Tous en scène s'affiche

Interview – Garth Jennings, réalisateur de « Tous en scène »


Moins de 48h après avoir vu Tous en scène, une excellente surprise au demeurant, je me tenais face à son réalisateur Garth Jennings. L’occasion de réviser mon anglais, mais surtout de l’interroger sur le processus de création de son premier film d’animation.

Buster Moon est un élégant koala qui dirige un grand théâtre, jadis illustre, mais aujourd’hui tombé en désuétude. Buster est un éternel optimiste, un peu bougon, qui aime son précieux théâtre au-delà de tout et serait prêt à tout pour le sauver. C’est alors qu’il trouve une chance en or pour redorer son blason tout en évitant la destruction de ses rêves et de toutes ses ambitions : une compétition mondiale de chant…

Vous avez tout un historique, à traiter des concepts impossibles à traduire dans les films ou pourrait-on dire quelques noix dures à craquer, comme pour H2G2 : le guide du voyageur galactique, Son of Rambow et maintenant Tous en scène ! Est-ce qu’Illumination vous a approché parce que vous êtes un fameux «casse-noisettes» ?

Garth Jennings : Oui. Je suis fou n’est-ce pas ? Je peux tout de suite vous dire quelque chose, c’est que j’ai fait de la presse ici et en Amérique, et je n’ai jamais eu de question comme ça auparavant. C’est fantastique. Dire que je suis un un casse-noisettes ! Ouais, probablement. Je sais que Chris Meledandri a vu Son of Rambow, qui est un film que j’ai fait il y a longtemps maintenant, un film anglais indépendant en prise de vue réelle, et qu’il a dit avoir ressenti…  Vous savez, il y a une atmosphère dans ce film, un ton, de l’humour et de l’émotion, c’est quelque chose qui a lui plu. Et je crois qu’il avait vu certaines de mes vidéos aussi, qui peuvent être très étranges pour certaines mais ont souvent, je l’espère, du coeur. C’est pourquoi il m’a rencontré, et nous nous sommes bien entendus.

Mais je suppose que vous avez raison. Un casse-noisette c’était ça ? Écoutez, on peut en rire mais c’est vrai, c’est ce qui est bon dans votre question. Vous devez être dingue pour faire ça, parce qu’autrement… Je veux dire, ça m’a pris 5 ans de réaliser le film, c’est fou. Vous passez vos journées sur une histoire d’animaux qui chantent, et j’ai adoré, mais je suppose que c’est assez bizarre. Nous avons déménagé de Londres, ma femme mes quatre fils et moi, pour nous installer à Paris ces dernières années. C’était fou, mais nous l’avons fait et cela a été fantastique. Alors, la réponse est OUI.

Beaucoup de réalisateurs de films d’animation fonctionnent en duo…

GJ : Oui, non, je ne fais pas ça. Je travaille seul. J’ai un co-réalisateur, mais il n’agit pas comme tel. Si c’était un film live, il serait comme un assistant-réalisateur qui aide à l’organisation, fait des tâches de fond etc. Ici, mon co-réalisateur était plus proche de ce rôle, il était à la tête de l’équipe de storyboard. Il faisait d’autres choses, mais c’était le cœur de son activité. Parce que je ne peux travailler avec quelqu’un… Ce n’est pas une question de pouvoir, c’est juste que je ne peux pas dire « je pense que ça devrait être bleu » et avoir quelqu’un qui me dit  « et pourquoi pas rouge ». Lequel choisissons-nous ?! C’est différent pour beaucoup de gens dans l’animation, parce qu’ils sont habitués à ce genre de relation où vous pouvez rebondir, partager le travail. Le problème est que je n’ai pas l’expérience pour le faire. Donc, cela signifie que je suis épuisé tout le temps !

(Regardant l’album de la bande originale que j’avais posé sur la table.) Oh vous avez l’album français. Il a une bonne tête, c’est une très jolie jaquette. Je ne l’avais pas vu fini. C’est sympa de voir ce qui est fait de votre film, il est très beau. Désolé, je vous fais perdre votre temps, reprenons !

Il y a une scène dans le film où Buster parle aux fillettes d’un groupe japonais kawai, qu’a-t-il dit pour les offenser ?

