Interview – « On n’a pas voulu faire une série d’éducation classique. » Haruna Kishi et Virginie Jallot, créatrices de Miru Miru.


Miru Miru, série animée du studio Folimage et diffusée sur Piwi +, vous fait découvrir le monde au travers du regard candide d’une loutre. La tentation était trop forte, il me fallait en savoir plus…

Miru est une petite loutre japonaise intrépide, observatrice et curieuse. Elle n’en fait souvent, voire toujours, qu’à sa tête… mais son obstination est toujours récompensée pour la plus grande joie de ses amis, Grenouille, Chauve-Souris, Raton-Laveur ou Iguane. Et une fois son objectif atteint, c’est sous forme de haiku qu’elle laisse exploser sa joie !

J’ai eu  l’occasion d’échanger longuement avec Haruna Kishi et Virginie Jallot, les deux créatrices de la série animée. Nous sommes revenues sur les origines de cette loutre de mer, la question du format et aussi la place de Miru Miru au sein des séries pré-scolaires. Je ne vous retiens pas plus longtemps et vous laisse dévorer cette interview !

Présentez- vous en quelques mots

Haruna Kishi : En fait, j’ai fait l’école de la Poudrière en 2010 et c’est là que j’ai rencontré Virginie, en première année, durant ses cours d’adaptation en série. Je suis ensuite sortie de l’école et j’ai commencé à écrire l’histoire de Miru Miru. Puis, j’ai trouvé ma scénariste Mathilde Maraninchi venant de l’univers de la série préscolaire. Une fois trouvé les financements pour le pilote, j’ai contacté Virginie pour qu’on le réalise ensemble.

On a mis un an à le concrétiser, dans les intentions comme dans la mise en place de la série. On a terminé en septembre-octobre, ce qui fait six ans en tout pour la conception.

Virginie Jallot : J’ai fait des études aux Beaux-Arts à Angers et j’ai après assez vite travaillé dans l’audiovisuel en prise de vues réelles, puis j’ai commencé à m’intéresser à l’animation. Et là, j’ai été décoratrice, j’ai monté un studio et j’ai eu envie de faire de la production, j’ai souvent navigué entre l’artistique et la production. Ensuite, j’ai dirigé le studio Ellipse puis j’ai abandonné la production pour me recentrer sur la réalisation. A partir de 2005, j’ai commencé à intervenir à l’école de la Poudrière et j’ai encadré les étudiants sur les projets d’adaptation audiovisuelle, donc un encadrement à la fois technique, artistique et développement.

Avec l’équipe pédagogique de la Poudrière, on revoit le modèle d’intervention tous les ans pour voir ce qu’on a envie de faire les uns et les autres. Comme l’expliquait Haruna, c’est comme cela qu’on s’est rencontré en 2009. J’étais contente quand elle m’a appelé pour rejoindre l’équipe Miru Miru, parce que le projet est très beau !

Les dessins et l’univers d’Haruna sont magnifiques et ça a été un engagement total et complet dans l’accompagnement du projet. On a commencé à réfléchir à comment mettre en scène Miru Miru et à s’adresser à un public pré-scolaire. Pour Haruna et Mathilde Maraninchi, ce fut beaucoup d’aller-retours pour établir la bible de la série et de mon côté, je me suis penchée sur les intentions de réalisation. Tout cela a fait une petite alchimie qu’il a fallu nourrir et a à peu près mijoté pendant un an.

On est ensuite passé au pilote. Pendant ce temps-là, le producteur Emmanuel Bernard et aussi Corinne Destombes de Folimage devaient financer le projet. Emmanuel a beaucoup contribué à ce que ça fonctionne entre nous. Le temps qu’il finance le projet en 2013, on a pu réaliser le pilote et voir les enjeux techniques et artistiques de cette expérience. Le producteur a continué à contribuer à son développement financier et on a poursuivi la réflexion sur l’évolution de Miru Miru. La série est entrée en production en octobre 2014.

Du coup, revenons à la création, comment l’univers de Miru Miru est né ? Comment est apparue cette mignonne petite loutre ?

