Interview – Dans la maison du hérisson avec Eva Cvijanović


Innovation cette année avec une nouvelle catégorie de sélection des courts-métrages, intitulée « Jeune Public », où j’ai retrouvé un court qui me faisait déjà de l’œil lors de sa présentation à la Berlinale, La maison du hérisson, produit par l’ONF et Bonobostudio. J’ai pu rencontrer avant le festival la réalisatrice de ce petit bijou en stop-motion rempli de douces textures, Eva Cvijanović, et lui parler de laine, de western et de nourriture !

La Maison du Hérisson est adapté d’un poème de Branko Ćopić. Comment s’est passé l’adaptation en script, et lui apporter un côté plus moderne ?

Oui, c’est un poème qui n’est pas très connu dans le monde, mais bien plus en ex-Yougoslavie. Justement parce qu’il est célèbre, on ne pouvait pas vraiment le changer. Il fallait vraiment qu’on rende hommage au poème.

Il est sûr que pour l’adaptation cinéma, il fut nécessaire de couper des choses descriptives qui pouvaient se montrer de suite à l’image et d’un autre côté, on a gardé intact les dialogues entre les personnages, justement car il est célèbre en ex-Yougoslavie. C’était plus un travail de traduction pour un public plus large, avec une traduction en anglais et en français. On a beaucoup travaillé là-dessus.

On a aussi fait une traduction culturelle en choisissant les mots, on a essayé de rapprocher l’humour qu’il y a dans le poème pour pouvoir le montrer dans une autre culture, une autre langue. On pouvait s’appuyer sur l’aspect visuel mais on a gardé ce qu’il fallait pour transmettre l’esprit de cette histoire, tout en lui rendant hommage pour que les gens qui le connaissent déjà ne soient pas fâchés avec ces nouvelles traductions.

Justement, il existe trois versions du court : une croate avec Rade Serbedzija, une anglaise avec Kenneth Wells et une française avec France Castel. Sur les mots et le travail avec les différents acteurs, y-a-t-il eu des méthodes d’enregistrement différentes ou une méthode unique a été établie en amont ?

C’est sûr, tout le monde est différent. Avec Rade Šerbedžija, l’acteur croate, ce fut notre meilleur enregistrement. Nous l’avons fait au mois d’octobre 2015 et c’est celui-ci que l’on a utilisé pour le tournage du film. Pour la méthode, on s’adapte à chaque acteur et je pense que le langage informe sur la performance.

Chaque langue a un esprit un peu différent. Et puis, c’est drôle ! On a d’abord fait la traduction en anglais, mais je trouvais que la version française était la plus proche de l’originale. Le français se rapprochait de ce côté poétique de l’histoire en serbo-croate.

Pour la performance, ce fut une expérience magnifique, tout le monde a été très généreux. Rade est un acteur connu en ex-Yougoslavie, Kenneth Wells est un acteur canadien très connu qui a joué dans la saison deux de Twin Peaks. Il jouait un personnage négatif, alors c’était amusant pour moi de l’entendre raconter un conte pour enfant, on a tellement l’habitude de le voir dans un registre sombre. Ça lui venait très naturellement de faire le narrateur ! C’était quelqu’un de très gentil et doux, ça lui allait très bien. Il y avait cette douceur mais aussi un côté sombre dans ses intonations.

Puis France Castel, qui est une grande dame de la chanson québécoise, c’était un honneur de la rencontrer. Elle a aussi apporté un côté personnel à la performance. Tout le monde a ajouté une touche personnelle. Pour le côté technique de la voix off en anglais et en français, on avait déjà les images pour travailler tandis que pour Rade, tout ce qu’on avait à lui montrer, c’était les marionnettes des personnages qui venaient d’être conçus.

Pour rester dans l’aspect sonore, il y a des moments où les personnages ne parlent pas et où on assiste à une espèce de suspension, habitée par de la musique. Ces moments ont-ils été prévus en amont ou ont-ils été créés sur le moment ?