GJ : Eh bien c’est une très bonne question parce que j’ai passé tellement de temps à travailler sur ça ! C’est encore une fois un exemple de pourquoi je suis un casse-noix. Je voulais faire une blague que seuls les gens qui parlaient anglais et japonais comprendraient. Parce que la grande chose à propos des langues c’est que vous pouvez dire quelque chose, mais si vous le prononcez juste un peu de travers, le mot signifie quelque chose de très différent. Donc j’ai passé beaucoup de temps à travailler sur différentes phrases en anglais avec un traducteur japonais.

De sorte que quand Buster le dirait, s’il le disait un peu mal, ce serait insultant. Si vous étiez japonais, vous penseriez « oh je sais ce qu’il essaie de dire », mais je sais aussi pourquoi Buster a pris une gifle en retour ! Tout ça a pris une éternité : deux traducteurs différents, puis Matthew McConaughey a dû l’enregistrer trois ou quatre fois pour le faire correctement.

Je voulais garder un secret que seules les personnes qui ont compris les langues sauraient. Mais croyez-moi, ce qu’il veut dire c’est « vous êtes très talentueuses, s’il vous plaît rejoignez le spectacle ». Et il dit cela en japonais, mais parce qu’il ne le dit pas parfaitement, ça devient quelque chose de très insultant. Là, je ne vais pas vous dire ce que c’est. Vous allez devoir le découvrir par vous-même !

Je vais avoir du mal avec le japonais, mais j’essaierai !

Buster ressemble parfois à un coach de The Voice, donnant des conseils à ses poulains. Est-ce vrai que vous envisagiez à l’origine une histoire sur les juges de ce genre d’émissions ? Pourquoi avoir changé d’avis ?

GJ : La chose la plus excitante à propos de ce projet a été les personnages. Chris Meledandri et moi avons eu une petite conversation dans un hôtel à Londres, c’était juste 45 minutes, mais j’ai été enthousiasmé par l’idée de personnages vrais. Des personnages qui avaient une vie normale comme nous et qui essayaient de s’en échapper ou de se connecter avec la partie de soi qui a été reniée.

C’est LE truc intéressant quand vous faites un film. Mais parce qu’on pensait utiliser un concours de chant, on a commencé par penser «ok, les caractères sont des juges et …». Mais vraiment rapidement, je veux dire dès le premier jet du scénario, on a réalisé qu’on était pas intéressé par une émission de télévision en réalité. Je suis même allé voir le tournage de la version anglaise du X-factor. Mon ami était réalisateur alors j’en est profité, et je me suis rendu compte que c’était incroyable, mais que je ne voulais pas du tout ça dans mon film. Je n’étais pas intéressé par les juges, mêmes s’ils sont drôles à regarder.

Chris et moi voulions que le film soit plus centré sur les personnages dans le spectacle, et sur le gars qui gère ce spectacle, avec son propre lot de problèmes. Et on s’est débarrassés de tout ça, c’est devenu un théâtre, et même à la fin du film il n’y a pas de compétition. Elle a disparu avec le théâtre en ruines. C’est ce que vous faites chaque fois que vous écrivez quelque chose, vous écrivez avec beaucoup d’éléments, puis vous vous débarrassez des trucs qui n’ont pas besoin d’être là. Et vous vous concentrez sur la chose qui est le cœur, l’âme, l’intérêt. C’est ce que nous avons fait avec Tous en scène, nous nous sommes débarrassés des trucs que nous ne voulions pas et nous sommes tout simplement concentrés sur les vies des personnages.

Comment avez-vous réussi à garder un équilibre entre les six histoires ? Est-ce que ça a été difficile ?

GJ : Vous posez toutes les bonnes questions. J’ai vraiment eu du mal, là j’ai l’air détendu quand je vous parle, mais c’était un cauchemar. Ça a vraiment vraiment été la chose la plus difficile que j’ai jamais eu à écrire. Parce que vous essayez de raconter une histoire qui a une profondeur émotionnelle, mais en fait vous en avez six à raconter, et chacune évolue, ça doit ressembler à la vraie vie. Prenons Ash par exemple, quand elle rentre à la maison un soir, fatiguée, vous devez voir que sa vie a suivi son cours. Vous n’avais pas l’impression que sa vie n’a pas bougé quand vous y retournez, sa vie vous est familière. Alors quand elle trouve son petit ami avec un autre porc-épic, vous êtes investi dans le moment, vous ne vous demandez pas « Qui sont ces types ? Quel est cet endroit? « .