Haruna Kishi : Déjà graphiquement, je dessine tous les jours dans mon petit carnet. C’est en 2009 que j’ai commencé Miru mais aussi l’iguane et la chauve-souris. Le carnet est pour moi ma source d’inspiration, j’ai l’habitude d’y dessiner Miru mais aussi des scènes de la vie quotidienne. Pendant un ou deux ans, Miru a bien grandi dans ses pages. Et aussi, je suis né au Japon et donc, je me suis inspiré des estampes japonaises, notamment Hiroshige pour le style très épuré.

Virginie Jallot : C’est aussi un travail sur la profondeur de champ, différent de la perspective européenne. On a beaucoup parlé de ces inspirations durant la création de la série.

On remarque aussi les couleurs douces qui diffèrent de l’esthétique que l’on peut retrouver en 3D dans les séries pré-school.

H. K. : C’est pour ça que ça été difficile pour nous de monter la série. Les personnages ont aussi une allure un peu spéciale, ce sont des chauves-souris, des iguanes…et pas des chats, des chiens.

V.J. : Oui, ce ne sont pas les personnages les plus fréquents dans les séries TV.

H. K : Et puis, ce n’est pas très cohérent (rires) qu’une loutre et une chauve-sourie soient amies. On avait envie de faire une proposition différente de ce que l’on voit d’habitude.

V.J. : Et puis, parler de douceur et de poésie.

Justement, par rapport aux haïkus, comment s’intègrent-ils dans l’écriture de la série ? Font-ils partie du processus créatif ?

H.K. : En fait, on ne le fait pas pour le haïku mais pour le personnage de Miru qui n’a pas peur et qui a envie d’apprendre des petites choses de la vie quotidienne qu’il ne connaît pas. Vu qu’il ne s’exprime pas en mots mais plutôt par son langage corporel, c’est de cette idée-là qu’on est parti pour la série. Après, il crée des petites sculptures pour exprimer ce qu’il a appris de sa journée et de là vient une sorte de poème, un haïku. Il n’est pas handicapé mais a du mal à dire les choses.

V.J. : Comme c’est expliqué dans le générique, Miru est une petite loutre de mer qui s’est détachée et est arrivée dans la forêt. Il ne possède pas les mêmes moyens d’expression que les autres animaux. Miru comprend les autres personnages qui parlent notre langue mais lui ne parle pas le même langage; il ne s’exprime pas verbalement. Il s’exprime poétiquement par des gestes.

Il va découvrir un nouvel environnement avec des objets, des attitudes, des comportements qui sont nouveaux pour lui. Évidemment, il va les comprendre à sa façon et jamais de la manière à laquelle on s’attend. On a l’impression qu’il y a un détournement de quelque chose mais c’est juste un décalage et ça, ça amuse beaucoup ses amis. Il va transformer son expérience et sa compréhension d’un objet ou d’une situation en une petite œuvre graphique qui est une interprétation du poème qui est lu, interprété par le raton-laveur qui incarne l’image du grand frère qui a voyagé avec son sac à dos, symbole d’’expérience.

J’aime beaucoup les traits de Miru quand il se met en colère, il devient tout rouge avec ses yeux tracés finement…

H.K. : On a beaucoup travaillé pour garder les traits fins et ne pas tomber dans les gros yeux rouges…

V.J. : Oui, on a fait un gros travail là-dessus avec Julien Allard, le chef animateur. Ce fut un long processus de conserver les traits du style d’Haruna et il y eut beaucoup d’aller-retours. On a travaillé dessus cinq mois afin de garder les expressions des traits de départ. Le chef animateur a apporté beaucoup de qualités et c’est en fait un gros travail collaboratif. On parle beaucoup des réalisateurs, mais c’est un gros travail d’équipe où tous les gens présents aux postes clés ont chacun apporté beaucoup de choses à l’œuvre. Cela demande une grande compréhension mutuelle. En plus, ce n’était pas un personnage évident : une loutre ! Il fallait le rendre attachant.

