Critique – Rock Bottom


Diffusé en compétition l’année dernière au Festival International du Film d’animation d’Annecy, ce premier long métrage de María Trénor est arrivé en salles depuis le 9 juillet.

À partir de l’album mythique éponyme de Robert Wyatt, Rock Bottom nous plonge dans l’histoire d’amour vertigineuse de Bob et Alif, deux jeunes artistes de la culture hippie du début des années 1970.

Le récit de Rock Bottom nous plonge in situ au cœur d’une soirée bien arrosée et corsée de stupéfiants où le chanteur Robert Wyatt finit par chuter de quatre étages et se retrouve paralysé des deux jambes. A partir de ce moment-là, on déroule de manière alinéaire le fil de sa relation créative et amoureuse avec l’artiste, parolière et illustratrice Alfreda Benge.

Appuyés par la rotoscopie, Bob et Alfie se dévoilent de manière aussi onirique que crue dans leur consommation de drogues. Le film ne détourne pas le regard sur les problématiques difficiles présentes dans le couple, ce qui implique le retour continuel vers de multiples échappées pour simplement tenir leur union. On comprend aisément qu’il s’agit d’un point de tension dans leurs échanges.

Bob et Alfie évoluent dans un environnement volatile et bohème où la création se fait au sein d’espaces privilégiés où l’argent ne semble pas poser trop de problèmes pour nos protagonistes, induisant la bourgeoisie dont ils proviennent en grande partie. On peut rapprocher l’effervescence majorquine au bouillonnement culturel du Chelsea Hotel de New York à la même période, bien que socialement très différent. La transversalité entre les arts s’exerçait pour encourager les expérimentations dans ces différents domaines. 

Le désavantage à explorer ce domaine musical aussi vaste se situe dans la profusion de personnalités et le fait que l’on peut s’y perdre facilement si on n’est pas intéressé par le rock psychédélique.Une approche plus didactique aurait facilité l’introduction à cet ensemble créatif. 

Outre la dimension musicale de Robert Wyatt, le long métrage met en lumière le travail artistique d’Alfreda Benga. On comprend que la plasticienne touche à la vidéo et au montage en faisant exister son univers surréaliste. Ses œuvres s’enroulent dans la mouvance rock psychédélique dont fait partie son compagnon. La touche d’animation traditionnelle polonaise donne un aperçu assez saisissant de ses travaux. 

La réalisatrice María Trénor a réussi à installer un équilibre de points de vue entre Bob et Alfie. On ressent aussi la présence réelle des femmes dans cette période, que ce soit dans l’appréciation même du son ou juste dans la vie artistique. Elles ne sont pas accessoirisées ou placées seulement à titre de groupies, un lieu commun présent dans de nombreux biopics d’artistes musicaux masculins.  

Il est assez rare qu’un biopic propose, avec l’accord des artistes, une narration possédant une distance critique sur les pratiques de l’époque. On peut citer le film Frida et plus récemment Rocket Man. Cette remise en question du traitement de leur image même est salvatrice pour créer cette considération sans filtre de la figure de l’artiste, trop souvent hagiographique au cinéma.  

Le visionnage de Rock Bottom peut se vivre comme une traversée musicale artistique et  psychédélique. Il est toutefois conseillé d’avoir une sensibilité musicale ou un attrait pour les années 70 pour apprécier le voyage à sa juste valeur. Rock Bottom est exigeant et ne peut hélas pas être considéré comme une porte d’entrée à cet univers pourtant stimulant pour le spectateur, qui devra faire des recherches lui-même de son côté pour saisir la portée du film.



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