Interview – Pluie, beau temps et 360 degrés avec Felix Massie, réalisateur de « Rain or Shine »


Je ne connaissais pas Felix Massie avant de découvrir le programme de démonstration de courts-métrages VR organisé par le festival d’Annecy, mais j’ai été très contente de décrocher une interview avec lui. Un exercice particulier, puisque que j’ai vu Rain or Shine avec le cardboard Google environ deux minutes avant de retrouver le réalisateur ! Une rencontre très sympathique, ponctuée de nombreux rires, et qui commence par une pique de ma part…

Est-ce que vous vous moquez des personnes qui se promènent avec le cardboard sur la tête ?

C’est vrai que c’est drôle de les voir s’appuyer au mur parce qu’ils ne veulent pas tomber !

Et ils tournent sur eux-mêmes aussi. Surtout quand la scène devient toute noire et qu’il pleut à verse, on essaie de suivre la petite fille des yeux mais elle court partout. J’allais tomber tellement j’avais le tournis !

(Rires.)

Dites-moi. S’il y a une paire de lunettes qui peut faire pleuvoir, y-a-t-il quelque chose pour ramener le soleil ?

Ôter les lunettes ?

Rien d’autre ? Parce que je ne les portais pas hier et il pleuvait donc…. Peut-être un parapluie magique ou quelque chose du style ?

Essayez de les mettre et de les enlever à nouveau, c’est le seul moyen.

Jusqu’à ce que ça fonctionne.

Si vous le faites assez longtemps, ça finira par fonctionner ! (Rires.)

D’où vient l’histoire ? Aviez-vous une totale liberté de sujet ?

Google nous a approché, en tant que studio, pour développer un logiciel avec eux et l’utiliser pour écrire une histoire. Ils n’ont pas dit ce qu’ils voulaient, je crois qu’ils ont laissé un document qui expliquait ce qui fonctionne ou non avec la réalité virtuelle, mais nous avions vu les trois courts-métrages qu’ils avaient déjà fait : Windy Day, Buggy Night et Duet, qui est celui de Glen Keane. Donc les réalisateurs de Nexus ont donné des idées pour des histoires 360.

À la base j’ai juste proposé une idée que j’avais déjà pour un film et qui, selon moi, bénéficierait d’être en 360 et serait cool à faire. Ensuite j’ai de plus en plus réfléchi à ce que j’avais aimé dans les courts qui existaient et je suis parti de ça. Dans Buggy Night, tu te promènes la nuit avec une torche et les insectes, en essayant de te fuir, se font manger par une grenouille. C’est une idée très simple, mais qui est en réalité très technique.

J’aime l’idée que le fait même de regarder le film change ce qui s’y déroule, ou du moins nous donne cette impression, celle d’être une partie du récit. Donc l’idée de base était que le spectateur ruinait la journée de la petite fille parce qu’en la regardant il ramenait les nuages au-dessus d’elle, qui prenait la pluie. Et ils l’ont aimé, donc on y est allé. Mais on aurait pu faire n’importe quoi d’autre.

J’ai rencontré Patrick Osborne hier, et il m’a dit qu’il a utilisé le son pour attirer l’attention des spectateurs. Quelles astuces avez-vous utilisées ?

Le son également. On a des emphases sur certains éléments : le son « réagit » à certains mouvements ou personnages. On a eu du mal à rendre évidente la relation entre le son et une personne particulière. On a aussi des astuces plus proches des films traditionnels, comme un titre qui apparaît sur l’écran au début, puis la musique démarre et la caméra va en avant. C’est quelque chose de classique, on est habitués à voir un titre en début de film et de suivre la caméra qui bouge, c’est qu’on regarde au bon endroit.

Les personnages marchent vers là où se situe l’action, comme le postier qui vous mène jusqu’à la porte de la maison, c’est la seule chose qui bouge au début du film. En fait il y a un pigeon sur un banc qui s’envole vers la porte d’entrée, et ensuite le postier arrive. Donc vous avez deux choses qui disent « ok, c’est là que je dois regarder », parce que je pense qu’en 360 la tentation est de regarder partout pour voir ce qu’on loupe. En plus, quand le film avance et que la petite fille va de lieu en lieu, si on regarde toujours l’endroit d’où elle vient, le pigeon apparaît, se fait chasser par le chat et vole vers le nouvel endroit de l’action. Donc on est rassurés par ça, c’est là où on doit être. “Vient par là” en somme !

