Janice Nadeau est aujourd’hui en master-class à la Cinémathèque québécoise pour parler de Nul poisson où aller et de Mamie, où cette co-production entre Folimage et l’ONF eut la chance d’être sélectionnée à Annecy dans la catégorie courts-métrages. L’ayant manqué durant le festival, j’ai néanmoins pu l’interviewer ultérieurement grâce à la magie de l’internet.
Vous êtes actuellement en Gaspésie, le pays de Mamie, pouvez-vous décrire cette région pour nos lecteurs ?
Oui, c’est rigolo ! (rires) C’est le pays de ma mamie et ça faisait longtemps que je n’y étais pas revenue ! En fait la Gaspésie, c’est une péninsule située dans une région complètement à l’est du Québec.
En ce moment, je suis dans la Baie des Chaleurs, une région beaucoup plus favorable à l’arrivée de l’été. Je suis à Bonaventure, qui se situe dans cette grande baie.
Dans votre court-métrage Mamie, la narration tourne autour de la maison et de la couverture. Comment avez-vous travaillé avec ces éléments ?
La maison est un thème récurrent dans mon travail, même quand j’illustrais des romans graphiques, des livres pour enfant…Pour moi, la maison c’est vraiment un ancrage. J’aime bien réfléchir comment la maison représente à la fois le personnage, son univers et sa personnalité.
Dans ce cas-là, c’est d’autant plus marquant, car c’était l’élément central pour ma mamie car c’est un lieu qu’elle habite. Je me souviens étant enfant, quand on arrivait là dans la maison de ma mamie, c’était important, ça avait quelque chose d’exotique, même pour moi venant du Québec d’avoir une mamie habitant au bord de la mer. C’était curieux qu’aucune fenêtre ne faisait face à la mer, j’ai décidé de garder cet élément-là dans le film.
Je l’ai fictionnalisée encore plus car même quand mamie se fait exproprier, la maison ressent les soubresauts du déménagement. Quand les déménageurs poussent métaphoriquement la maison dans la mer, la maison reste l’endroit où mamie peut se sauver.
Puis la couverture, j’ai pensé qu’il fallait un objet pour faire le lien entre elle et la petite fille donc la couverture devenait l’objet de convoitise. C’est aussi un élément qu’elle veut, qu’elle désire vu qu’elle ne peut pas avoir de lien avec sa grand-mère. Pour moi, une couverture représente très bien une grand-mère.
J’ai eu l’occasion de revoir Nul poisson où aller et Mamie, et ces deux films se rejoignent dans une ambiance significative. Comment avez-vous travaillé les sons, la musique ?
Au départ, je me crée moi-même une ambiance de travail, je vais commencer par m’entourer d’éléments pour définir les couleurs. Comme je viens de l’illustration, les premières recherches graphiques peuvent être assez longues, je ne commence pas par un storyboard.
Par exemple dans Nul poisson où aller, mon premier projet, je travaillais à partir d’un scénario et j’ai pu totalement m’épanouir dans cette recherche graphique et visuelle, l’aspect direction artistique. J’ai pu créer et réfléchir à l’ambiance, à me demander comment serait les arbres dans cet univers-là, quels sont les éléments, comment seraient les personnages, comment ils évoluent.
C’est une période de recherche graphique qui s’étend vers le son aussi parce que j’ai rencontré Olivier Calvert, le concepteur de son assez tôt dans le processus. Dans Mamie par exemple, j’avais certaines images qui semblaient vides, notamment celle de la transmission où on voit les ancêtres et la mamie, toutes les grand-mères qui transfèrent la couverture à la petite fille. Ces images définissent l’émotion du film.
Aussi, un des points communs des deux projets c’est qu’ils sont assez minimalistes, ça me permet de développer des compositions très aérées. Je pense que c’est à la fois un défaut et une qualité car j’imagine encore mes plans sous la forme de double page.
Pour moi, on reste dans une mise en scène théâtrale où l’on voit les personnages se mouvoir des pieds à la tête. Dans Mamie, on dénombre trente-trois plans, ce n’est pas beaucoup ! Pendant que je travaillais à Folimage sur le projet, il y avait une résidente qui faisait plus de cent plans pour la même durée de court-métrage.
La mise en scène et la composition dictent une ambiance qui peut être plus lente et laisse les éléments de narration venir. Quand je veux faire une transition, je vais réfléchir à rester sur le même plan et ne pas couper. Ce genre de composition assez épurée inspire des sons parfois pas très réalistes.
