Leçon de cinéma – L’art de raconter, de la BD à l’animé


Lewis Trondheim, Guy Delisle et Arthur de Pins étaient réunis autour du modérateur Eric Libiot (rédacteur en chef art et spectacles pour L’Express) afin d’aborder les distinctions, dans l’art de raconter, entre la bande-dessinée et l’animation. Trois auteurs de BD qui ont tenté l’aventure animation et qui se sont principalement exprimés sur l’adaptation de la BD à l’animé, avec des avis très différents…

Avant les débats, la séance s’était ouverte sur le diffusion en première mondiale des quatres court-métrages de la collection Chroniques du 9e art. Produits par l’ONF, ils ont été réalisés par de prestigieux bédéistes Québec (La dent de Guy Delisle, La pureté de l’enfance de Zviane) et de la France (Chronique panoramique de Lewis Trondheim et Jean Matthieu Tanguy, L’amour libre d’Aude Picault).

De la BD à l’animé : pourquoi adapter ?

de gauche à droite : Guy Delisle, Lewis Trondheim, Arthur de Pins et Eric Libiot.

Pour lancer la discussion, Eric Libiot a posé une question généraliste mais qui a malgré lui orienté l’intégralité de cette leçon de cinéma : « est-ce que quand on fait de la bande-dessinée l’idée de faire de l’animation, en grand ou en petit, c’est un passage obligé, un Graal, un enfer, un plaisir, une commande, une obligation ? ». Les trois auteurs se sont alors lancés dans un débat, moins sur l’art de raconter que sur la pertinence d’adapter une oeuvre de bande-dessinée en animation, ou à l’écran de manière générale.

« À chaque fois que je commence une BD j’imagine les personnages bouger, j’imagine la musique qu’il y aurait. La BD c’est un peu un moyen de faire de l’animation a défaut d’avoir une production, […] un peu comme un cinéma sur papier. » – Arthur de Pins

Là où c’était intéressant, c’est que le panel se prétait particulièrement bien au sujet. Chaque auteur avait vraiment sa vision de la question. Pour résumer de manière simpliste, nous avions une opposition entre Lewis Trondheim et Arthur de Pins, le premier préférant en rester à la bande-dessinée alors que le second imagine chaque album comme s’il était animé et en musique. Guy Delisle, avec 10 ans de carrière dans l’animation à son actif avant de passer à la bande-dessinée, était plus temporisant.

« C’est un concours de bite. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de gens qui veulent montrer qu’ils vont faire un truc d’animation incroyable avec des nouveaux effets spéciaux […] et qu’on oublie le fond, c’est-à-dire avoir des personnages, une histoire et du relationnel. » – Lewis Trondheim

Ainsi, Lewis Trondheim a critiqué une partie de la production de bande-dessinée, composée de « storyboards de téléfilms qui pourraient passer sur TF1 le dimanche soir et n’apportent rien du tout ». Un braconnage de l’art de la bande-dessinée qu’il n’apprécie pas du tout et qui explique pourquoi il a du mal avec les adaptations en général. Ces dernières doivent servir à magnifier une oeuvre, et non la volonté d’adapter quelque chose de connu parce que c’est rassurant pour les producteurs.

« C’est plus intéressant quand on essaie de trahir que quand on essaie d’adapter. » – Lewis Trondheim

Animation et BD : quelles différences ?

Guy Delisle, avec sa double expérience, a insisté sur la différence d’implication et de temporalité entre les deux arts. Quand il faut 5 ans pour faire un film, il est possible de réaliser seul  plusieurs albums de bande-dessinée. Il a aussi évoqué utiliser la BD pour raconter des choses plus personnelles, et qu’avoir son propre graphisme et sa propre histoire est très « gratifiant artistiquement ».

« Il y a une légèreté et une liberté de création dans la BD qui est assez inégalable. L’animation, il faut passer des mois à convaincre des gens que c’est une super bonne idée de faire ce récit. On perd beaucoup d’énergie qui n’est pas vraiment dans la création. » – Guy Delisle

De son côté, Arthur de Pins est revenu sur les différences d’écriture entre la BD et le cinéma, qui ont été à l’origine de modifications entre son histoire d’origine et le scénario du film Zombillénium. Notamment sur les motivations des personnages, qui doivent évoluer tout au long du film alors qu’elles sont plus stables en bande-dessinée, de par son aspect feuilletonant. Des points qu’il avait développé plus en avant à l’occasion du work in progress de Zombillénium en 2016.

Enfin, la principale différence que Lewis Trondheim voit entre la BD et le cinéma, c’est que l’auteur de BD doit faire oublier au lecteur l’effort de lecture, alors qu’au cinéma le spectateur est totalement passif. La moindre incohérence perdrait le lecteur là où un spectateur de cinéma pardonnerait un manque de fond. Il a aussi une certaine réticence à l’idée d’adapter sa propre oeuvre, avec son propre style, face aux géants américains qui dominent le marché et à travers le prisme desquels le public voit et critique toutes les productions animées.

« Je ne veux pas faire du cinéma ça ne m’intéresse pas. […] Je ne voulais pas animer mon personnage animalier. J’ai l’impression d’être tout de suite confronté à des Disney à des Pixar […] et ce n’est pas ce que je voulais. » – Lewis Trondheim

Ma conclusion : si BD et animation peuvent se rejoindre plus aisément que d’autres médias, ils restent deux supports d’expression différents, avec leurs propres codes et métiers. Pour ce qui est de l’adaptation, il est malheuresement assez rare que la volonté soit artistique et économique… Je vous laisse vous faire votre avis en regardant l’intégralité de cette leçon de cinéma « L’art de raconter, de la BD à l’animé »  ci-dessous. https://youtu.be/w28ganmKYkU



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