Y-a-t-il quelque chose que vous vouliez faire et qui n’a pas été possible ?

En réalité virtuelle ? Pas vraiment. Ce projet consistait à travailler avec Google pour développer un logiciel et on a pu faire ce que l’on voulait. On a travaillé avec eux sur le logiciel dans une certaine mesure, on était du genre “ouais, je veux que la réalité virtuelle fasse ça” et ils nous ont aidé à le faire, à le rendre possible. Faire le film m’a donné tellement d’idées que je voudrais essayer en réalité virtuelle, mais dans des films totalement différents.

C’est un processus très inspirant parce qu’on apprend tout du long. Et on réalise, pas nécessairement, qu’on a loupé des choses évidentes, mais qu’il y en a d’autres très bonnes à faire. Ça pourrait être un petit élément dans un film, ou une bien plus grande partie d’un autre film. En fait, je ne pense pas qu’on puisse regretter d’avoir fait un film. C’est toujours un sentiment agréable de se dire qu’on pourrait faire quelque chose de plus si en on avait la chance.

Vous allez donc en faire d’autres ?

Oui, j’ai toute une liste de choses à faire avec les différents aspects de la réalité virtuelle.

Votre prochain projet est aussi un film 360 ?

Oui oui oui.

Vous êtes tombés amoureux de la réalité virtuelle !

C’est vrai… C’est une nouvelle manière de faire un film. J’ai choisi les films 360 parce que j’adore en faire, j’adore réaliser des courts-métrages, j’adore travailler la réalité virtuelle. C’est tout à fait autre chose !

Rain or Shine est présenté comme “le court-métrage le plus interactif du studio à ce jour”: pourquoi cela ?

Pourquoi ? Comment ça se fait ?

C’est justement ma question !

Et bien…. Pour moi c’était un peu le rêve de tout réalisateur. Vous savez quand on vous donne des lunettes 3D au cinéma et que vous regardez le film, certaines personnes n’aiment pas ça et se demandent où est l’intérêt de la 3D. Quand Google Spotlight est venu me voir, on ne voulait pas faire un autre film au format traditionnel. Et pour moi ce qui rend Rain or Shine excitant c’est que le film sait ce qu’on regarde et il sait comment on bouge, et il réagit en fonction. Et je pense que c’est quelque chose de vraiment super dans la découverte de la réalité virtuelle. Il se peut que quelque chose de drôle se passe plutôt que rien du tout, enfin si on ne regarde pas au bon endroit rien ne se passe, mais on a un niveau d’interactions étendu.

Comme je l’ai déjà dit, le chat chasse le pigeon qui atterrit sur le cône de glace, et c’est un détail sympathique parce que le pigeon ne peux pas atterrir sur la glace si on ne voit pas le chat le chasser. Et on a une pub avec des gens qui boivent à l’extérieur, si on les regarde plus souvent, les verres s’accumulent à chaque fois. Du coup si vous les regardez beaucoup, au moment où ils partent en courant pour fuir la pluie, ils sont vraiment énervés. Mais si vous ne les avez pas regardé ils se contentent de courir, rien de plus. Je pense que ce genre de détails fait la différence. La façon dont on regarde le film change le dénouement, ce qui est super intéressant pour moi, mais c’est peut-être aussi ce qui le rend plus interactif que les autres, je suppose.

Comment avez-vous procédé pour le storyboard ? Ça semble impossible à faire !

Quand nous avons commencé on pensait devoir storyboarder les 360° d’un coup, mais il n’y a pas forcément toujours plusieurs choses qui se déroulent en même temps. Du coup quand on a développé… Je peux peut-être vous le dessiner si vous avez un stylo et …

Bien sûr !

Une feuille ! (Felix répond ensuite à ma question en illustrant son propos avec le schéma ci-dessous).

Comme ça je peux vous expliquer. Donc, dans un film traditionnel on a une ligne temporelle qui va d’un point A à un point B, avec des événements potentiels entre les deux (ce qu’il a représenté en haut du dessin avec un segment horizontal). Dans un film 360 tu as le temps et l’espace : tel événement se déroule à tel endroit, puis le personnage va à un autre endroit, et l’événement s’y produit aussi (ici, regardez la diagonale du deuxième schéma).

