Analyse en prose – Le(s) Monde(s) animé(s) de Grimault, en version restaurée !


Cette fin d’année 2019 nous donne la chance de voir réapparaître sur le grand écran : Le Monde Animé de Grimault. A l’occasion du festival Lumière de Lyon dédié au cinéma, Tamasa diffuse depuis le mois de novembre 2019 les œuvres de Paul Grimault (aussi régulièrement scénarisées par Jean Aurenche et Maurice Blondeau) : Un ensemble de 8 courts métrages restaurés par le laboratoire Hiventy sous la supervision du Studio Canal avec le soutien de la CNC. Produits initialement par la société de film d’animation d’André Sarrut « Les Gémeaux », on retrouve à l’animation de ces 8 films l’équipe dénommée au générique : Henri Lacam, Jean Vimenet, Gabriel Allignet, Alberto Ruiz, Léon Dupont (les policiers jumeaux dans Le Voleur de Paratonnerres), Savitry et Georges Juillet. Un ensemble de petites mains pour de grandes histoires courtes. Les bandes originales sont généralement de Marcel Delannoy ou Roger Desormière. Majoritairement travaillés en Technicolor, sauf pour les quelques noir et blanc évidemment. Pour la projection en salle, deux sélections différentes pour les diffusions scolaires. Celle des tout petits étant principalement tourné sur le « gag » du « qui attrape qui ». La deuxième avec plus de complexité d’univers et d’enjeux.

Le Monde Animé de Grimault

Je vous propose de plonger avec moi dans chacune de ces animations poétiques, de profiter des musiques et des bandes sonores, de vous régaler des couleurs et des corps élastiques aux grandes émotions…

I – Le Marchand de Notes (1942)

Scénario : Paul Grimault et Jean Aurenche Musique : Marcel Delannoy

Le monde animé de grimault

C’est un magasin qu’on ouvre et qui se déplie. Une jolie boutique en boîte à musique. Les gestes de Grimault sont désarticulés et souples, les personnages ondulent et ne cadencent pas. Les partitions sont des recettes à suivre qu’on interprète. On pèse, on verse, on teste, on admire. Un troubadour triche avec les apparences, et l’argent. Il aime la musique et la poupée. Elle se joue de lui en une jolie chorégraphie punitive. Trop occupé à se moquer, la cacophonie nous fait perdre le fil de l’histoire. C’est déjà l’heure de faire le plein de noirs, de blanches. Le piano fait le plein, et en veut pour sa note salée. La poule aux notes d’or. On se fait passer le la pour s’accorder. Mais le garnement s’est acharné et ensorcelle la belle, puis l’orchestre. Ce flûtiste aux allures d’Hamelin trace sa route, les chemins en dédale de partitions. Il faut s’enfuir car la musique est belle lorsqu’elle est libre et amoureuse.

Le monde animé de grimault

II – Le Voleur de Paratonnerres (1944)

Scénario : Maurice Blondeau et Paul Grimault, d’après une idée originale de Jean Aurenche Musique : Jean Wiener et Roger Desormière [Grand Prix du dessin animé, Biennale de Venise, 1946]

Le monde animé de grimault

Il fait nuit, et la pluie va sûrement tomber sur Paris. Les chiens gardent les toits, et aboient dans la nuit noire. Un voleur rôde. Il se joue du temps, de la loi. Un petit chiot attaché à son paratonnerre se prend d’affection pour le petit voleur (serait-il blond, à la bonne heure). Le voleur est artiste, funambule entre les toits, son paratonnerre lui sert de saut à la perche. Les policiers braquent la porte d’autrui… quelle ironie ! Tout est bon pour rattraper cet oiseau voleur de tonnerre. C’est celui-ci qui l’arrête justement, il est électrisé et en perd ses vêtements, mais pas sa dignité !

