Critique – 25 April


Le comité de sélection d’Annecy a le chic pour déterrer des films singuliers dans leur traitement et c’est ici 25 April de Leanne Pooley, qui remporte la palme de l’originalité : un documentaire en 3D cel shading ? Une idée forte pour un concept encore inédit jusqu’ici, celui qui traite de la guerre. Un bien vaste programme pour ce premier long-métrage d’animation.

L’histoire de l’invasion néozélandaise à Gallipoli en Turquie est ici ressuscitée à travers un monde repensé pour un public actuel, à la manière d’une bande dessinée. Les expériences de la Première Guerre mo9ndiale sortent des habituelles archives en noir et blanc pour prendre des couleurs vives et dynamiques.

Animé de A à Z, 25 April de Leanne Pooley ose enfin faire une chose auparavant fortement limitative pour le genre du documentaire d’animation : s’affranchir des sources visuelles et de l’aspect archive que peut avoir ce genre d’événements pour un public contemporain.

Ici, la réalisatrice se concentre sur des pièces écrites, des lettres, des journaux intimes pour rejouer ce qui fut écrit et exprimer l’état d’esprit des témoins de l’horreur, modélisés en 3D cel shading et intégrés à des décors en 2D/3D. On retrouve un rythme binaire typique du documentaire, mais associé à une reconstitution subjective du plus bel effet.

Car de mise en scène, 25 April n’en manque pas. Le film se permet des mouvements de caméra et des métaphores qui sont la plupart du temps proscrits des documentaires live, tout en évitant avec talent le piège du sensationnalisme lié à la représentation de la guerre à l’écran.

Avec un côté pédagogique sur les enjeux liés à la prise du détroit pour les britanniques, le film nous plonge dans la vacuité de la campagne de Gallipoli, où les soldats venus du Commonwealth sont de plus traités avec encore moins d’humanité par les généraux britanniques, tandis que l’esprit de corps des différents soldats de l’Anrac se forge au rythme des quelques victoires temporaires.

On assiste lors des combats à des fulgurances graphiques bienvenues, évoquant avec un peu d’abstraction la brutalité et la mort. Alors que les séquences plus calmes nous donnent à voir des champs de cadavres, dont le détail des décors sous formes de crayonnés laisse à voir tous les ravages que la nature, peu clémente, fait subir aux corps.

Ce qui nous ramène à nos témoins, dont l’un fauché en plein conflit, disparaît littéralement de l’image alors même qu’il témoignait de ce qui lui arrivait, une flaque de sang apparaissant sur son torse à mesure qu’il s’éteint, dans une belle torsion d’un dispositif de mise en scène documentaire, toujours perçu comme un élément immuable du genre.

D’autres images, parfois délirantes, issues du rapport à la nature, sont notables comme la vermine qui dévore les soldats, la maladie, une présence des corbeaux, qui légitime à la fois une caméra virevoltante et un sens de la malédiction qui hante ces forçats de la guerre.

Le point de vue de l’infirmière, moins typé dans sa mise en scène, permet de constater le lourd tribut payé par l’Anzac, tandis qu’un officier de liaison se lamente du manque de considération de la hiérarchie et du peu d’efficacité des stratégies alliées.

Il y a tout de même quelques faux pas esthétiques dans le métrage, comme une intégration des modèles 3D assez limités dans les environnements 2D, et certaines scènes sont un peu trop statiques. Elles auraient nécessité plus de budget pour atteindre leur pleine efficacité, mais 25 April se débrouille déjà très bien tel qu’il est.

Au final, j’espère que nous aurons droit à plus de documentaires animés de ce style, qui ose une utilisation totale du médium pour pousser son histoire et son message sans avoir forcément à se retrouver assujetti à la création d’images live.



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