Interview – Liane-Cho Han, réalisateur de « Métaphysique des tubes »


Après son expérience de storyboardeur et de directeur de l’animation sur Tout en haut du monde et Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary, Liane-Cho Han se lance dans la réalisation de son premier long-métrage avec l’adaptation du roman d’Amélie Nothomb : Métaphysique des tubes qui sera co-produit par Maybe Movies et Ikki Films.

Amélie, une enfant belge de deux ans et demi, née au Japon, pense qu’elle est Dieu. Depuis son point de vue acerbe et lucide, elle croit pouvoir faire pousser les plantes dans le jardin ou traverser la mer à pieds. Elle pense être au centre du monde et n’a qu’un seul but : convertir le monde à son culte. Hélas, le pouvoir d’Amélie la toute-puissante semble limité à sa nounou, Nishio-San. Entre sa famille qui la traite comme tous les autres enfants et sa nounou qui la divinise, le choix est clair : Amélie sera Japonaise. Mais son monde va tomber en miettes à l’âge de trois ans, lorsqu’elle apprend qu’elle va devoir quitter le Japon…

Lors du pitch, nous avons découvert un trailer, conçu en collaboration avec Eddine Noël et Marietta Ren (créatrice de la bande défilée Phallaina), qui donne un aperçu des émotions hautes en couleurs -au propre comme au figuré- du personnage de la petite Amélie. On passe de la colère toute en contraste de noir et de blanc avec des touches de rouges à un vert naturel et aquarellé lorsqu’elle trouve enfin un certain apaisement.

Lors de l’entretien ci-dessous, j’ai discuté avec Liane-Cho de la question de l’adaptation du roman, de l’importance des couleurs au sein de cette dernière et de l’importance de faire de l’animation adulte qui parle tout autant au jeune public.

Lors de la dernière interview, tu nous avais parlé de ton travail de storyboard, comment es-tu passé à la réalisation ? Comment cela a évolué pour toi ?

Liane-Cho : C’est vrai qu’à la base, je ne m’étais pas destiné à la réalisation, j’étais animateur et j’étais assez satisfait en tant qu’animateur 2D après L‘Illusionniste, Zarafa. Après il y a eu une pénurie de boulot en 2D vers 2011 et j’ai eu la chance de changer de voie, de pouvoir faire du storyboard. J’ai passé des tests et j’ai pu travailler sur des films comme Astérix Le Domaine des Dieux ou Le Petit Prince. Du coup, avec le storyboard ça m’a ouvert plus de perspectives et à la mise en scène et aussi dans le même temps à l’écriture. 

Petit à petit, avec ces expériences sur Tout en haut du monde et Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary, ça commençait vraiment à me trotter dans la tête. Le livre Métaphysique des tubes, bien sûr, j’avais le fantasme de l’adapter en animation mais je ne me sentais pas prêt et je me disais que je n’avais pas l’expérience pour le faire. Je me disais que je n’y arriverais pas, en plus avec la question des droits. 

Puis ensuite, avec l’expérience sur Calamity et le fait d’être jeune papa, vers fin 2018 mon fils avait à peine un an et ça a changé pas mal ma vision du bouquin. Je me suis dit “lançons-nous !”, un peu comme à l’époque où j’ai commencé le storyboard sans expérience. Pareil, je connaissais une pote qui écrivait pas mal à Amélie Nothomb, je lui ai demandé son adresse pour pouvoir lui parler de ce projet.

La préparation de la lettre a pris quelques semaines avant que je lui envoie mais je voulais surtout trouver des producteurs.ices pour voir si je n’étais pas le seul à être intéressé par le projet, le seul à y croire. Les deux boites de productions Maybe Movies et Ikki Films ont été immédiatement séduites par le projet, ça m’a rassuré un petit peu. Là, j’ai envoyé la lettre et ça s’est fait très rapidement, je ne pensais pas avoir de réponse avant plusieurs mois. Au final, j’ai eu peut-être un mois après une réponse par mail d’Albin Michel, mais pas d’Amélie Nothomb directement, qui voulait qu’on se rencontre. 

C’était rapide ! 