Le monde animé de grimault

III – Le Petit Soldat (1947)

Scénario : Jacques Prévert et Paul Grimault, d’après le conte d’Hans Christian Andersen. Musique : Joseph Kosma [Prix International, Biennale de Venise 1948 (ex-æquo avec le long métrage Melody Time de Walt Disney) – Grand Prix, Festival de Rio de Janeiro 1950 – Grand Prix du Dessin Animé, Festival de Prague 1950]

Le monde animé de grimault

C’est une énième soirée d’hiver, un village enneigé et une douce musique de violon. Conte hivernale aux couleurs d’un Nord local. A l’intérieur du magasin de jouet, une poupée danse. Un petit acrobate s’anime si on lui remonte le cœur. Il se l’anime seul pour impressionner la poupée. Dans une boîte, le vilain aux grands yeux jaloux. Les soldats de plomb lancent l’appel au son de sa trompette et du tambour de l’armée. Les humains dorment en paix. Il y a un arrêté publié. « Destruction général de tous les jouets ». Les jouets s’en vont au front. Et le magicien dans sa boîte se cache et déserte. Ce sera plus facile ainsi de conquérir la belle esseulée… Les animaux de Brême entonnent une douce valse mélancolique. Incitant le nouveau couple à danser… Mais la poupée est paralysée d’avoir vu son amour s’en aller. Elle n’est plus que chiffe molle, sans volonté. Bientôt la Toupie perd la tête à forcer une Rafle vaine. Et se noie.

Le monde animé de grimault

Plus loin, le jeune acrobate revenu soldat traverse un no man’s land de neige. Il n’a rien oublié de sa belle et de ses chorégraphies amoureuses, seulement sa jambe ne le porte plus. Et le Magicien peut facilement lui arracher le cœur. Sans amour et sans jambes, l’acrobate finit sa route dans une rivière glacée que seul un corbeau noir peut accompagner. De voir le cœur de son amour dans la poche du magicien, la poupée se révèle en héroïne et court rattraper le jouet de son âme. Quelques tours de cœurs, et le revoilà dans ses bras, le magicien piégé dans sa hargne se voit dévoré par les corbeaux vengeurs, qui protègent les amoureux.

Le monde animé de grimault

IV – Le Diamant (1970)

Scénario : Jacques Prévert et Paul Grimault Musique : Jacques Loussier

Le monde animé de grimault

C’est le futur, ou peut-être pas si loin que ça. Le docteur Savantas est un vampire qui fait le plein à la pompe du sang de la prison, dans son désert aux nuances d’un tableau de Dali. Dans un village autochtone aux allures des îles, les habitants presque dénudés vivent avec des diamants colorés. Des nids, ou des balles en sarbacane, le diamant n’est pas denrée rare dans cette contrée. Mais le Vampire lui en a repéré le plus gros représentant, et compte bien s’en emparer. Se protégeant du soleil et de la chaleur avec des grands habits, il convertit les enfants avec un parapluie. Cadeau odieux pour qui connaît la valeur sacrée contre laquelle il essaye de l’échanger. Apportant la solution à un besoin encore inconnu, la tribu ne craint pas la pluie, au contraire, elle est aussi rare pour eux que les diamants pour lui. Le parapluie mensonger devient un engin à torturer. Que les technocrates savent ne pas manquer d’hypocrisie quand il vient question de tout piller.

Le monde animé de grimault

Moralité : En tentant à tout prix de s’offrir une richesse non méritée, le risque est de se retrouver seul, avec un diamant pour boulet aux pieds.

V – Le Chien Mélomane (1973)

Scénario : Jacques Prévert et Paul Grimault

Le monde animé de grimault

Le chien d’un ingénieur, ne supporte plus la lubie violoniste de son maître. Le violon ultrasonique ! Qui parfois réussi de belles notes, et trop souvent casse les oreilles et brûle les arbres avec des fausses notes. Mais parfois, elle lui réussit, quand il s’agit de punir quiconque se trouvant sur la bonne tonalité. Que ce soit pour punir un salarié, détruire un avion ennemi, puis le navire de l’autre ennemi. Fournir la bonne tonalité tueuse, est une bonne machinerie funèbre que l’ingénieur violoniste fait payer. Ces concertos pour violon mènent les pays à leur destruction. Mais leur cacophonie n’atteint pas l’ingénieur, jusqu’à ce que, rentrant chez lui, il se rend enfin compte de ce qu’il a transmis à son chien. Insoumis à son maître, il ne recherche aucune destruction dans l’art mélodique. C’est dans un triste son de sirène, que le violon devient muet, tandis que résonne le sifflement d’autres armes d’autant plus mortelles.