En fait, on a commencé à travaillé assez vite avec le compositeur, dès qu’on a eu l’animatique. On a reçu les premières esquisses de musiques avant même d’avoir fait les premières images concrètes du film. Pour moi, j’ai été inspiré par les westerns spaghetti d’Ennio Morricone, qui prend de la place dans des moments choisis. En fait, je lui envoyait des animatiques, il m’envoyait des esquisses, c’était un va et vient entre lui et moi pour en venir au produit final.

Je ne voulais pas que ce soit pas comme un clip musical, mais c’était important pour moi que la musique ait une identité et je voulais qu’il y ait ce petit goût de western. Pour moi, le personnage principal, c’est un peu un cowboy solitaire dans sa forêt. C’est un cowboy qui aurait trouvé sa maison et qui s’est dévoué à elle.

Le hérisson est très attaché à sa maison et affirme sa liberté, tandis que les autres animaux se moquent de lui. J’ai trouvé cette dualité culturelle intéressante, comment as-tu manié ces concepts-là ?

Pour moi, ce concept de maison est très proche de l’identité, dans le sens où son chez-soi ou en anglais “home”, en français c’est encore différent. Ce n’est pas seulement une maison, c’est un espace qui nous représente et qu’on crée aussi. C’est certain, dans La maison du hérisson est peu comme le monde où l’on est entouré de différentes influences. Dans le fond, cette dualité est déjà présente dans le poème.

Ca peut être lu de mille manières : ce poème a aussi été écrit à un moment où l’ex-Yougoslavie avait besoin de se définir une identité. C’était juste après la seconde guerre mondiale, alors le côté politique n’était pas le principal souci mais ça nous a informé sur l’écriture du poème. C’est un poème sur l’identité et aussi sur l’identité de notre environnement, Branko Copic a écrit ce poème à moment-là et ça a été comparé à des situations actuelles entre conflit personnel et influences externes.

Cela fait écho à la situation politique mondiale, entre la montée du nationalisme et l’observation des flux migratoires.

C’est ça, pour moi, les bon contes pour enfants sortent de ce domaine unique, réservé aux enfants. Ils sont aussi une réflexion sur l’état du monde et c’est intéressant comme un poème écrit dans les années 50 peut faire résonner des vérités dans notre monde contemporain.

Parlons technique maintenant, tu as travaillé avec une stop-motion laineuse et la photographie orangée dégage une ambiance particulière. Tu as aussi collaboré avec Tim Allen à la direction artistique, comment a été élaboré cet univers ?

En fait, Tim Allen a joué le rôle de consultant, vu qu’il est très bon ami avec les deux animateurs du film que sont Thomas Johnson et Ivana Bošnjak. Il nous a surtout aidé sur la technique, il était là pour qu’on lui pose des questions, ce qui a permis de régler des détails qui paraissent insignifiants mais qui auraient pris beaucoup plus de temps sans son appui.

Pour la photographie c’est Ivan Slipcevic qui est un grand chef opérateur croate qui travaille en animation et surtout dans le documentaire. Là aussi, nous avons travaillé très en avance car on voulait quelque chose d’un peu construit, un peu magique, un monde peu peut-être pas 100% naturel mais qui possède une touche expressionniste. On voulait que les gens se sentent dans un monde qui est vrai, qui existe. C’est intéressant car on voulait la texture d’Allen mais aussi une texture venant de la lumière et des ombres.

Pour le côté visuel, j’ai essayé d’aller à l’intérieur du poème, vu que je le connaissais par cœur depuis l’enfance. Le livre original avait des illustrations magnifiques, avec un côté folklorique non issu une région spécifique, un mélange entre un peu de pastel et d’aquarelle. Au départ, c’était vraiment ça mon inspiration !

