Interview Exclusive Annecy 2016 – Ann Marie Fleming


C’est pas parce qu’on est à Annecy qu’il ne se passe rien sur le site ! Après la critique de La Vie en Rosie, une coproduction de l’ONF et Stickgirl Productions,  j’ai eu la chance d’échanger avec la réalisatrice Ann Marie Fleming. Nous avons parlé des origines du projet, de son rapport aux documentaires et bien sûr de…poésie !

Pouvez-vous nous expliquer la genèse du projet ?

Ann Marie Fleming : Je suis réalisatrice et je fais des documentaires depuis maintenant plusieurs années, mes films sont ouverts sur les questions de la mémoire, de l’histoire et de ma propre expérience. Je suis métisse et immigrée et je pense que revenir sur cette histoire a toujours de l’intérêt.

Je suis revenue avec le personnage de Rosie, il y a plusieurs années durant mes études en animation, comme StickGirl après un accident de voiture qui m’a bien secouée. La seule chose que je pouvais faire était de dessiner cette petite fille en bâtons et par la suite, j’ai commencé à l’utiliser comme avatar de mes propres expériences.

Elle apparaît dans des webisodes, une application de poésie pour smartphone… Elle est comme une version plus ouverte, plus curieuse et plus débrouillarde de moi-même. C’est important pour elle d’être dans ce le long métrage d’animation.

Qu’est-ce que votre expérience du documentaire et de la vidéo a apporté à La Vie en Rosie ?

AMF : Mes travaux précédents sont tous des biographies, des portraits de ce que l’on a pu vivre à différentes époques et endroits. Mes premiers films sont des hybrides, ce sont des collages de différents médias et même La Vie en Rosie est fait de différents styles d’animation.

Plusieurs de mes documentaires ont eu pour sujets des choses très personnelles (vous en remarquerez des détails dans les scènes du film) et les premiers furent à propos de ma grand-mère, de mon cher grand-père et de mon accident de voiture, ce qui a aussi donné un roman graphique : “The Magical Life of Long Tack Sam”. Lorsque j’ai travaillé sur Quand j’étais une enfant de survivants de l’holocauste j’ai été honorée de mettre en scène les expériences douloureuses de chacun et de leur donner vie.

Avec la pratique documentaire, je suis plus ouverte à tourner ma caméra vers les autres car chacun a sa propre histoire et apporte sa propre culture. Et je pense que cette théorie et cette conscience sont ce que j’ai appliqué à La Vie en Rosie. Bien sûr que tout ce qui est dans le film est vrai mais une part est aussi inventée, issue d’un mélange entre mon histoire et celles de gens que je connais. Il y a, à l’intérieur, un amalgame de nombreuses histoires vécues.

Sandra Oh, Omid Abtahi et Ann Marie Fleming lors d’une session d’enregistrement des voix.

Quelle a été l’influence de Sandra Oh sur le projet ?

AMF : Sandra et moi nous connaissons depuis plus de vingt ans et avions déjà le projet de travailler sur un film ensemble, avec la thématique des parents disparus. Mais ma Stickgirl était déjà là et je voulais amplifier ce message puis je lui ai demandé si elle serait disponible (après son départ de Grey’s Anatomy, ndr) pour faire une voix dans le film, mais c’est après, seulement, que je lui ai parlé de Rosie.

J’ai pensé qu’il y avait de grandes similarités entre elle et le personnage et malgré le fait qu’elle soit toujours très occupée, elle m’a dit : “Oui, je le ferai, pas de problème”. Je lui ai répondu : “Non, non, d’abord tu dois lire le roman graphique !”, elle a continué en “Pas de problème, je le ferai.” J’ai insisté et elle a lu le scénario storyboardé et s’est sentie tout de suite très liée avec le personnage. Elle a été un soutien fort du message du film pour les jeunes femmes, la diversité et la poésie. Elle fait un travail de productrice géniale, a beaucoup aidé pour la promotion, la campagne Indiegogo et elle a réunie une partie du casting d’acteurs.

La poésie a une grande résonance dans la vie de Rosie Ming. Quelle est votre recueil de poésie préféré ?