Le monde animé de grimault

VI – Les passagers de la Grande Ourse (1943)

Scénario : Maurice Blondeau et Paul Grimault Musique : Jean Wiener et Roger Desormière

[Originellement en couleurs, les recherches n’ont pas permis de retrouver les éléments couleurs, il est donc proposé en noir et blanc]

Le monde animé de grimault

Les pauvres peuvent-ils participer aux grands avancées dont les riches aiment tant se vanter ? Sûrement, mais surtout par accident ? C’est ce que nous raconte ce duo cachée dans le départ de la grande ourse. Le jeune garçon et son chien tentent de dompter la technologie de ce zeppelin aux allures de Titanic. Ils sont déjà si loin quand ils s’aperçoivent qu’il leur faudrait rentrer. Passagers clandestins, le voyage est une galère sans rames. Pour échapper à la mort, on vole comme on nage, on s’accroche comme on mord. Trop habitué à la cruauté, on peine à se sortir de la torpeur d’être rejeté. Mais de l’humain à l’automate, on serait fort surpris de se trouver fort bien traité.

Le monde animé de grimault

VII – L’épouvantail (1943)

Scénario : Jean Aurenche, Maurice Blondeau et Paul Grimault Musique : Jean Wiener et Roger Desormière [Prix Emile Reynaud 1943]

Le monde animé de grimault

C’est le matin, le coucou ébouriffé tente de réveiller l’épouvantail, il veut voir sa belle. Et l’épouvantail ne les fait pas fuir, il est leur chambre particulière. Chapeau bas pour ce protecteur des amoureux. Mais pas trop bas le chapeau, car ce chat profiterait bien de leur dîner aux chandelles. Heureusement, les deux tourtereaux ont plus d’un tour dans leurs plumes… À commencer par leur allié fait de paille !

Le monde animé de grimault

VIII – La flûte magique (1946)

Scénario : Roger Leenhardt et Paul Grimault Musique : Marcel Delannoy

Le monde animé de grimault

Un charmant petit ménestrel et son petit chien empêche de dormir, pas n’importe qui voyons, le Sir de Massouf. L’enfant musicien insiste ? Qu’à cela ne tienne, nous le priverons de tout moyen d’expression. Même les oiseaux ici sont des soldats-corbeaux sans paroles et sans réflexions. Mais qu’est-ce que ceci ? Un moineau qui veut bien chanter ? L’effronté se change en flûte pour permettre à la musique de continuer. Entraînant l’ensemble des objets et de la populace dans son bal révolutionnaire.

Le monde animé de grimault

De 1942 à 1973, le dessin et la technique changent, évoluent. Mais persiste le grotesque, l’abstrait et les envolées de personnages désarticulés aux gestes exagérés. Les objets se meuvent et les humains se meublent. Tout est sens dessus et sans dessous. Pour Paul Grimault, l’amour est une aventure qui se raconte, et se pare de mille péripéties. L’amour est une vie sociale. Avec ses très hauts et ses très bas. Les films vont des amourettes ludiques, au plus grand chagrin d’amour… Comme dans Le Roi et L’Oiseau, Grimault et son équipe nous racontent les amours souvent contrariés et régulièrement sauvés par des alliés inattendus. On retrouve des thématiques aussi récurrentes qu’elles nous en paraissent familières : Celle du petit garçon espiègle, généralement blond. Les innocences toujours sous les traits des chiots ou des oisillons. La méchanceté sournoise drapée derrière d’affreuses moustaches soulignant des regards globuleux. Le ridicule des chutes, des poursuites au sein de paysages aussi labyrinthiques que vertigineux… Et l’amour, surtout l’amour, en vers et contre tout. Retrouvez l’ensemble de la filmographie de Paul Grimault sur le site consacré ainsi qu’une belle analyse pour Le Monde Animé de Grimault dans le dossier de presse de TAMASA , que nous remercions encore ici !



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