Honnêtement, c’était tellement naïf de ma part quand j’ai commencé à dire « nous aurons six personnages dont on suivra les histoires ». Et puis, en essayant de sauter de l’une à l’autre… Oh mon dieu. C’est vraiment difficile, surtout que ce vous essayez de faire en réalité, c’est d’amener tout le monde à s’attacher à vos personnages. Pour qu’à la fin du film vous vouliez vraiment, vraiment, qu’ils chantent, que vous les encouragiez réellement “allez allez allez !”.

C’est une des choses qui est bizarre sur le film, cette construction avec six histoires. Je ne pense pas que cela fonctionne pour certaines personnes. On ne peut pas satisfaire tout le monde. Mais j’espère que pour ceux qui apprécient, le film les amène vers un final qui est amusant, émotionnel. Il y a beaucoup de déchets dans le bâtiment, tant qu’il aurait fallu appeler Rubbish Removal service in Brisbane pour tout évacuer.

C’est le cas.

GJ : Bien, content que ça vous ait plu !

Comment avez-vous écrit les personnages ? Quand avez-vous choisi quel animal ils allaient être ?

GJ : Comment ai-je choisi les personnages? Ce qui est intéressant, ce sont les personnalités et les situations. Vous voulez qu’ils fassent réels même si ce sont des animaux. Donc Rosita est basée sur ma femme, qui n’était pas ravie que j’ai choisi d’en faire un cochon ! Ma femme est magnifique mais j’adore les cochons depuis que j’ai vu Babe, ils ont quelque chose de… Bref. Nous avons eu quatre fils, et elle a eu du mal à reprendre le travail. Tout va bien aujourd’hui, mais ce qu’elle a traversé, notamment une crise de confiance en soi… Ca m’a inspiré pour Rosita. Beaucoup de personnages sont basés sur mes ressentis et j’espère que d’autres personnes peuvent s’identifier à eux aussi.

J’ai grandi en Angleterre où il y avait beaucoup de papas comme celui de Johnny, qui voulaient vraiment que leurs fils soient exactement comme eux. C’est quelque chose que l’on retrouve partout où on va, dans toutes les cultures. Donc ça a commencé avec une personnalité humaine, et un scénario humain.

Pour choisir les animaux, l’idée était de caricaturer une personnalité humaine, pas de prendre un animal qui a naturellement ce trait de personnalité. Parce qu’un éléphant n’est pas timide, mais si vous avez un personnage qui est très très timide, c’est génial d’en faire le plus grand personnage de tous. Sa timidité est énorme mais elle ne peut pas se cacher, même avec ses grandes oreilles, parce qu’elle est gigantesque. Et puis le personnage le plus méchant du film en serait aussi le petit personnage le plus petit. Vous voyez ce que je veux dire ? Les animaux ont été choisis pour accentuer les personnalités. Si vous avez le plus grand des papas, et que son fils a un côté sensible qu’il doit lui cacher, alors c’est tout vu, on en fait les plus forts des animaux qui soient. Je ne connais pas un animal plus fort qu’un gorille. Peut-être qu’un serpent comme un python peut vous serrer à mort, mais je n’ai pas envie de voir cette chose conduire une voiture !

C’est drôle la rapidité avec laquelle … Je vous promets que si pensez à vos amis ou votre famille, et vous essayez de les imaginer en animaux, vous allez le faire en cinq secondes. Vous aurez des idées pour chacun d’entre eux juste comme ça. C’est pas difficile de penser aux animaux, mais il est très difficile de les designer. C’est là qu’Eric Guillon, mon character designer, a fait un travail fantastique en prenant une idée ridicule comme un porc-épic punk et la faire fonctionner. Vraiment, ça ne fonctionne que si vous avez un bon character designer, sinon votre idée est juste une idée idiote.

