Interview – Keyu Chen à propos d’Un printemps, un court bourgeonnant !


Présent au festival du court-métrage de Clermont-Ferrand, Un printemps, réalisé par Keyu Chen et produit par l’ONF, fait une entrée hivernale remarquée comme première réalisation. Une artiste à suivre !

Se déployant au rythme des saisons, Un printemps raconte avec tendresse l’histoire d’une jeune fille qui, poussée par un besoin d’épanouissement, quitte le nid familial. Traits fins et épurés, inspirés de la technique à l’encre de Chine, et transitions fluides portent la signature déjà mature de Keyu Chen dans cette première œuvre délicatement ouvragée.

Keyu Chen, originaire de Chine, a étudié pendant deux ans à l’Université de communication de Pékin. En 2006, elle s’est installé à Rouyn-Noranda, une petite ville au nord de Montréal, afin d’obtenir un baccalauréat en multimédia interactif et en création 3D à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. La jeune réalisatrice signe Un printemps, son premier court-métrage professionnel, où il est question de transmission au cœur d’une nature vivante et tumultueuse à l’image des sentiments de son héroïne.

L’animation et le style graphique émulent l’esthétique de l’encre de Chine se répandant sur le papier, ce qui lui permet de jouer intelligemment sur le contraste entre noir et blanc. J’ai eu l’occasion de revenir avec Keyu Chen sur les inspirations créatives et ses débuts au poste de réalisation.

Avant l’interview, j’ai pu voir ton film de fin d’études, titré Le manque. On y ressent déjà des thématiques qui te travaillent et on a l’impression qu’il y a un trait d’union entre Le manque et Un printemps.

Keyu Chen : Oui, Un printemps est ma première réalisation et mon premier film professionnel. La collaboration avec l’ONF m’a permis de travailler mon français et ma technique. J’ai pu recevoir l’appui d’une équipe performante avec laquelle j’ai utilisé TV Paint pour obtenir un effet encre de Chine.

Au niveau de la transmission familiale, as-tu travaillé au niveau de tes propres souvenirs ? J’y pense notamment par rapport à la grand mère ? Comment as-tu élaboré ton écriture ?

K.C. : En fait, j’écris beaucoup de choses en chinois dans des petits carnets, et puis quand je veux le transcrire, je le traduis en images, ce qui peut laisser penser que la narration est assez lâche.

Pour la grand-mère, j’ai choisi plusieurs personnes dans ma famille, pour représenter toutes les générations de parents et de grand-parents.

On remarque aussi une récurrente des motifs naturels, as-tu des inspirations ou travailles-tu justement d’après nature ?

K.C. : J’ai vécu dans un endroit très montagneux. J’y ai passé des hivers avec mes grands-parents, mais la nature c’est aussi pour moi une forme de temporalité. Elle est comme une personne qui pousse et grandit en émergeant de la terre. Il y a ce lien très fort, la terre nourrit une personne.

La première ville où j’ai habité au Canada fut Rouyn-Noranda. c’est une petite ville au nord de Montréal où on trouve des lacs et des montagnes. J’ai aimé y sortir et ressentir la nature comme quelque chose de vraiment proche de moi. La culture, les nuages sont des choses très fortes qui reviennent toujours lorsque je rêve. Je n’ai jamais vécu là bas quelque chose de si fort dans ma vie, et même s’il y avait des plantes similaires qu’en Chine, ce n’était pas le même ressenti. C’est pour cela que j’utilise la nature pour exprimer ce que je pense.

Le blanc est travaillé en nuances et en contraste avec le noir pour évoquer les sentiments, un peu comme l’artiste Soulages qui apporte de la matière dans ses tableaux noirs. Comment as-tu travaillé ces espaces pleins et vides ?

K.C. : Je n’ai pas pensé ça en tant que plan vide, pour moi c’est un grand espace. Je le vois comme un espace où on laisse les gens souffler, ce que je considère comme important à un niveau personnel. C’est vide, mais ce n’est pas du rien.

J’ai fait aussi cette démarche avec les musiciens. J’ai fait monter à Olivier Calvert (le compositeur de court-métrage, mais également de Mamie de Janice Nadeau ndr) beaucoup de choses non musicales. Je trouve que la musique est importante, mais le son de la nature l’est tout autant. J’ai lui ai demandé d’apporter plus de sons de bois, même le tout petit bruit du vent en hiver ou celui du ruisseau qui coulait sous la neige.

C’est justement où j’allais t’amener, quel as été le travail du son ?

K.C. : J’ai travaillé avec le designer sonore Olivier Calvert et les musiciens. Je lui ai expliqué ce que je voulais et on a fait plusieurs aller-retours pour travailler la musique. Au début, j’avais une grande crainte, vu que je connaissais pas bien la musique, j’en écoute beaucoup mais la créer est plus difficile. Après discussion, ça a été plus clair de définir où mettre de la musique et où ne pas en mettre. Tout cela était une première expérience pour moi.

Quand on découvre un moment précis du court-métrage, tu abordes l’adolescence avec la gêne du corps qui change et l’aspect organique de la graine. Quel angle as-tu utilisé pour aborder ce thème ?

K.C. : Ma première idée a été d’aborder ça comme une sensation qu’on ne peut pas arrêter, qui vient de l’intérieur. Je voulais montrer que ce n’était pas la faute de qui que ce soit, du coup comme une graine, ça vient naturellement. Le premier symptôme auquel j’ai pensé c’est l’allergie, quand une saison arrive et qu’on ne se sent pas bien, on a des démangeaisons, ça gratte.

Quels sont tes projets futurs, en animation ou en illustration ?

K.C. : J’aimerais bien travailler dans l’illustration, avec les dessins de mes carnets. Je poste beaucoup de dessins sur mon Instagram où je m’inspire de la vie quotidienne. Concernant les films, je continue à accumuler et à écrire des choses dans mes carnets et je travaille en tant qu’animatrice sur d’autres projets.

Un grand merci à Nadine Viau pour l’organisation de l’entrevue.

Bande-annonce d’Un printemps :



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