Ah oui ! En plus, ça se passait en plein été avec les vacances en août et juste avant la rentrée littéraire. Je n’ai pas choisi le meilleur moment pour écrire à Amélie Nothomb et au final, j’ai eu une réponse assez rapide. On s’est rencontré quelques semaines après, juste moi et la responsable des droits et produits dérivés d’Albin Michel. 

Avec la lettre, je lui avais envoyé un Blu-Ray/DVD de Tout en haut du monde, quelques images pour montrer dans quelle direction artistique je voulais aller. Nos influences japonaises, bien sûr, avec le fait qu’on ait présenté Tout en haut du monde à Ghibli face à Takahata. Je voulais aussi lui montrer cet aspect là, c’est à dire qu’on avait une certaine connexion avec le Japon. 

Tout s’est enchaîné très vite, j’étais occupé sur Calamity avec le storyboard et la direction de l’animation, il y avait tellement de signes qui montraient que ça allait se faire. Ça va vite, je me dis parfois que ça va peut-être un peu trop vite. 

Toutes les étoiles étaient réunies, même pendant la supervision de l’animation de Calamity, avec les producteurs une fois par mois, on faisait une lecture du bouquin ensemble pour en parler. Car si j’ai ma propre vision du film, il fallait que je fasse rentrer les producteur.ices dedans car iels ont chacun.e leur vision et ont des questions, car ce n’est pas un livre évident à adapter, c’est très intérieur. Je ne sais pas si tu as lu livre.

J’ai lu Métaphysique des tubes lorsque j’étais à la fac, j’en ai profité pour le relire avant Cartoon Movie et ton pitch. J’en avais un souvenir très abstrait, mais je me suis rendue compte qu’il était à la fois très visuel et mêlé à ce point de vue intérieur. Comment envisages-tu de ton côté l’adaptation, en terme d’écriture ? 

En terme de scénario, c’est encore à l’étude, nous avons lancé le casting de la co-scénariste qui travaillera sur le projet. Pour ce qui est de ma vision et de comment raconter l’histoire d’Amélie, mais surtout comment exploiter toutes ces réflexions philosophiques que tu peux trouver dans le bouquin. 

Forcément, tu ne peux pas adapter un bouquin texto en film, il y a un point de vue, une vision. Je sais que ce qui me touche le plus dans le livre c’est la relation entre Amélie et Nishio-San, sa nounou japonaise. A chaque fois qu’il y a cette scène où la nounou démissionne et Amélie la retient, pleure et crie, et tu vois toute cette vulnérabilité, ce changement de situation, ce changement de personnalité. ça a toujours été cette relation qui m’a touché le plus et j’ai toujours voulu articuler le film autour de cette tension. 

Comme tu as pu le constater, le livre n’a pas vraiment d’intrigue et ce sont des tranches de vie qui se succèdent. Cependant, tu as une évolution avec les différentes expériences qu’Amélie vit. Il y a toujours une évolution de sa personnalité et je veux vraiment la construire avec cette relation qu’elle a avec Nishio-san. Il faut vraiment tendre ce fil pour quand ce dernier rompt, il y ait un maximum d’émotion qui se dégage. 

Je trouve aussi comme toi le bouquin très visuel, déjà à 19 ans quand je l’avais lu, j’avais des images qui revenaient sans cesse. Je sais que la plupart des producteurs.ices me disaient “Mais comment tu peux adapter ce livre, il y a beaucoup de réflexions philosophiques” J’étais confiant sur le fait que c’est possible, forcément ce ne sera pas exactement le bouquin, mais j’ai envie d’y être fidèle. 

Il y a forcément des choses que tu dois raconter autrement qu’Amélie Nothomb. Elle a sa patte dans sa manière de raconter, il faut que j’utilise d’autres idées pour exprimer ce que veut dire Nothomb. Avec le film, le livre est assez réaliste, j’aimerais aller au-delà du réalisme. On peut aussi voir le monde au travers de son imagination.

Lorsqu’elle pense qu’elle peut séparer la mer en deux, lorsqu’elle pense qu’elle peut faire pousser les fleurs, lorsque pendant ses six premiers mois elle est ingérable et devient une sorte de petit monstre entouré d’une fumée noire et la découverte du chocolat blanc qui l’apaise et la révèle. Ces petites choses visuelles qui transcendent un peu le bouquin et le raconte d’une autre façon, tu vois. 

