Critique – La mort n’existe pas


La mort n’existe pas, un titre bien mystérieux énoncé comme une vérité, un secret dévoilé. C’est le troisième long métrage du réalisateur québécois Félix Dufour-Laperrière (Ville Neuve, Archipel), sorti au début du mois d’octobre au cinéma et distribué par UFO Distribution (Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau, Le Secret des Perlims).

Il s’agit là d’une œuvre d’animation singulière, comme un kaléidoscope d’images oscillant entre poésie et violence pour porter un message universel et introspectif sur l’engagement militant et le désir de vie.

Lors d’un attentat contre de riches propriétaires, Hélène abandonne ses compagnons et s’enfuit dans la forêt. Manon, son amie et complice lors de l’attaque, revient la hanter, pour lui offrir une seconde chance. Ensemble, elles affrontent le choix impossible entre violence et inaction. Si c’était à refaire, jusqu’où Hélène ira-t-elle cette fois au nom de ses idéaux ?

La mort n’existe pas est ma première incursion dans l’univers du réalisateur ; ma première fois aussi avec un objet cinématographique aussi particulier.

Je choisis de parler avant tout du visuel car je n’avais encore jamais vue une animation qui traite chaque scène comme un tableau mouvant. Le film s’ouvre sur des statues d’or, ornant la riche demeure, des symboles forts et parfois inquiétants ; le loup, un couple enlacé, et l’héroïne elle-même, figée dans sa peur et son incertitude.

La transformation presque incessante des formes et des ombres tisse le lien avec la propre transformation intime du personnage d’Hélène, que l’on découvre à l’instant fatidique précédent l’attentat et que l’on suit dans sa déambulation psychologique, désincarnée, comme un rêve-cauchemar, à travers la forêt alors qu’elle tente de trouver la réponse à la question posée par son amie qui la hante : « si c’était à refaire, agirais-tu de la même façon ? »

Le réalisateur revendique une forte influence picturale d’artistes québécois comme Marc-Aurèle Fortin, Marcelle Ferron ou René Richard. La palette est restreinte mais profonde et vive, se métamorphose au gré des lumières et des changements d’environnement. Entièrement dessinées à la main, les images du film posent des questions, nous projettent dans la tête d’Hélène tout comme dans notre propre psyché.

Il emprunte aux codes narratifs et visuels du conte (la forêt, le loup, l’errance, la déambulation, l’apparition fantastique…) pour suggérer, interroger ; on se croirait presque hypnotisés, aux prises avec une visualisation sauvage de l’esprit.

Tout en gardant un pied dans l’onirisme, le film reste très lié à la nature qu’il représente à foison : les végétaux, les animaux… et n’omet pas de nous confronter à sa propre violence, celles des coups de feu, des animaux qui dévorent, des humains qui tuent, du sang qui coule, des chairs déchirées.

Fait d’allers et retours entre passé et présent, rêve et réalité, le film semble ainsi s’affranchir d’une réelle charpente narrative qui l’orienterait dans une linéarité, pour s’adonner à l’exploration des possibles. En tant que spectateur, on peut se sentir perdu, sans repères.

À condition de l’accepter, on se laisse porter et perdre volontiers à la frontière entre réalité et projection de la conscience de l’héroïne, qui erre dans une forêt d’incertitudes et d’interrogations, peuplée de fantômes, les siens et ceux des autres, à la recherche d’un pardon et d’une paix intérieure, tiraillée par le regret d’une opportunité d’amour manquée, par la honte d’avoir abandonné ses camarades, son désir personnel d’une vie à vivre pour soi.

« Je veux une part du monde modeste, mais je la veux toute entière. »

Hélène est un personnage touchant dans son humanité, les contradictions qui l’habitent. Au-delà de ses propres dilemmes, elle symbolise pour ainsi dire l’essence humaine : pétrie d’incertitude, d’amour, de haine, de violence et de paix, d’un désir de simplicité comme de complexité.

La mort n’existe pas est une expérience visuelle qui nous fait traverser des chemins escarpés et pointus. Il nous échappe parfois, dans cette déambulation fantasmagorique qu’il propose, mais les sujets qui sont au cœur de cette déambulation ne manquent pas d’interpeller et de faire réfléchir. Quoi qu’il fasse surgir en nous, c’est définitivement un film dont on ne sort pas indifférent.


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