Visiblement la colère vous a beaucoup touché et par exemple, ce point ne fut pas évident à vendre. On nous a dit : “Attendez, il ne faut pas rendre Miru caractériel, enfin !” Alors que la colère fait partie des sentiments humains.

H.K. : Oui, on ne voulait pas le rendre méchant mais c’est dans la nature d’être en colère.

VJ. : Vu qu’il ne s’exprime pas verbalement, on a eu plusieurs fois dans l’histoire du montage de la série des remarques du genre : “Attention, n’allez pas trop loin dans la représentation, vous allez le rendre antipathique.” Ils ont eu raison de nous prévenir aussi, c’est comme pour sa jubilation qui l’emmène vers la danse et son poème. Voilà, Miru est un personnage qui est entier, quand il est heureux il va très loin, quand il est malheureux il va très loin. Il ne fait pas les choses à moitié.

En m’intéressant aux récentes séries pré-school, j’ai remarqué qu’on sortait de l’éducatif pur pour privilégier le bien-être du personnage principal. Est-ce que c’est une tendance que vous avez remarqué ? Comment le percevez-vous de votre côté ?

V.J.: C’est exactement ça, c’est ce qu’on a revendiqué en parlant de la série, Miru a le droit d’échouer comme un enfant, comme un adulte, comme n’importe quel humain. On a le droit d’échouer et ce n’est pas grave, on rebondit.

H.K. : On n’a pas voulu faire une série d’éducation classique.

V.J. : Voilà, on n’est pas dans la réussite et la compétition, Miru est là et il expérimente des choses. C’est un peu la différence entre une école Montessori et une école traditionnelle. On peut remercier Sophie Boé et Laurence Blaevoet de chez Canal + de l’avoir compris et notre producteur, qui avait envie de ça. Je me souviens au début des discussions avec Haruna car elle recherchait quelque chose d’atypique et il a fallu bien batailler pour monter le projet tout en restant touchant. C’est compliqué de parler de l’échec ! Miru échoue plusieurs fois avant de réussir mais ce n’est pas un échec négatif.

La nature y a aussi une grande place par son côté naturaliste et la beauté des aquarelles d’Haruna, on n’a pas peur d’être dans la glace, dans le froid. On évolue tout au long des quatre saisons et au printemps, tout bourgeonne. Comme pour la bande-son, il y a eu tout un travail de fait avec une équipe remarquable qui a fait des bruitages très naturalistes du vent, de l’eau. D’ailleurs, les sons ont été créés au studio O’Bahamas à Lyon et la musique a été composée par Yan Volsy.

H.K. : C’est très rare en animation car souvent on utilise des bandes-son de cartoon avec de gros bruits : “Poum !” (rires) On n’a jamais fait ça, on utilise le bruit de la terre, du sable. On a ajouté beaucoup de moments contemplatif où on prend le temps de regarder.

V.J. : Des petits moments de silence aussi. A l’origine, on souhaitait que l série soit encore moins bavarde et là c’est le diffuseur qui a souhaité qu’on implique encore plus les amis parce je pense qu’à la télévision, on a peur du vide et des moments de silence. Du coup, on a retravaillé un équilibre entre le silence et les dialogues, ça a remis pas mal de choses en question. On nous demande plus de personnages, plus d’animation et ça a aussi déséquilibré le budget. On a développé des personnages attachants, je sais qu’il y a beaucoup de fans de chauve-souris. C’est une petite star !

H.K.. : Une petite star ? (rires)

V.J.: Bien oui, elle est coquette et aime bien chanter car elle aime les ananas.

Le format de la série est particulier, avec sa durée de cinq minutes par épisode, est-ce que cela a été un choix évident ou un débat dans l’équipe ?

V.J. : Oh oui, ça a été compliqué à définir…

H.K : Au début, on a pensé au format d’une minute, ce qu’on a vu avec notre producteur, puis on est passé à trois minutes pour cinquante deux épisodes. Ensuite, on a repensé au côté de la vente à l’international : trois minutes, c’était trop court…

V.J. : le format de cinq minutes a permis de développer une histoire où on n’a pas le temps de s’ennuyer. On a pu avoir un arc clair, des rebondissements et aussi faire intervenir les amis de Miru. Rien qu’en favorisant les interactions, la danse, la magie et le poème, on arrive facilement à cinq minutes, on ne s’ennuie vraiment pas. On a aussi deux clips musicaux qui ont été diffusés.

