Critique – Pear Cider and Cigarettes


Projet de longue haleine pour Robert Valley, que vous connaissez sans doute pour avoir travaillé sur des clips de Gorillaz, la série TV avortée Tron : Uprising ou encore certaines introductions animées de Rock Band, Pear Cider and Cigarettes aura pris du temps pour arriver à maturation, ce qui n’est pas du tout un mal à la vue du résultat final.

Boire et fumer… C’est ce que Techno Stypes aimait vraiment faire, en plus de se battre. Mais il n’était en aucun cas capable de se battre. Il était malade, très malade. Il était tellement rongée qu’il ne ressemblait plus qu’à une ombre de ce qu’il fut à une époque. Blessé d’un accident de voiture à l’âge de 17 ans, ce n’est même pas ce qui lui a fait perdre l’un de ses gros orteils. Ça, il le perdra lors d’un accident de moto. Ouais, comme je disais, il était déjà abîmé à ce moment-là… Mais pour quelle raison se battait-il à ce moment-là, et qu’est-ce qu’il faisait encore en Chine ? Son père m’a donné deux instructions très claires : 1. Faire en sorte que Techno cesse de boire assez longtemps pour recevoir sa transplantation d’un rein et 2. Le ramener à la maison, à Vancouver. Ça n’allait pas être facile…

Adapté de ses propres bande-dessinées (au sein de son anthologie titrée Massive Swerve) et originellement un court-métrage, Pear Cider and Cigarettes a fini par atteindre les 35 minutes pour venir se placer dans le secteur assez curieux du moyen-métrage. Produit par Passion Pictures et Valley lui-même, entièrement animé et réalisé sous Photoshop, on pouvait craindre que le film soit un genre de bande-dessinée vaguement animée. Pourtant, entre les mains de Valley, l’objet prend un autre dimension. En effet, je faisais moi-même partie des convaincus, connaissant les capacités de l’artiste à injecter de l’inventivité dans ses cadrages et sa manière de penser la mise en scène (l’épisode de Tron : Uprising qu’il a dirigé, « Welcome Home », n’a fait que renforcer cette impression).

La fin de la production fut complétée grâce à un kickstarter, qui a servi en grande partie a s’occuper du mixage sonore du film et j’étais volontairement resté ignorant d’un certain nombre de détails, en dehors des quelques teasers et gif que Valley a publié. Clairement autobiographique, doté d’un point de vue qui joue autant sur la mémoire que sur les fulgurance de l’imagination, Pear Cider and Cigarettes vaut le  détour pour sa mise en scène léchée, où chaque mouvement de caméra, chaque plan compte et fait passer une information. La singularité du point de vue du héros, qui est celui de notre réalisateur, nous plonge dans une rêverie quasi hypnotique, depuis la rencontre avec Techno jusqu’à son ultime voyage.

Et c’est un gros défi qui est posé car, en dehors du point de vue de Robert, c’est un personnage fascinant et segmentant qui est proposé au spectateur, avec une absence de fard et de justification pour ses actes autodestructeurs. Techno est, et Robert se souvient dans un prisme assez révélateur de ce que l’on peut garder des autres lorsque ceux-ci disparaissent. Si la thématique est essentiellement dramatique, le traitement de l’histoire reste sur son emploi de la forme assez inédit pour ce type de spectacle : les couleurs sont vibrantes, les répétitions toujours pertinentes, le tout au service d’une voix off très présente mais nécessaire.

Ayant mangé des courts-métrages au kilomètres lors des précédents éditions du Festival international du film d’animation d’Annecy, je sais comment il peut être difficile de maintenir le spectateur devant un récit qui dépasse le quart d’heure, et c’est une épreuve que Robert Valley relève sans effort apparent, sûr de son découpage, de ses ambiances, du montage : c’est à le fois un réel exercice de style et une preuve qu’il peut facilement prendre en main un récit encore plus massif à l’avenir, si le cœur lui en dit.

Il reste la dimension personnelle de l’objet, car en plus de la relation avec Techno, c’est la vue du monde par Robert Valley à laquelle nous assistons, où la tranche de vie possède une part de stylisation tout à fait délicieuse, et dont les textures comme les esthétiques laissent rêveur, car à une période où le cinéma d’animation US cherche à tout prix à répliquer un certain réalisme cinématographique dans ses sorties les plus mainstream, Valley couche des plans aux distorsions photographiques comme personne, et seul, en toute indépendance.

Enfin, musicalement, Gary Welch supervise une piste sonore dûe au groupe Mass Mental (du bassiste de Metallica Robert Trujillo, ici également crédité en tant que producteur associé), qui participe à l’ambiance captivante du récit sans être trop envahissante, évitant la confrontation avec la voix off. Classé dans la catégorie adulte de la section vidéo à la demande de Vimeo, Pear Cider and Cigarettes n’est pas forcément le point d’entrée le plus aisé pour connaitre le travail de Robert Valley aussi, pour découvrir son style je vous invite à aller voir les courts-métrages Wonder Woman qu’il a réalisé pour la case DC Nation, ou encore de feuilleter la bande dessinée, éditée en français chez Akiléos, et vrai storyboard de ce moyen-métrage que je vous recommande chaudement. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=UJN3Qnah2ts[/embedyt]


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