C’est à peu près la même chose jusqu’ici, sauf qu’on inclut l’espace. On a donc colorié tout ça en jaune et on l’a appelé “all go on the tread” (toujours ces cases de la diagonale, qui sont donc les éléments du fil de l’histoire). Et du coup on savait que tous les autres espaces avaient besoin que quelque chose s’y passe, ou pas, mais nous avions la capacité d’y faire se dérouler quelque chose.

Au final on a simplement storyboardé le fil parce que c’était notre histoire principale, et comme on savait ce qui se passait et où, on a pu le faire comme pour un film traditionnel. De même, chaque sous-intrigue avait son propre storyboard, qui était lui-même une petite partie du storyboard général du film, et les cases espace-temps concernées étaient mises en couleur pour signaler que quelque chose se déroulait à tel endroit à tel moment.

On se croirait en cours de mathématiques !

Oui, j’ai toujours pensé que c’était comme quand tu as un tournoi de football et qu’il faut définir les rencontres des équipes.

Une vraie matrice, ça me rappelle mes années lycée !

Navré ! (Rires)

Je crois que vous êtes le plus jeune artiste à diriger un court-métrage Google Spotlight. Comment y êtes-vous arrivé ? Est-ce que vous avez ressenti une pression particulière face aux grands noms qui vous ont précédés ?

Je ne sais pas pourquoi ils m’ont choisi et pas les autres, peut-être que c’était juste pour l’idée. Mais je sais qu’ils avaient Glen Keane sur un projet, et ils ont basé leur choix sur des films que j’avais fait avant et qui avaient été écris avec des enfants. Je pense que ça a aidé, tous ces éléments combinés à ma proposition.

En ce qui concerne la pression, il y en a pas mal… Tout le monde sait qui est Glen Keane et il a réalisé un court-métrage Google Spotlight devant lequel tout le monde a fait « wowww ». Je crois que notre force c’est que nous n’avons pas essayé de faire mieux que l’animation de Keane, on a essayé de faire quelque chose d’un peu différent, et c’est peut-être pour ça que notre court-métrage est légèrement plus attractif que les autres.

D’un autre côté… Imaginons que nous sommes en animation traditionnelle. Je ne refais pas La petite sirène donc je n’ai aucune raison d’avoir la pression. Parce que je n’ai pas à rivaliser avec La petite sirène !

Oui ça serait difficile, surtout que c’est l’un de mes préférés (Rires) !

Quel sera le futur des films à 360 degrés, d’après vous ?

Chez Nexus, Chris (ndlr : Christopher O’Reilly, cofondateur de Nexus) dit toujours que la VR n’est pas quelque chose de spécifique et que les courts Google Spotlight n’en sont qu’une partie. Quand tu mets ton casque tu penses savoir – ou peut-être pas du tout d’ailleurs – quel genre d’expérience ça va être, que tu vas te retrouver dans la forêt amazonienne et découvrir à quoi ça ressemble en regardant autour de toi, ou que tu vas regarder une vraie histoire.

J’ai l’impression que certaines personnes mettent le casque et disent « oh cool » puis l’enlèvent. Mais j’espère que, comme les histoires racontées avec la VR deviennent plus courantes, les gens seront davantage enclins à mettre un casque pour entrer dans le récit. Je pense vraiment que ça va surmonter les appréhensions, de ce que les gens attendent du niveau de narration.

Je suppose aussi que, comme tout fonctionne en temps réel sur le téléphone, la technologie ça s’améliorera en même temps que les téléphones gagneront en puissance et que nous aurons une puissance de traitement de plus en plus impressionnante. L’aspect social devrait changer aussi. Pour l’instant chacun regarde dans son coin, et je ne dis pas qu’ils pourront partager le même Cardboard, mais qu’il sera possible de regarder la même chose, ensemble dans le monde virtuel mais séparés dans la vie réelle, même d’un pays à l’autre.

De même, ça va sans aucun doute brouiller les lignes entre ce qu’est un film et un jeu vidéo. Il y aura des choses très différentes, certaines ne seront pas du tout des jeux vidéo mais des films sans aucune interaction avec une vue à 360 degrés, et d’autres non. Ça va faire « pouf » et partir dans tous les sens !

Merci à vous pour cet interview !

Tous mes remerciements à Fumi Kitahara pour la mise en contact.


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