Interview – « Mais tu vas le faire, ton film ! » Chris Prynoski, Antonio Canobbio et Ben Kalina pour Nerdland.


Trois ans après la longue interview de Chris Prynoski ici même lors d’Annecy 2013 où il avait évoqué ce projet de premier long-métrage pour Titmouse, nous revoici en interview avec lui, mais il n’était pas seul ! Deux autres piliers de ce studio indépendant l’ont accompagné dans l’exercice : Antonio Canobbio et Ben Kalina, respectivement directeur artistique et producteur sur Nerdland, présenté en séance de minuit lors de cette présente édition du festival d’Annecy.

Nerdland, enfin ! Comment avez-vous trouvé l’accueil du film ici, à Annecy ? Chris Prynoski : Incroyable, super ! Les réactions et le public étaient vraiment cinglés.

Antonio Canobbio : Ça fait vraiment plaisir, ça me fait aimer le film encore plus désormais.

Chris, quel a été le plus gros défi, depuis ces quatre ans où vous nous avez parlé du film ?

Chris Prynoski : Ce n’est pas une question facile. On était en train de faire le casting à l’époque, peut-être. La production en tant que telle s’est étalée sur ces deux dernières années, 2014 et 2015, une fois qu’on a eu le script. Andrew Kevin Walker (le scénariste, ndlr) a demandé à faire des changements. Il avait des idées très spécifiques, sur ce qu’il aimait dans l’histoire, sur ce qu’il voulait changer, et il voulait collaborer là-dessus, donc il y a des éléments qui étaient toujours en flux. Des choses ont changées lorsqu’on est passé à l’étape du storyboard, pas mal d’éléments ont sauté, à partir de là on voulait que ça avance vite, jusqu’à ce qu’on voit les premières animatiques, où on s’est dit : “On est parti assez lentement, on ne va pas réussir à le faire.” alors on a passé la seconde. Rétrospectivement, à y regarder de plus près, j’aurai rythmé le film différemment.

Antonio Canobbio : le fait est que le scénario était aussi prévu pour du live. Et il y a fallu transcender ça pour que ça passe en animation. Car il n’y pas de raison de faire ça, sinon en faisant quelque chose de visuellement magnifique, que ça aille au-delà de la réalité.

Chris Prynoski : Et ça nous a aussi donné le loisir de pouvoir animer les trucs les plus stupides possibles, difficiles à faire en live. On a pu revenir sur certaines séquences, dont une en particulier, où Antonio a voulu rendre les choses plus surréalistes.

Antonio Canobbio : Et c’était le point de le faire en animation. Le médium permet de raconter l’histoire de manière bien plus divertissante.

Et on a des raccords bien fous, des séquences de rêves, le découpage du film est au cordeau…

Chris Prynoski : ça vient de la télévision, où il est important de mettre en place les choses rapidement.

Le choix de la personne à mettre au poste de réalisateur semble s’être fait assez tard sur le projet.

Chris Prynoski : Pendant un certain temps, je ne savais pas que j’allais le réaliser. Je me demandais à qui j’allais bien pouvoir le refiler, alors même que j’étais la personne qui portait le projet. Antonio n’arrêtait pas de me demander : “Bon, tu le fais ou pas, sinon il faut que tu choisisses quelqu’un !” Et il a fallu que je mette des choses de côté pour pouvoir le faire, et à la fin, sur la dernière année j’étais bien plus concentré sur le film. J’aurai souhaité être plus concentré sur le début (rires).

Antonio Canobbio : Oui, c’est vrai. Mais ça t’as permis de laisser certaines idées arriver à maturation, de couper tel ou tel morceau, et tel ou tel personnage, et tu avais le studio à gérer en même temps, ce qui n’est pas facile car le studio a beaucoup de projets, il devient plus grand. Chris Prynoski : Trop de cartoons à faire !

Antonio Canobbio : Je n’arrêtais pas de lui crier dessus : “Mais tu vas le faire, ton film !”