Avez-vous parlé d’anthropomorphisme avec les deux réalisateurs de Comme des bêtes, en comparant vos points de vue sur le sujet ?

GJ : Non ! Nous ne parlions pas de nos films et designs respectifs. Quand je suis venu à Paris travailler sur Tous en scène, ils réalisaient déjà Comme des bêtes, et je ne les ai pas rencontré. Ils ne savaient pas ce que nous faisions, ils avaient seulement entendu parler du titre provisoire, “The lunch project” parce que nous en parlions pendant le déjeuner. Pendant plus de trois ans, il a été appelé le comme ça, et ils se demandaient ce qu’était ce film sur la nourriture ! Je pense que parce que Chris Meledandri, qui dirige le tout, pouvait voir s’il allait avoir un problème. Mais dans Comme des bêtes les animaux agissent comme de vrais animaux de compagnie alors que dans Tous en scène ce sont des des gens ordinaires qui se trouvent être des animaux.

J’ai l’impression que les animaux anthropomorphiques sont utilisés dans un grand nombre de genre dans les films d’animation: arts martiaux avec Kung Fu Panda, western avec Rango, buddy movie avec Zootopie et maintenant musical avec Tous en scène. Et après ? Science-fiction ? Horreur ? Comédie romantique ?

GJ : Quand vous étiez petite, vous aviez au moins dix livres d’enfants où les personnages principaux étaient des animaux. Donc nous avons tous grandi en sachant raconter des histoires avec des animaux, ce sont de bonnes caricatures. Vous savez quoi ? C’est juste ce que vous dites. Je suppose qu’on pourrait faire de la science-fiction. Elle est souvent utilisée pour raconter des histoires sur où nous en sommes avec la société actuelle, pour illustrer une caricature de cette société, comme dans Black Mirror. Je n’y ai jamais réfléchi parce que je pense qu’il est tout aussi naturel d’utiliser des animaux pour raconter une histoire que d’utiliser une guitare électrique pour jouer une chanson, c’est un outil, un instrument.

Je ne peux pas m’empêcher de penser à la destruction du théâtre. C’était très impressionnant, je ne me souviens pas avoir vu quelque chose comme ça en animation. N’avez-vous pas fait pleurer les animateurs quand vous avez lancé l’idée ?

GJ : (Explose de rire) Pleurer parce qu’ils étaient tristes ou pleurer parce que c’était trop difficile ?!

Parce que c’était trop difficile !

GJ : C’était très difficile, mais parce que mon équipe était très passionnée par le film, ils l’ont vu comme un challenge. Je les voyais tous les jours quand ils travaillaient dessus, et c’était beaucoup de travail, mais ils en étaient très fiers. Je pense que ça le truc, ça ne dérange personne de faire quelque chose de dur si ils pensent que ça va être bien, que ça vaut la peine. Vous escaladerez la montagne si vous pensez que la vue sera incroyable. Et je pense qu’ils ont cru dans le film et que cette séquence serait une sacré surprise pour les gens. « Le théâtre est détruit, bordel de…?! » Vous voyez. Ça ne fonctionne que si ça a l’air réel et dramatique. Et bien sûr, c’est impossible ce que nous faisons, inonder le théâtre avec des calamars puis tout faire s’effondrer. Mais ils ont réussi à rendre ça réaliste. Alors ils ont peut-être pleuré quand je n’étais pas là, mais ils sont très fiers du résultat final, tout comme moi.

C’était vraiment très impressionnant.

GJ : Je vous remercie, je leur dirai, ils apprécieront.

Êtes-vous prêt à faire un autre film d’animation ?

GJ :  Est-ce que je suis prêt ? Je suis prêt à dormir ! J’aimerais avoir au moins une autre occasion; vraiment, parce j’ai l’impression que je viens seulement d’apprendre comment faire. Non seulement ça, mais vous savez, quand j’ai déménagé en France je me suis fait une toute nouvelle famille, une famille de travail. Donc j’aimerais retravailler avec eux en tant qu’équipe, ce serait formidable. J’espère !

Nous attendrons ! [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=DPvTCtQFsUs[/embedyt]


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