Les dernières années ont été un peu compliquées pour Pixar, après deux suites (Le Monde de Dory, Cars 3) qui ont connu le succès mais qui laissent un goût amer en bouche : où donc sont les nouvelles histoires ? Certes, Le Voyage d’Arlo n’a laissé qu’une faible impression sur le public après une production tortueuse et le dernier né du studio, Coco, a derrière lui son lot de polémiques liées à l’exploitation du Jour des Morts… Mais revenons au film !
Depuis déjà plusieurs générations, la musique est bannie dans la famille de Miguel. Un vrai déchirement pour le jeune garçon dont le rêve ultime est de devenir un musicien aussi accompli que son idole, Ernesto de la Cruz. Bien décidé à prouver son talent, Miguel, par un étrange concours de circonstances, se retrouve propulsé dans un endroit aussi étonnant que coloré : le Pays des Morts. Là, il se lie d’amitié avec Hector, un gentil garçon un peu filou sur les bords. Ensemble, ils vont accomplir un voyage extraordinaire qui leur révèlera la véritable histoire qui se cache derrière celle de la famille de Miguel…
Mettons les choses au point : avec un sujet pareil et la sensibilité qui lui est associé, on peut reconnaître à Lee Unkrich d’avoir su lâcher prise en concédant le poste de scénariste à Adrian Molina, avec qui il partage également la réalisation. Et cette association, chapeautée par la productrice vétérante Darla K Anderson, fait merveille puisque les deux hommes se partagent le volant avec efficacité.
On retrouve une réalisation techniquement irréprochable, ce qui n’est guère étonnant de la part de celui qui nous a déjà donné Toy Story 3, et ce ne sont pas les travellings virevoltants mais toujours parfaitement lisibles qui manquent, tandis que le montage reste extrêmement soigné, ne laissant jamais le défi technologique devenir trop pompier. Le grand défi d’Unkrich aura donc été de se tenir à distance de l’histoire en laissant Adrian Molina s’occuper du cœur même du film, définitivement latino par sa dépiction et ses choix d’intrigues, tout en l’appuyant de toutes ses forces.
Et l’émulsion fonctionne, faisant de Coco le premier long-métrage Pixar original le plus complet et efficace depuis au moins dix ans, signe que l’entreprise connaît désormais la voie à suivre pour concevoir des films échappant à l’ombre de ses fondateurs, un mal qui ronge l’entreprise depuis les années 2010. Et cette voie passe par un abandon à de nouvelles plumes, dont les qualités sont ici transcendées à la fois par l’expérience des vétérans et l’enthousiasme de parler avec respect d’autres cultures.
A l’image du brillant essai de 2015 que fut le court-métrage Sanjay et sa super équipe, Coco concentre et démultiplie ces envies et ces ambitions en faisant de la culture mexicaine un élément central à l’histoire racontée, comme l’avait fait avant lui La légende de Manolo, ce qui explique le fond commun à ces deux films, ainsi que l’utilisation d’un folklore universel pour ce qui est du jour des morts, mais la ressemblance s’arrête ici.
D’autant plus que les artistes de Pixar ont mis sur pied un univers visuel tirant vers les années 40, couplé à une anarchie architecturale laissant libre cours aux hommages et aux clins d’œil (le nombre de crânes dispersés dans les décors est obscène), avec un détour sur l’artiste Frida Kahlo dont le spectacle constitue une ode formidable à son talent, saupoudré d’un humour ravageur.
L’histoire même de Miguel, jeune garçon passionné par la musique au point de défier toute sa famille pour réaliser son rêve, vogue de malédiction en galère, de maldonne en quiproquo, avec des situation tour à tour hilarantes, touchantes, mordantes et finalement très émouvantes avec les révélations faites au personnages principal, dans une narration qui possède comme élément central le pardon et l’oubli, condamnant la famille Rivera à reproduire les mêmes schémas de ruptures personnelles à quelques générations d’intervalle.
On peut féliciter Adrian Molina pour son scénario, à première vue très simple mais qui multiplie les faux semblants et les chausse-trapes, bâti sur une foule de micro enjeux qui finissent par merveilleusement converger dans le dernier quart du film, via une opération de sauvetage aux airs de telenovela.
Des séquences qui laissent éclater le talent du casting vocal, depuis le jeune Anthony Gonzalez jusqu’aux vétérans Benjamin Bratt et Gael Garcia Bernal, c’est un vrai délice de voir le film en anglais ou même en espagnol (ce qui est également possible en France). Certaines reprises de “Remember me” avec l’adjonction du contexte, sont assassines et vont laisserons en miette dans votre fauteuil. Si la chanson des époux Lopez vous laisse indifférent, les compositions de Michael Giacchino et les autres chansons écrites par Adrian Molina, comme l’excellente “Un Poco Loco”.
Deux visions ne sont pas de trop pour appréhender Coco, la seconde permettant de se pencher sur tout le travail visuel de sémiologie déployé par toute l’équipe du film, sans même évoquer les dialogues, qui pour la plupart sont enrichis par cette seconde lecture, écrasant la plupart des tropes des films d’animation tout en se reposant sur une tradition du twist chez Pixar, sans en être esclave de celle-ci. Un petit conseil : surveillez bien Dante, si important à l’intrigue !
Et c’est tout à fait ce que j’attendais de Pixar pour enfin mettre les pieds dans une nouvelle période de leur cursus : un film qui soit le compromis heureux du talent des anciens et de leur bienveillance à soutenir des artistes qui ne demandent qu’à porter le médium là où il se doit d’être.
Avec un script béton qui mise plus sur l’émotion de ses protagonistes que sur l’action, Pixar revient sur le rail du grand cinéma avec Coco. Je vous recommande chaudement le film, qui arrivera sans effort à vous serrer le cœur grâce à son histoire somme tout assez dramatique. Attention néanmoins, le film n’est réellement accessible qu’à partir de huit ans, l’intrigue et les concepts qui y sont manipulés échapperont aux jeunes enfants.