Chris Prynoski : Oui ! Ça m’a aidé. (Rires)

Antonio Canobbio : Ça a été dur mais il a réussi à le faire. Vous avez vu le résultat.

Chris Prynoski : L’approche créative du film était la suivante : la société est merdique, elle valorise la célébrité pour la célébrité, et chacun a un point de vue par rapport à ça, comment tel personnage veut devenir célèbre dans ce film, et comment va-t-il faire…

Antonio Canobbio : Et on a eu la chance, dès le début, d’avoir des personnes qui ont constitué la colonne vertébrale du film, comme Joe Bennett, qui a passé bien six mois à travailler seul sur le storyboard, au studio de New York, avant d’aller sur un autre projet.

Chris Prynoski : Les acteurs ont aussi beaucoup contribué à ça, Paul Rudd et Patton Oswalt ont réussi à rendre sympathique le duo de personnages principaux, car je pense que ceux-ci sont de sacrés enfoirés, et on aurait facilement pu les détester. Et ils sont joués juste comme il faut, il y a eu une part d’improvisation qui s’est retrouvée dans le film. Paul Scheer, qui joue le président de Megasoft, a fait de super improvisations, comme sur la séquence qui se passe sur le terrain de golf.

Antonio, on retrouve votre patte dans les décors, dans les ensembles urbains et les détails

Antonio Canobbio : C’est quelque chose que j’aime pousser, oui. Le meilleur character design, selon moi, est celui où on peut ressentir l’histoire du personnage, d’où il vient. Pour revenir aux personnages avant de parler des décors, si on prend le King par exemple, il est obèse, porte un bandeau. Il a beaucoup de passif directement incorporé à son visuel, et lorsqu’arrive la scène du robot, on découvre que c’est un vrai nerd, tu comprends tout de lui à travers son design, ce n’est pas juste un cliché. J’aime faire la même chose avec les décors : quels matériaux ont été utilisés, qu’est ce qui a été ajouté, l’histoire du bâtiment, l’histoire de la ville dans ce cas-là, et comment Los Angeles est, en général, granuleux. On a eu une discussion là-dessus avec Chris, car je tentais d’infuser un peu plus de Los Angeles, et tirer mon chapeau à un endroit appelé le Gold Diggers…

Chris Prynoski : Qui existe vraiment, ce qui fait que l’on a dû trouver un autre nom…

Antonio Canobbio : Oui, on a essayé de mettre un maximum de vrais endroits dans le film, et on avait des contraintes de budget donc il était important de bâtir des décors avec du cachet, de la texture.

Chris Prynoski : On a dû faire ces décors très vite, avec ce planning serré, je n’avais jamais réussi à tenir un planning aussi court avant, j’étais là, “On va le faire, on va le faire ! Donc on ne va pas passer trop de temps sur ces décors ! Je n’arrive toujours pas à croire que l’on ait réussi à faire ça.”

Antonio Canobbio : Un grand nombre de choses ont dû être faites très rapidement, ont un côté un peu sale, car on manquait de temps, aussi d’argent ou quoi que ce soit d’autre, mais ça finit par donner quelque chose de cool, à partir où ça a été suffisamment pensé en avance. Joe Bennett a commencé et c’est moi qui ai terminé, et son travail a été d’une grande influence sur le film, la même personne sur le storyboard et sur la conception graphique.

Chris Prynoski : Je voulais amener sur le film quelqu’un dont j’apprécie le style et la sensibilité. Joe avait travaillé sur Liquid Television (un revamp sur internet d’un bloc de programmes des années 90 sur MTV) avec deux projets, dont un s’appelait Odin’s afterbirth où j’ai apprécié son sens de la cinématographie, et je me suis dit qu’il était la personne qu’il fallait pour le storyboard. J’avais aussi parlé à Jim Lujan pour cette étape mais il a un vrai boulot à côté donc c’était un peu plus difficile, il n’a pas pu le faire.

