Critique – Virus tropical


Adapté de la bande-dessinée autobiographique éponyme de Paula Gaviria, AKA SUPERPAULA parue en France aux éditions l’agrume, Virus Tropical est tout d’abord passé par la Berlinale avant d’être sélectionné en compétition à Annecy. Vendu par Marcel Jean comme un mélange entre Persépolis et L’Incroyable Famille Kardashian, le film de Santiago Caicedo se révèle plus l’un que l’autre, mais aussi tout autre, sans dénaturer le trait de l’artiste originale.

Née d’un père prêtre et d’une mère qui ne peut plus avoir d’enfants, Paola grandit entre l’Équateur et la Colombie dans une famille haute en couleurs. Entourée de personnalités féminines fortes, elle développe une vision du monde singulière et trouve peu à peu sa place dans un monde qui ne l’attendait pas.

Histoire de la vie ordinaire en Équateur et en Colombie dans les années 80, Virus Tropical est une chronique féminine qui ne manque pas de mordant dans sa dépiction des relations familiales, avec une justesse mettant à mal le mythe de la famille latine unie qui nous est asséné tout au long des fictions venant de ces mêmes pays.

Esthétique en noir et blanc pour relations en nuance de gris

Et c‘est ce qui marque le plus à la vision de Virus Tropical : sous le point de vue de Paula, petite dernière impromptue de la famille Gaviria, c’est la famille nucléaire du XXème siècle qui s’effondre lentement.

Depuis l’absence de plus en plus prononcé du père, Uriel, ancien prêtre et figure masculine en retrait jusqu’à la gestion entre matriarcat réticent et sororité nécessaire, les femmes du ménage gèrent la situation du mieux qu’elle peuvent dans une société pleine de diktats (les barbies qui parlent sont aussi hilarantes que déprimantes, le premier baiser de Paula, inspiré par les telenovelas).

Formellement, l’esthétique est tirée de la bande-dessinée, avec des aménagements évident pour animer les personnages et si l’on perd en vivacité du trait original, l’interprétation qui en est faite est fonctionnelle et en retient suffisamment de l’identité pour que chacun y trouve son compte.

Peut-être que son graphisme faussement naïf et les mains boudinées des personnages ne plairont pas à tout le monde mais c’était un choix à faire, d’autant plus que le film a été en partie crowdfundé sur Indiegogo à l’époque, s’il fallait encore prouver que la réalisation de Santiago Caicedo est un long-métrage indépendant.

Famille, je vous (hais)me

Le point de vue de Paola, depuis sa naissance fulgurante et inattendue jusqu’à l’âge adulte, est intéressant à plus d’un titre puisqu’elle vit dans un environnement semi privilégié, où les parents emploient Chavela, une nounou/maîtresse de maison, jamais à court d’idées pour faire des bêtises avec les enfants, ennuyer l’horrible mère d’Uriel ou pour voler de l’argent à ses employeurs.

Les relations entre les trois filles et leurs évolutions respectives inscrivent également le film dans une forme de comédie dramatique que le public français connaît bien : entre l’aînée, Claudia, qui veut devenir styliste et finit par s’enfuir pour tomber enceinte, la cadette, Patty, suit des études de psychologie et notre héroïne devient artiste, chacune finissant par se confronter à leur mère, personnage singulier et attachant, dont le fond de commerce est la divination dans les dominos.

La relation la plus intéressante du film se déroule entre Paola et Patty après que cette dernière ait trouvé la foi lors de sa première communion, et leur complicité lors de leurs adolescences respectives et un déménagement en Colombie donne une autre dimension au film, le faisant sortir des anecdotes familiales pour tracer un cheminement féminin plus personnel et plus biographique, où Paola se révèle plus indépendante.

Entre tranche de vie et chronique sociale biographique qui ne tombe pas dans le voyeurisme misérabiliste, Virus Tropical possède un quota sympathie élevé, et je ne peux que vous convier à le regarder, au-delà des clichés des adaptations sur la bande-dessinée indépendante, hélas toujours persistants.



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