Je suis entourée de l’équipe de la Fondation, nous sommes trois et nous assistons aux différents Work in Progress, puis nous échangeons ensemble afin de déterminer le lauréat. C’est un travail collectif qui se doit d’être cohérent à ce fameux catalogue dont nous avons parlé.

C’est intéressant que vous parliez de l’aide à la diffusion, car spécialement aujourd’hui, dans les cinémas en France, de plus en plus de films sortent, et bien sûr des films d’animation puisque nous sommes l’un des pays les plus prolifiques sur ce medium, et ça devient difficile. Non pas difficile de les faire, mais difficile de les voir. La Fondation, par l’intermédiaire de ce prix, intervient-elle auprès des exploitants. Est-ce que ça permet au film, grâce à ce prix, d’avoir plus d’impact ?

C’est peut-être un peu tôt pour le dire pour ce qui concerne ce Prix Fondation Gan à la Diffusion, mais nous en donnons un similaire lors de la Semaine de la Critique du Festival de Cannes pour les films en prise de vues réelles, et en plus de la somme donnée, nous faisons tout un travail d’accompagnement. Nous avons en France un réseau qui s’appelle le réseau des agents de Gan assurances qui sont des formes de tremplins, où ces agents peuvent inviter leurs clients durant un événement créé pour l’occasion qui permettra de montrer le film, sans parler du côté outil de relation publique que peut jouer la fondation au sein d’un groupe donné.

Ensuite, nous avons toute la panoplie de communication numérique, Facebook, Twitter, etc. donc une fois que l’on accompagne un film, on va déployer toute une communication sur nos supports, nous concevons de petits sujets filmés. Pour Adama ou Croc Blanc, nous sommes allés dans leurs studios tourner des images pour concevoir des coulisses de la fabrication de ces films.

Ces présentations de quatre à cinq minutes sont mises à la disposition du producteur ou du distributeur pour construire un premier bouche à oreille. Donc tous ces petits outils sont aussi une forme de mécénat en nature que l’on apporte en plus de l’aide financière débloquée par le prix. Cette somme de 20.000 euros est donnée au distributeur, avec comme conseil de faire une action qu’il n’aurait pas pu mettre en place dans son budget initial. Il est sûr que ce n’est pas une grosse enveloppe quand on sait combien coûte un film tout comme sa promotion, mais c’est un coup de pouce.

Quant à l’aura même du prix que vous évoquiez dans votre question, les exploitants semblent tendre vers une reconnaissance des films lauréats comme un gage de qualité pour le film.

Mais ce n’est pas tout, puisque la fondation a aussi contribué au livre de Laurent Valière, “Cinéma d’animation, la French Touch”. On change ici de support. Comment ça s’est déroulé ? Était-ce différent ?

Oui, voici encore une autre manière d’accompagner le cinéma d’animation. C’est ici parti de Laurent Valière, que je connais depuis plusieurs années. Nous nous sommes croisés à Annecy il y a trois ans où il m’a parlé de son projet de livre et c’est là que je me suis dit qu’il serait bien que l’on aide à ce niveau, l’éditeur La Martinière s’étant engagé dès le départ, rejoint plus tard par Arte éditions.

Pour nous, c’était cohérent d’accompagner ce livre puisque c’est un ouvrage qui peut servir de référence… L’avez-vous feuilleté ?

Oui, mais juste feuilleté. Je compte le lire prochainement.

On y trouve des chapitres qui retracent l’histoire de l’animation en 120 ans, mais ceux-ci sont entrecoupés d’interviews de réalisateurs, d’animateurs, de producteurs, donc c’est à la fois un livre qui replace les films dans leur contexte historique, ce qui est très intéressant mais c’est aussi très vivant car vous avez Marjane Satrapi qui vous explique ce que c’est qu’un scénario, Claude Barras qui vous explique comment on anime une marionnette en stop motion, Didier Brunner qui revient sur l’origine de Kirikou… Nous nous sommes dit que ce type d’ouvrage de références va rester, et c’était une manière de continuer à être impliqué dans ce domaine.

C’est donc quelque chose qui pourrait se reproduire si l’occasion se présente ?

Vous me tendez la perche ! (rires) Cette année étant celle des 30 ans de la Fondation, l’époque n’est plus à faire des grandes fêtes, même si c’est sympathique de réunir des professionnels. Mais si nous faisons ceci à une échelle plus modeste, l’important est que l’action aille aux auteurs, aux réalisateurs et dans le cadre de cet anniversaire, nous sommes allés sur ce livre, “Cinéma d’animation, la French Touch” et nous avons également commandé un visuel à Michaël Dudok de Wit que nous avions récompensé d’un prix spécial pour La tortue rouge. Ce visuel devait représenter la Fondation métaphoriquement, si l’on devait la visualiser, et Michaël a fait ces éléphants qui cheminent.

Ça peut faire rire chez nous, en occident, car l’éléphant peut faire penser à la lourdeur, mais si on s’intéresse à la symbolique asiatique de l’animal, c’est la sagesse, la mémoire, la bienveillance… Autant de valeurs que nous aimons, et surtout, c’est le cheminement, c’est la longue route de la création et en même temps l’astuce de Michaël a été de les faire en petits groupes, avec ces petits éléphants qui sont les jeunes lauréats et en arrière les plus gros, plus anciens de la fondation, qui les accompagnent dans ce cheminement créatif.

Pour revenir un instant à Laurent Valière, nous allons accompagner son livre pendant un an, le mois de naissance de la Fondation étant en mai puisqu’elle est née au Festival de Cannes en 1987 et tout ça va se poursuivre jusqu’en mai 2018 où nous dévoilerons un nouveau projet qui sera annoncé en début d’année prochaine et qui clôturera cette année anniversaire. Aussi, dès cette année, les lauréats de la Fondation recevront un trophée, et ce à partir de cette fin 2017.

Très bien, je vous remercie d’avoir pris votre temps pour cet interview.

Merci à vous. Tous mes remerciements à Dominique Hoff pour sa disponibilité et à Mathilde Walas pour l’organisation de cet interview.


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