La question du ciblage du public revient souvent autour des séries et à mon sens Miru Miru s’adresse à tous les publics. Est-ce vous avez eu des retours par le biais des chaînes TV ? Ou directement par le public ?

V.J. : Haruna a eu la chance de participer à quelques festivals…

H.K. : J’ai fait pas mal de rencontres scolaires, des rencontres au cinéma et des ateliers autour de Miru Miru. J’ai reçu beaucoup de bonnes réactions, j’ai été complètement scotché quand on a montré la série. On a montré trois épisodes et il y a un enfant qui a pleuré car il voulait en voir plus, c’était triste et touchant à la fois. Les enfants ont tous très bien compris et ont été réceptifs, surtout sur l’épisode du secret de l’ananas, scénarisé par Claire Sichez, où Miru fait une diversion avec des fruits et des légumes pour protéger un secret de Chauve-souris.

V.J. : C’est un des épisodes les plus complexes et les enfants le comprennent très bien. Ils ont beaucoup d’empathie pour Miru. Car c’est avec beaucoup d’intelligence que Miru permet à Chauve-Souris de vivre son secret avec ses amis, le partager sans jamais le révéler pour qu’il reste un secret.

H.K. : Les enfants, parfois de six ans, comprennent l’importance d’un secret et de respecter l’autre et c’est souvent les adultes qui trouvent que c’est trop difficile. Ça m’a fait pleurer quand ils m’ont dit qu’ils avaient tout compris.

Dessins des élèves de l’école Anatole France à Goussainville.

V.J.: Dès lors que les gens ont de l’empathie pour Miru et ont envie de lui faire des câlins c’est gagné. Les messages qui sont dans les scénarios passent tout seul à partir du moment où il y a de la poésie et aussi de l’humour. On n’en a pas beaucoup parlé, mais il y a un humour assez décalé qui permet de faire passer des concepts parfois compliqués. Il y a aussi des épisodes plus simples pour les tout petits, ce qui fait qu’on s’adresse aux enfants de trois à six ans, et c’est pour les garçons comme pour les filles.

H.K. : Voilà, Miru c’est une loutre, quoi.

VJ. : Miru c’est un petit gars, Chauve-souris est une fille très coquette, Grenouille c’est une fille pas très féminine. On essaie de créer des représentations qui ne soient pas trop clichés et qu’il n’y ait pas trop de stéréotypes. C’est cependant difficile d’échapper aux stéréotypes parce qu’on est obligé de caractériser très fortement les personnages pour écrire dessus.

J’ai vu qu’il y avait un jeu TurboMédia, est-ce que vous envisagez d’autres jeux ou des autocollants de messagerie mobile pour l’aspect transmédia ?

V.J. : Oui, on aimerait beaucoup, il existe déjà les livres jeunesse. Il y a beaucoup de potentiels en jeux à construire, à expérimenter…

H.K. : J’aimerais qu’il y ait beaucoup de produits dérivés pour faire connaître Miru Miru.

Quels sont vos projets pour la suite ?

H.K. : On ne sait pas encore s’il y aura une suite à Miru Miru. Sinon je continue le dessin et à écrire des histoires. Je suis en phase d’écriture pour un court-métrage.

V.J. : Moi aussi, j’ai deux projets en développement, deux unitaires peut-être un spécial tv, je ne sais pas encore. Et l’autre, c’est un projet beaucoup plus lourd, j’en parlerai le moment venu. Vous pouvez retrouver Haruna Kishi sur son nouveau projet Fabrice, le chat de ma vie. Un grand merci à Patricia Epaillard pour la mise en relation. Source des images de l’interview : site officiel d’Haruna Kishi https://www.youtube.com/watch?v=BVWDQ1_Aanw


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