Antonio Canobbio : Donc quand on en vient à concevoir les décors où vivent les personnages, on s’est également basé sur une forme de réalité. J’ai l’habitude de travailler avec Chris et il laisse derrière lui un bazar pas possible. Des bouteilles de bière partout, une crasse pas possible (rires). Un vrai appartement de mecs.

Chris Prynoski : Et je suis content d’avoir ça dans le film, cette tanière, j’aurais voulu en avoir une comme ça (rires) !

Antonio Canobbio : Mais oui, on a infusé un maximum des personnages dans les décors où d’où ils viennent et où ils vont, afin de donner le maximum d’information au spectateur. Mais aussi faire des blagues : à l’extérieur de l’appartement des héros se trouve un tag de pénis, qui a été dessiné par Juno Lee, l’un de nos réalisateurs (rires).

A un moment du film, on a aperçu le Christ raté de Borja, accroché au mur de la vieille dame que John et Elliot tentent d’assassiner…

Antonio Canobbio : Ah, vous l‘avez vu, c’était le genre de blague que l’on aime bien cacher dans les décors.  

Est-ce que vous avez un peu regardé, étudié la télé réalité pour le film ?

Chris Prynoski : Pas nécessairement, mais vu l’endroit où nous habitons, c’est quelque chose que l’on connaît sans même avoir à trop en regarder (rires) ! Même si on a jeté un œil ou deux pour avoir quelques références de ce genre de choses.

Antonio Canobbio : Andrew a étudié la chose en profondeur, il est allé gratter là-dedans car il voulait que le film ait quelque chose de particulier. Il ne souhaitait pas que l’humour présent dans Nerdland soit trop large. Il voulait le garder bizarre. Il vit à Hollywood mais déteste cet endroit, déteste les tractations que ça engendre.

Chris Prynoski : Il ne travaille que sur des grosses machines, des films chers et compliqués, issus de franchises, et il voulait faire quelque chose de plus petit, un film indépendant. Parfois, on parlait de structures et d’éléments à changer dans la narration et il me répondait “non, ça va élargir le film, je ne veux pas ça.” Ça lui tenait à cœur de faire quelque chose comme ça, plus spécifique et étrange.

Antonio Canobbio : On souhaitait le faire pour plus de gens, mais Andrew était là et disait “Mais non. Je veux pas faire ça, sinon on ferait un film hollywoodien.” Et on est allé vers un autre type de comédie, et on le respecte totalement pour ça.

Ça explique aussi, et peut-être, un certain nombre de critiques assez mitigées que le film a affronté après Tribeca… C’est un film plus particulier que prévu.

Antonio Canobbio : Oui, en fin de compte, ce n’est pas un film pour tout le monde. Il n’est pas destiné à être vu par les masses. Il va peut-être devenir culte ?

Chris Prynoski : Oui, si on avait voulu faire une comédie qui rapporte des millions, on serait allé dans une autre direction (rires) !

Nous l’espérons ! Ben, quelles sont les autres séries qui vont arriver de la part de Titmouse dans un futur proche ?

Ben Kalina : Sur Adult Swim, la diffusion de la nouvelle série de Brad Neely, intitulée Brad Neely’s Harg Nallin’ Sclopio Peepio va bientôt commencer. Sur Amazon, après le pilote de Niko and the Sword of Light, une saison complète va être produite, et nous avons soumis un nouveau pilote de série pour 2016, intitulé Little Big Awesome. Nous nous occupons aussi de l’animation de la prochaine série de la Fox supervisée par Phil Lord et Chris Miller, Son of Zorn, où un prince barbare animé revient chez son ex-femme, dans le monde réel. Enfin, ce qui arrive de plus gros pour nous est la série En Route ! Les Aventures de Tif et Oh, sur lequel nous avons fait l’animation. C’est notre deuxième série avec DreamWorks TV après Turbo FAST.

Merci à vous trois !


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