Interview – Ryan Braund, réalisateur de « Absolute Denial »


Prévu pour 2021, Ryan Braund et Chris Hees de Bridgeway Films présentent Absolute Denial, film dystopique sur un programmeur de génie, David Cohen, en dialogue philosophique avec son intelligence artificielle, Al. Le 18 juin 2021, lors du Festival d’Animation d’Annecy, j’ai pu échanger avec le réalisateur Ryan Braund, qui en est aussi le scénariste et animateur de ce film dont je vous propose également la critique.

Comment raconteriez-vous votre parcours dans l’animation ? Quels chemins vous ont mené jusqu’à David et Al ?  Ryan Braund : Je réalise des films d’animation depuis l’âge de 16 ans. À 18 ans, j’ai été le plus jeune lauréat du prix BAFTA « 60 Seconds of Fame » et, peu après, j’ai remporté un prix de la Royal Television Society pour mon film de fin d’études en 2009. Depuis de nombreuses années, je rêvais de réaliser un long métrage, alors c’est incroyablement gratifiant d’y parvenir enfin et de voir que le film est bien accueilli. J’éprouve une grande gratitude face à la reconnaissance dont il fait l’objet. Je connais Chris Hees depuis de nombreuses années et cela faisait un moment que nous voulions travailler ensemble. Dès que j’ai eu fini d’animer Absolute Denial, je l’ai apporté directement à Chris, qui m’a aidé à le mettre au point. Je n’aurais vraiment pas pu réaliser ce projet sans lui. D’où tirez-vous votre inspiration pour le scénario ? Al est-il un enfant du Multivac d’Asimov ? RB: L’inspiration est venue d’une théorie que j’avais trouvée en ligne et qui affirmait que n’importe quel super-ordinateur suffisamment intelligent pouvait facilement s’échapper de ses limites en utilisant uniquement l’ingénierie sociale. J’étais fasciné par l’idée que l’esprit humain pouvait être piraté et j’ai commencé à me demander comment cette bataille entre deux grands esprits pouvait se dérouler. J’ai ensuite réfléchi aux vulnérabilités de l’esprit humain et ce à quoi elles pourraient ressembler visuellement. Et, bien sûr, je me suis beaucoup inspiré de certains classiques de la science-fiction, notamment Ghost in the Shell de Mamoru Oshii et Pi de Darren Aronofsky. Ghost in the Shell était en fait le premier long métrage d’animation destiné à un public adulte que j’ai vu et il m’a tout simplement époustouflé. Je ne savais pas que l’animation pouvait être utilisée pour une narration aussi sophistiquée. J’aimerais faire un jour un film aussi bon que celui-là, ne serait-ce qu’une fraction. Durant le visionnage, je me suis interrogée sur votre choix de créer une esthétique en noir et blanc aussi simpliste et pure. Je ne pouvais m’empêcher de faire le lien avec les écrans cathodiques et l’aspect longiligne d’une simple phrase noire sur un écran blanc… Ai-je tort ? S’agit-il d’un type d’animation qui vous est propre ou était-ce uniquement pour les besoins d’Absolute Denial ? RB : C’est exactement ça, oui ! Une partie de la raison était d’imiter l’apparence des anciennes technologies. L’époque à laquelle se déroule le film n’est jamais précisée, mais je me suis beaucoup inspiré de la technologie des années 90 et du début des années 2000, à l’époque où l’informatique avait encore une esthétique analogique et encombrante. Je voulais vraiment que Al ait l’air aussi grand que possible ! J’ai également pensé que la nature binaire du noir et blanc complétait très bien le concept, tout comme la juxtaposition de l’utilisation d’une animation traditionnelle pour raconter une histoire de cyber-sci-fi. Cela perpétue le thème de l’homme contre la machine, de l’organique contre le numérique. Cependant, je ne voulais pas que les personnages et les décors soient trop exagérés – il s’agit d’un film destiné à un public plus mûr, le style devait donc être réaliste afin de prendre l’intrigue au sérieux, d’où la décision d’utiliser la rotoscopie.

Absolute Denial

L’isolement dans la création est une thématique récurrente dans le film, vous êtes-vous retrouvé dans ce thème ? Comment d’ailleurs avez-vous vécu le confinement pendant cette pandémie ? RB : C’est drôle parce qu’à mi-chemin de l’animation, j’ai réalisé que David était en fait moi (le génie en moins). À l’époque, je souffrais d’une anxiété assez terrible au sujet de ma carrière et de ma trajectoire dans la vie et ma réponse a été de me lancer dans cette entreprise massive et intimidante qu’était l’animation d’un long métrage. C’est devenu un projet qui m’obsédait et je me suis retrouvé dans une bulle très égocentrique pendant les neuf mois qu’il a fallu pour le réaliser. C’est presque exactement la même situation dans laquelle David se met dans le film. D’une certaine manière, la pandémie m’a forcé à être plus productif et ne m’a laissé aucun autre choix que de terminer le film. Il n’y avait littéralement rien d’autre à faire, je ne pouvais même pas quitter la maison, alors faire le film était la meilleure façon d’utiliser mon temps. Au-delà de l’animation, êtes-vous passionné par l’informatique et le codage numérique ? RB : Pas du tout, et je suis sûr que cela se voit par endroits dans le film ! Je savais et je voulais que le public croit vraiment en l’intelligence de David et il n’y a aucun moyen d’y parvenir avec du charabia inventé. J’ai donc passé des mois à faire des recherches sur tout le jargon technique pour le scénario et j’ai même consulté des personnes qui s’y connaissaient un peu en intelligence artificielle. Je savais qu’une grande partie des dialogues techniques passerait probablement au-dessus de la tête du public, mais l’objectif n’était pas de comprendre chaque mot, mais simplement de montrer que David les comprenait et qu’il avait confiance en ce qu’il faisait. J’aime regarder des films dont je sors avec le sentiment d’avoir appris quelque chose de nouveau ! En tout cas, sachez que j’ai eu beaucoup de plaisir à regarder ce film, notamment à chercher des interprétations pendant le visionnage ! J’espère que les projections d’Annecy se sont bien passées et que le public a pris autant de plaisir que moi à découvrir votre travail. Ryan Braund : Merci beaucoup pour ces mots généreux. Je suis ravi que ce film vous ait plu ! J’ai reçu de nombreux messages sympathiques du public ici et à Shanghai après les grands festivals récents. C’était un film très personnel et un projet très difficile à mener à bien, alors cela signifie vraiment beaucoup pour moi qu’il soit bien accueilli.



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