Cet humour aussi, bien sûr, il faut essayer d’en exploiter un maximum. J’aime le contraste entre sa pensée complexe et le résultat qui peut être juste un geste enfantin. C’est un truc que j’aimerais construire et qui va être difficile à faire, difficile à écrire, ce ne sera pas forcément comme dans le livre mais c’est là où je veux aller…

Dans le teaser, j’ai remarqué que les couleurs allaient être vectrices de ces émotions là…

Effectivement, mon souhait est de faire évoluer les émotions d’Amélie au travers des saisons. Si tu t’en souviens, elle devient consciente après le chocolat blanc au début du printemps et c’est là où elle a son apogée, elle est heureuse avec Nishio-san, tout est parfait. C’est le printemps, le hanami où les cerisiers sont en fleurs, tout est parfait. 

Petit à petit, j’ai eu envie que les couleurs dépérissent peu à peu jusqu’en automne, au moment de son anniversaire des ses trois ans, ce moment où, quelque part, tout s’écroule. Par exemple : elle souhaitait quelque chose en cadeau mais on lui offre des carpes koï qu’elle déteste absolument. Nishio-san démissionne mais revient puis elle découvre qu’elle devra quitter le Japon. Ils ne sont là qu’en mission en tant qu’expatriés. Son univers s’effondre et en terme de couleurs, j’ai aussi envie d’aller vers des couleurs plus acidulées, plus saturées pour petit à petit s’affadir et d’aller vers une forme de réalisme correspondant à cette situation. 

Lorsqu’elle naît, la vision périphérique peut être un peu floue. Plus elle grandit plus sa vision évolue, Métaphysique des tubes parle de ce changement entre l’état de bébé et celui d’enfant, j’aimerais exprimer ça au travers des couleurs et des saisons. 

Est-ce qu’il y a une adaptation live ou animée qui te semble le plus aboutie et qui est pour toi une référence pour ce projet ?  

En terme graphique, on peut imaginer, même si je n’aime pas faire cette comparaison là, mais prenons pour principe que Le voyage de Chihiro de Miyazaki soit très réaliste, et ensuite Ponyo beaucoup plus graphique, simplifié et pastel, plus chaleureux pour les enfants. Donc si Calamity est l’équivalent de Chihiro, Métaphysique des tubes serait Ponyo.

« Si Calamity est l’équivalent du Voyage de Chihiro, Métaphysique des tubes serait Ponyo » – Liane-Cho Han

En terme d’adaptation, pour être honnête, le film que nous cherchons à faire avec Métaphysique des tubes c’est un film d’auteur, mais aussi populaire. Avec ce film, je ne veux pas juste m’adresser à une élite intellectuelle parce qu’il y a des réflexions philosophiques mais je veux m’adresser aux gens comme moi je l’ai été à 19 ans. 

Comme je le disais dans ma présentation, je ne suis pas quelqu’un de très cultivé, je n’ai pas beaucoup lu. J’ai surtout joué au jeux vidéo et regardé des films d’animation japonais, peut-être pas n’importe lesquels mais voilà, ce livre m’a touché profondément. J’aimerais que le film touche de la même façon quelque soit ton origine, quelque soit ta culture. Faire en sorte que chacun soit émerveillé à différents niveaux. 

Que ce soit les enfants au travers de l’expérimentation d’Amélie ou les parents ayant ce questionnement par rapport à leur enfant. Moi-même je sous-estimais souvent mon fils en me disant “il n’est pas capable de faire ça, de comprendre ça”. Au final, je me rends compte que j’ai eu tort. Amélie c’est un peu la même chose, lorsqu’on lui dit qu’elle ne comprends pas qu’elle ne sait pas lire ou qu’elle ne peut pas comprendre le métier de diplomate, c’est ce genre de chose que j’ai envie d’exprimer, c’est à mon niveau un message que j’ai envie de donner aux parents.

Comme référence, je dirais le film de Takahata, Only Yesterday, même si ce n’est pas exactement le ton que je veux donner, mais j’aime bien cette nostalgie qu’il peut avoir, surtout le contraste entre le présent et le passé. 

Quand je vois que Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, qui est à la fois un film d’auteur et populaire, possède des moments qui ne sont pas totalement réaliste, comme lorsqu’Amélie Poulain se décompose et se transforme en flaque d’eau, des choses assez graphiques qui expriment aussi son émotion mais aussi un côté drôle. 

