Court métrage – Manivald : il a vu le loup, sa mère aussi


Manivald est une tranche de vie tout en justesse, avec une animation au dessin sur papier et une mise en scène simple. Une ambiance « jeunesse » malgré un propos adulte qui traite de la sexualité et de la prise d’indépendance. Avec des animaux antropomorphiques. Qui peuvent avoir des abdos.

Manivald le renard vient d’avoir 33 ans. Surdiplômé, chômeur et plutôt coincé, il habite avec sa mère, une retraitée dominatrice, et passe ses journées au piano pendant qu’elle lui prépare du café et lave ses chaussettes. Une vie facile, certes, mais terne. Cette dépendance mutuelle se trouve toutefois chamboulée par une machine à laver en panne et un réparateur nommé Toomas, jeune loup sexy et aventurier venu à la rescousse.

Manivald était le premier court de la sélection numéro 5, et quand les premières images sont apparues à l’écran, je me suis étonnée d’avoir un film pour enfants qui ne soit pas spécifiquement dans la sélection jeunesse dédiée. Erreur de ma part ! Derrière tout ce rose et ces renards dessinés à la main se cache en réalité une histoire bien adulte : celle d’un Tanguy qui se laisse séduire par un viril plombier abdominé, avant de découvrir ce dernier dans le lit de maman au petit matin ! De quoi le réveiller plus efficacement qu’une tasse de café Grand-Mère.

C’est d’ailleurs ce qui va pousser notre renard, qui rêvait parfois de prendre ses ailes sans jamais céder aux sirènes tentatrices de l’indépendance, trop enfermé dans sa routine de vieux garçon, à faire sa valise. Ça et l’amour pour un homme qui va s’avérer marié et père de famille. Nouvelle désillusion. Lui qui observait avec curiosité et envie une bande de musiciens ambulants qui passaient sous sa fenêtre va finalement laisser derrière lui sa petite vie rangée et ses partitions pour les rejoindre et laisser libre cours à son instinct d’artiste.

Manivald représente cette tendance sociétale et familiale qui veut que les jeunes adultes restent de plus en plus longtemps chez leurs parents. Ceci pour des raisons de chômage, d’un besoin de pied-à-terre à la fin des études, où tout simplement pour le confort. Il y a quelque chose de rassurant au fait de retrouver chaque jour ce nid douillet, immuable, alors que le futur fait si peur. Pourquoi se presser ? Surtout quand Manivald passe tranquillement ses journées à jouer au piano pendant que sa mère lui fait ses lessives (vivre chez ses parents pourquoi pas, mais maman qui fait encore nos lessives à 33 ans, c’est quelque chose) et lui sert du café chaud.

J’imagine qu’il a donc fallu du courage au garçon pour tenter d’attirer l’attention du plombier, alors que sa propre mère le draguait ouvertement (utiliser le plombier comme modèle pour sa sculpture, c’est une technique de rentre-dedans peu commune). J’ai beaucoup apprécié le délire romantique de Manivald qui, dans les bras du loup, s’imagine courir main dans la main avec lui à travers champs ou porté comme une princesse par son preux chevalier au blanc destrier pour passer la porte d’une maison. Il relègue la sensation des papillons dans le ventre à une vulgaire contraction de l’estomac.

Il est d’ailleurs très intéressant de voir la diversité des rapports au sexe dans ce court métrage. Manivald est l’archétype du romantique qui « fait l’amour », pour qui le sexe est quelque chose de très intime, un fruit rarement partagé. Toomas, à l’inverse saute sur tout ce qui bouge, sans sentiments. Une vie sexuelle riche qui n’aurait rien de moralement déplorable s’il n’était pas engagé par ailleurs. Enfin, la mère de Manivald, visiblement célibataire et ouverte d’esprit, drague carrément le plombier sexy et l’accepte dans son lit alors qu’elle sait pertinemment qu’il sort à peine de celui de son fils… Un peu incestueux dirait probablement Freud, mais après tout du sexe n’est que du sexe et elle ne brise aucun tabou familial puisqu’il n’y a que Manivald pour rêver romantisme après un coup d’un soir avec un plombier.

Le traitement de l’homosexualité / bisexualité / hétérosexualité des personnages est particulièrement plaisant. Les orientations sexuelles des personnages ne posent jamais question. Ils sont ce qu’ils sont, aiment ce qu’ils aiment, c’est leur nature, point. Interrogée sur le sujet dans le blog de l’ONF, la réalisatrice explique que « faire tout un plat de l’homosexualité de Manivald (ou de l’ouverture d’esprit de sa mère) aurait laissé entendre qu’il s’agissait d’un truc un peu anormal, alors que le fait d’être gay (ou de faire preuve de libéralisme sexuel) est pour moi parfaitement normal. Donc, pourquoi ne pas le traiter comme tel? » DING DING DING ! Cinquante points pour Chintis Lundgren !

Finalement, Manivald c’est le récit d’une rupture. Entre une jeune homme et ses illusions, entre un jeune homme et sa mère, entre un jeune homme et sa petite vie tranquille. La réalisatrice nous laisse avec un renard qui ne sait plus quoi faire de lui-même, ni de sa valise de chaussettes, et se met à jouer du piano dans la rue, une bouteille d’alcool à portée de main. Libre à nous d’imaginer la suite : une descente aux enfers ? Une réconciliation avec maman ? Une carrière de pianiste internationale ? Et que va devenir sa mère, qui réalise la profonfeur de sa solitude ? Il y a encore tellement de potentiel pour le récit que Chintis Lundgren et son co-scénariste Draško Ivezic travaillent à une série :

« Draško et moi travaillons en ce moment à une série intitulée Manivald and the Absinthe Rabbits. Elle porte sur ce qui arrive à Manivald à la suite de son déménagement. Il se retrouve à vivre dans un bar gay clandestin appelé « Le placard du hérisson ». L’endroit est dirigé par un hérisson travesti du nom de Tiit et sa femme, une ourse prénommée Brunhilda. Brunhilda est très conservatrice et n’a pas remarqué qu’il s’agit d’un bar gay. Ni que son mari est un travesti. Brunhilda a une aventure secrète avec Herman, un policier du quartier et le rat grincheux d’un de mes films précédents, Life with Herman H. Rott. Herman vient de rompre avec Cat la chatte et est plutôt bouleversé. Et il y a aussi les lapins Absinthe, qui sont toujours ivres et chantent des chansons ridicules. »

C’est un autre court-métrage coproduit par l’ONF, où l’on peut également croiser un renard, qui est parti d’Annecy avec un prix : La maison du hérisson avec le Prix Jeune public. Mais ne manquez pas pour autant Manivald, qui vous fera sourire en coin à tous les coups ! https://youtu.be/370Sn04c14s


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