Après j’ai regardé des films en stop-motion comme Fantastic Mr Fox de Wes Anderson et Tim a été d’une grande aide pour la laine qui bougeait à chaque frame. Tim était notre gourou de la technique et la loop, aussi, mais c’était surtout, et enfin, pouvoir regarder le folklore de ce poème, marinant dans ma tête depuis trente ans.

De façon générale, on voit de plus en plus de stop-motion mélangée avec du numérique. Quel regard portes-tu là-dessus ?

La stop-motion n’est pas une technique que j’ai l’habitude d’utiliser. Ici, c’était vraiment pour cette histoire, me détacher du livre qui était en deux dimensions et utiliser de la laine, c’est ça qui a nourri mon choix. Aussi, pour le côté intemporel, il était important d’utiliser le moins possible la technologie numérique, je voulais qu’on ait l’image la plus proche de la version finale durant le tournage.

Souvent, quand il y a beaucoup de manipulations numériques je me rends compte que ça me fait sortir du monde du film et, en tant que spectatrice, ça me retire un peu de magie. Je pense que si je devais faire un nouveau film en stop-motion, j’essayerais de garder un maximum cet aspect traditionnel, en travaillant les décors, la lumière, les personnages.

Dans le court, il y a eu quelques manipulations sur la couleur mais ce sont des effets qui auraient pu être fait dans les années 70, sur pellicule. On a utilisé une seule fois le fond vert, c’était pour des abeilles. Je trouverais ça difficile de tourner les éléments d’un film séparément et de le découvrir au compositing. C’est important pour moi d’entrer dans le monde du film au moment du tournage.

Dans un tout autre registre, lors de la scène où le hérisson et la renarde mangent ensemble, il y a une ambiguïté sexuelle, comme lors d’un rendez-vous amoureux. Était-ce voulu ?

On a appelé cette séquence “food porn”. Premièrement, il y a toujours un côté séduction, surtout quand il y a de la nourriture ! Il y a une connexion entre nourriture et séduction, même dans les mots du poème, mais on ne voulait pas pousser vers une relation entre la renarde et le hérisson.

C’est sûr, il y a de la séduction, un peu érotique, mais c’est surtout la nourriture qui apporte quelque chose de très sensoriel.Je voulais pousser le “juiciness”, le côté juteux des museaux de la renarde et du hérisson, mais il existe des adaptations où ils ont fait la renarde sexy. De mon côté c’est la tension qui m’intéressait, l’ambiguïté est là car on ne sait pas pourquoi la renarde est intéressée par le hérisson, est-ce qu’elle veut le manger ?

Je me suis posé la question aussi, est-ce qu’elle a faim, au sens nourriture, ou faim, au sens sexuel ?

(Rires) Selon moi, c’est au sens de la nourriture. Même si elle veut le manger, il faut qu’elle le séduise pour qu’il reste dormir chez elle et baisse sa garde. C’est comme un sous-texte, je ne voulais pas que ce soit trop évident mais ça rajoute un petit niveau de tension dans l’histoire. En Croatie, on dit que le chemin vers le coeur passe par l’estomac. Il y a donc de ça, aussi !

C’est aussi dans la mentalité française, ça m’a parlé tout de suite. Pour finir, est-ce que tu as déjà d’autres projets ?

C’était pour moi une belle expérience d’apprentissage de travailler avec l’ONF et Bonobostudio avec des animateurs qui étaient là pour moi. D’habitude, j’anime mes films seule. J’ai laissé des gens spécialisés dans leur technique faire leur travail et travailler avec des producteurs, c’était autant un processus d’apprentissage que de création.

Pour le prochain film, j’aimerais faire quelque chose de très simple, très vite parce que c’était un procédé très long, avec une adaptation et des dialogues, sur la maison du hérisson. Je pense aller vers un projet plus sensoriel, je vais essayer de faire quelque chose complètement numérique pour nettoyer ma palette et le réaliser en six mois.

Merci à toi pour cette interview !

Merci !

Tous mes remerciements à Nadine Viau pour la mise en relation.  


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