AMF : Ha ! Ha ! Je ne pourrais pas vous dire quel est mon recueil préféré là maintenant mais je peux vous raconter la résidence que j’ai faite en Allemagne à Stuttgart en 1996, la Akademie Schloss Solitude où j’ai rencontré beaucoup d’artistes et de poètes du monde entier.

C’est là que l’idée du film a commencé à germer. On m’a introduit au recueil de poèmes The Essential Rumi traduit par Coleman Barks. Je l’ai lu sans arrêt pendant deux ans, j’y ai cherché beaucoup de signification à l’intérieur et cela m’a beaucoup aidé. Ce « Rumi-là » fait définitivement partie de la genèse de cette histoire.

Une question plus légère : quel est le mot avec lequel vous préférez jouer, en rime ou par jeu de mot ?

AMF : Ah ! Vous êtes marrante ! Vous savez, je pense que l’étymologie et le sens des mots sont vraiment très important. Il m’arrive aussi de répéter un mot étranger que j’aime si souvent que ça finit par ennuyer mon entourage. Je dirai qu’en ce moment, mon mot préféré est “catholique”, mais pas dans le sens religieux, plus dans l’idée du rassemblement de croyances et de points de vue (ce qui est sous-entendu par sa racine grecque). “Catholique”, mais dans un sens plus holistique.

Quand j’ai vu le film, j’ai été impressionnée par le naturel et la spontanéité des voix. Comment avez vous travaillé avec les acteurs ?

AMF : Merci de poser cette question ! J’ai travaillé avec des acteurs formidables comme Shohreh Aghdashloo ou Navid Negahban. Pour la spontanéité, Sandra y est pour beaucoup puisqu’elle a tenu à travailler avec chacun d’eux dans la salle d’enregistrement. Pour ma part, j’ai tenu à embaucher des acteurs iraniens pour les personnages iraniens, de même pour le personnage chinois.

Ce qui est amusant pour Dietmar, le jeune allemand, c’est que l’acteur n’est pas allemand ! Il est joué par Don McKellar, un talentueux acteur et réalisateur canadien, qui s’est chargé de cette voix. Don est un très bon ami de Sandra, ce qui explique que ça se soit si bien passé entre eux. Il a travaillé avec un réalisateur allemand pour le rôle et son accent m’a vraiment impressionnée.

On peut aussi voir de belles peintures de l’histoire de la poésie iranienne. Quelles ont été vos inspirations pour ces décors ?

AMF : C’est une longue histoire ! Mes principales inspirations viennent du MOCA (Museum of Comtemporay Art) de Los Angeles où il y a une très belle collection japonaise de parchemins et de peintures de la période Edo. Durant la période Edo le Japon était une fenêtre ouverte sur son temps et simultanément, de l’autre côté de l’Asie, on trouvait des miniatures persanes avec la même thématique : ces deux parties opposées du monde ont été au même moment influencées par la poésie chinoise, et j’aime les aplats et les lignes fortes de cette période.

Il y a une scène très symbolique avec le poète chinois, Di Di, où Rosie se fait englober de lignes très abstraites. Comment avez-vous géré le symbolisme au sein du film ?

AMF : C’est cette scène en particulier que j’ai réalisé et où je voulais que Rosie soit touchée par la sonorité d’une langue qu’elle ne comprend pas. Elle en ressort à la fois changée et transformée par les sons tout en pouvant sentir les vibrations de façon synthétique, un peu comme lorsqu’on entend de la batterie, quelque chose de sincère qui transparaît depuis l’autre bout de la salle.

Je voulais que l’on perçoive visuellement comment elle est affectée par le poème. Pour les autres scènes poétiques j’ai demandé aux artistes de collaborer avec moi et leur ai donné une complète “carte blanche” (En français dans le texte). Je leur ai seulement expliqué les concepts et le sens derrière chaque poème et ensuite ils faisaient tout ce qu’ils voulaient.

Merci pour cet interview Ann Marie ! 

AMF : Merci à vous !

Merci à Nadine Viau de l’ONF pour son aide précieuse.


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