C’est ce genre de choses que j’aimerais faire dans Métaphysique des Tubes, sans dire que ce sera exactement comme ces films là. Ces films peuvent m’inspirer, mais des films comme Ponyo ou Mon voisin Totoro qui évoquent aussi l’enfance. Cette innocence, cette façon dont les enfants bougent…

Après, un film qui m’a pas mal touché et qui n’a rien à voir avec les précédents, c’est aussi une adaptation d’un livre à succès : Le hérisson avec Josiane Balasko. Il y a quelques éléments qui coïncident, comme le Japon et la jeune fille qui ne se sent pas à l’aise dans son milieu. J’aime beaucoup l’humour et la poésie de ce film. 

J’ai d’ailleurs contacté sa réalisatrice, Mona Achache, car je voulais qu’elle intervienne sur le film et elle s’est montré très intéressée par le projet et ma démarche. Comme elle est très occupée, on réfléchit à comment elle pourrait intervenir sur le film. Je suis content que des gens comme ça voient le potentiel de Métaphysique des tubes, c’est donc aussi une des références…

Par rapport à l’animation adulte, depuis quelques années, on peut percevoir une revendication plus forte à ce sujet sur les réseaux sociaux (ce qui n’est pas négatif en soi). Comment perçois-tu cette envie alors que ton projet vise les deux publics,  jeune comme adulte ?

Bien sûr, il y a maintenant une grosse volonté autour de l’animation pour adulte parce qu’il y a cette frustration autour d’une animation pouvant être trop stéréotypée, estampillée pour enfant. En phase de recherche de financement, c’est pas évident, on le voit quand tu veux faire des projets pour adultes. Dans ma démarche, j’aurais pu faire un film pour adulte mais je sentais que Métaphysique des tubes pouvait avoir une portée universelle. 

Après, je suis totalement fan d’un film comme J’ai perdu mon corps, c’est film adulte merveilleux mais qui peut être accessible à une partie du jeune public, plutôt adolescent. J’ai la volonté de réunir enfants et adultes car pour moi, le livre s’y prête. 

Après je comprends les adultes qui veulent s’approprier leur animation, je les comprends, ils veulent plus de trucs comme Lastman, plus de trucs comme J’ai perdu mon corps. J’en suis moi-même friand et c’est mon souhait que l’animation ne soit pas juste cantonnée aux enfants. J’essaye de tendre vers ça, Miyazaki et Takahata ont déjà réussi ce pari-là. 

J’ai perdu mon corps

Oui, bien sûr, ces films existent déjà ! 

Tu a vu Tout en haut du monde et quand tu verras Calamity, c’est ce qu’on essaye de faire aussi. Là, Tout en haut du monde a eu du succès au Japon, le public japonais a été très réceptif au film. Voyons comment ça se passera avec Calamity qui a une cible encore plus jeune. On verra comment ce sera perçu, en tous cas, dans les films qu’on cherche à faire, oui, on essaye de faire des films pour un large spectre. 

On est la “génération Club Dorothée” et on a eu la chance d’avoir accès à de l’animation plus ado-adulte. On a été bercé là-dedans et on a envie qu’en Europe, on fasse aussi plus de choses comme ça. C’est bien, j’ai l’impression que ça commence à se faire. Quand tu vois un film comme Your Name, avec le buzz au Japon, touche aussi le public français et que les gens se déplacent, c’est ce que j’espérais avec Tout en haut du monde, mais bon, on n’a pas eu beaucoup de communication. 

A l’époque, on n’a pas fait beaucoup d’entrées, mais c’était un problème de communication plus que de critique. Malheureusement, en France, les distributeurs peuvent être assez frileux pour communiquer sur les films un peu indépendants. 

C’est compliqué… 

Tout en haut du monde, c’était une histoire compliquée (ndr : évoquée lors de l’interview précédente) mais j’espère que pour Calamity, ils vont y croire et vraiment investir. Donc, nous verrons bien…

Merci pour cette interview !

Métaphysique des tubes

Tous nos remerciements à Liane-Cho, Claire et Louis de Maybe Movies pour leur disponibilité. 


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