Interview – Fabrice Luang-Vija pour « Celui qui a deux âmes »


Mon premier contact avec Celui qui a deux âmes n’a pas été facile car je l’ai découvert en bout de course du festival d’Annecy. Autrement dit, j’en gardais un souvenir confus et mitigé, certainement dû à une fatigue très piquante. Heureusement, j’ai eu l’occasion de le revoir à tête reposée et j’ai pu apprécier cette histoire mêlant féminité et masculinité dans un univers inuit.

On l’appelait Celui qui a deux âmes. Il était beau comme une femme. Et il était beau comme un homme. Il hésitait.

Grâce à l’entremise de Sophie Fallot, productrice chez Fargo, j’ai pu échanger avec le réalisateur Fabrice Luang-Vija à propos de Celui qui a deux âmes. Nous avons parlé de la genèse du projet, du féminin et du masculin, de la gestion de la voix et des silences…Laissez-vous porter par les thématiques de cette histoire inuit. Celui qui a deux âmes est un conte oral, comment avez-vous élaboré l’univers visuel autour de ce conte ?

Fabrice Luang-Vija :Oui, effectivement. J’ai découvert le conte sur CD audio par le biais d’une maison d’édition qui est pas très loin de chez nous et qui s’appelle Oui Dire. Cela faisait longtemps qu’on avait envie d’adapter un de ces contes, j’en ai écouté plusieurs et je suis tombé sur celui-là : Celui qui avait deux âmes de Néfissa Bénouniche et cela m’a donné des idées.

Vu qu’au départ, je viens plutôt du cartoon avec Les fables en délire et Square couine, j’ai fait appel à une graphiste, Phuong Mai Nguyen qui est une ancienne élève de la Poudrière à la Cartoucherie à Valence. C’est elle qui a travaillé à l’élaboration de l’univers graphique.

Elle est aussi la réalisatrice de Chez Moi, produit par Papy 3D. Vous voyez l’histoire du petit garçon et du beau-père corbeau qui laisse tomber ses plumes, un court très fort. Elle a donc fait les recherches graphiques qui nous ont permis de trouver les financements pour le projet et vu qu’elle travaillait sur son court en même temps, elle a quitté le projet.

On s’est donc inspiré de son travail pour l’élaboration de l’univers, quelques détails ont changé, notamment pour les décors.

Comment avez-vous géré l’alternance entre voix et silence bruitiste ? Est-ce que cela s’est décidé au moment du script ou est-ce venu plus tard dans le processus créatif ?

Fabrice Luang-Vija : Le conte original fait cinq minutes et le court métrage en fait dix-sept, alors j’ai retouché l’histoire en élaguant par endroit, en l’étoffant à d’autres. Typiquement, il y a le personnage de la veuve qui est juste évoqué dans le récit original et je voulais qu’elle ait une histoire plus développée expliquant comment elle est devenue veuve.

C’est au moment de l’animatique que les choses se sont décidées, je voulais absolument garder la voix de Néfissa, c’était important,  n’étant pas comédienne, elle a travaillé un peu à sa manière, avec ses mots.

La musique a été réalisée par le musicien norvégien Terje Isungset que j’ai découvert en faisant mes démos. Sa musique a tout de suite fait sens pour moi.  Vous savez ce qu’on dit : « la meilleure musique de film est celle qu’on entend pas. » J’ai vraiment voulu construire une ambiance particulière, introspective…

Vous avez reçu un prix du meilleur court-métrage au festival LGBT de Madrid, avez-vous des retours par rapport aux thèmes de la masculinité et de la féminité de Celui qui a deux âmes ?

F. L-V. : Hélas non, je n’ai pas pu être physiquement présent à ces différents festivals. La question qui m’intéressait d’aborder dans ce court est d’être sur le fil entre masculin et féminin, en fait. J’ai eu une critique qui m’a surpris de la part d’un site au thème  androgyne qui disait que le personnage n’avait pas deux âmes car il choisit une femme à la fin. Je ne le vois pas comme ça, elle est pile et face tout comme lui, ils cousent ensemble, ils chassent ensemble et sont complémentaires.

J’ai aimé travailler sur ce fil car cela m’a questionné sur la part masculine et féminine de chacun, mais je ne me vois pas comme un étendard. J’ai eu l’occasion d’en parler avec Diane Obomsawin pour J’aime les filles, il y a aussi Le Repas Dominical sur le coming-out. Y a-t-il une liberté dans le court-métrage pour aborder les sexualités par rapport au long-métrage ?

F. L-V : Oui, dans la production d’un court, on est libre de raconter ce qu’on veut et c’est ça qui est bien. Je pense effectivement que c’est difficilement envisageable dans un long-métrage d’animation français, vu les difficultés à en monter un,  j’espère toutefois que cela va évoluer.

D’ailleurs, quels sont vos projets futurs ? F. L-V : Je travaille actuellement sur un projet pré-school Les fables en délire avec Les films du Nord et Arnaud Demuynk qui est un spécial TV de 26 minutes plutôt dans le registre de Tex Avery. Vu qu’on aime bien les contes chez Fargo, notre prochain prochain projet est l’adaptation du conte oral Le Prince Serpent d’Anna Khmelevskaya que je co-réaliserai avec elle, qui je pense sortira en 2018. Il s’agit d’un récit à la fois sensuel et abstrait à l’ambiance mésopotamienne. D’ailleurs, il n’y aura pas de voix-off de conteur car les personnages seront vecteurs de l’action.    Vous naviguez entre des créations pré-school et court-métrages plus adulte, qu’est-ce qu’une expérience comme Celui qui a deux âmes vous a apporté ? F. L-V : Vous savez, en tant que réalisateur, je suis toujours en recherche d’histoires à raconter et c’est cela qui me motive à passer d’un univers à l’autre. J’essaye de faire en sorte que mes projets pré-school soient agréables à regarder pour les parents aussi. C’est un peu comme l’expérience du spectateur qui n’est pas limitée, je pense. C’est exactement ça, je m’intéresse autant à l’animation adulte que pré-school ou mainstream. En tout cas, merci pour cette interview !

Merci à vous ! Tous mes remerciements à Sophie Fallot de Fargo et à Fabrice Luang-Vija pour sa disponibilité.




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