Par exemple, le dernier plan de Mamie où la petite fille (moi !) prend le thé avec sa mamie, le décor derrière n’existe pas et ça m’a permis d’inventer un jardin avec des sons nouveaux, le son du thé par exemple. On avait animé le thé qui coule de la théière mais finalement, vu que la scène est imaginaire, on l’a enlevé.
Désolé pour ma longue réponse ! (rires)
Vous parlez de votre travail d’illustratrice, comment gérez-vous cela en parallèle de l’animation ?
En fait, le dernier livre que j’ai illustré c’est Harvey en 2009 puis en 2010, j’ai commencé à travailler sur le court-métrage Nul poisson où aller. Donc depuis 2010, j’ai vraiment délaissé l’illustration pour me consacrer plus à l’animation, c’étaient des projets plus ambitieux qui demandaient plus de temps.
Pour moi, une fois que j’ai vu mes dessins bouger, c’était difficile de revenir en arrière ! Il y a une magie dans l’animation que je ne retrouve plus dans l’illustration. Je n’ai pas non plus fait une croix là-dessus, car cet été je vais travailler sur un herbier de Montréal avec les éditions La Pastèque, c’est vraiment un projet ponctuel et un coup de cœur !
Vu que je continue en parallèle mes études cinématographiques, entre ma maîtrise, les cours que je donne en illustration et l’animation. Je me rends compte que c’est difficile d’avoir du temps pour travailler sur des projets comme celui-là. Au niveau créatif, les films d’animation me donnent des défis que j’avais plus en en illustration, non pas que j’ai tout vu et le dessin reste le travail d’une vie, j’ai eu la possibilité de m’approprier mes créations.
Déjà, avec Nul poisson où aller où j’ai travaillé avec un scénario, pour c’est beaucoup plus prenant en terme créatif. Le cinéma combine tellement d’arts en un seul, je me suis rendue compte du défi que c’était.
Le seul défaut que je constate c’est le rythme : la gestion du temps est différente de l’image fixe, où le lecteur peut prendre son temps sur une page, se perdre dans une illustration, tourner la page quand il veut. Ça nous permet de faire des illustrations très dense au niveau narratif, on peut y mettre beaucoup de détails, beaucoup d’éléments superflus, ça peut se permettre d’être très décoratif.
En animation, c’est le réalisateur qui pose le temps de visionnement de son film, cette question me donne beaucoup de défi en terme créatif. Ça m’oblige à découper, et à penser le découpage de mes plans.
Vos deux courts-métrages, Nul poisson où aller et Mamie, sont des co-productions entre l’ONF et Folimage. Comment cela se passe en termes de conception entre le Québec et la France ?
En fait, le processus a été assez organique. Toutes les premières parties de développement des projets se sont faites au Québec avec deux visites à Folimage à Valence dans la Drôme. Je faisais pas mal de courriers à ma productrice Corinne Destombes et au CNC à Pascale Faure, qui se sont impliqués dès le départ avec Canal +. Il y avait donc à cette période un regard plutôt au niveau de l’écriture, et là où je travaillais sur le storyboard et l’animatique pendant ces huit mois.
Quand j’étais satisfaite, j’envoyais des versions à Corinne qui faisait suivre à son équipe, par la suite cette dernière me renvoyait des commentaires. Cette période d’écriture au Québec fut bonne car Corinne a pu demander une aide au CNC (complétant l’apport financier de l’ONF et de Folimage) et elle filtrait les commentaires. Cela me permettait de les recevoir et d’y réfléchir avec un certain recul depuis Québec, de faire mûrir le projet.
Puis quand tout le monde a été satisfait avec mes séquences d’animatiques, j’ai été rencontrer l’équipe et les deux animateurs avec qui j’allais travailler, voir avec la production de quoi j’avais besoin. Puis je suis revenu à Montréal et repartie en France, cela faisait beaucoup d’aller-retours, je suis ensuite restée à Folimage pour travailler quatre mois. J’étais là, à temps plein, on travaillait jusqu’à douze heures par jour.
Et après l’inverse, on envoyait des animations à mon producteur de l’ONF Marc Bertrand, puis lui suivait l’évolution du projet. Les équipes d’animations étaient tellement bien rôdées, tellement bien formées chez Folimage que l’ONF était vraiment confiant.
Enfin, je suis revenue au Québec pour travailler sur la post-production, sur la conception sonore avec Olivier Clavert et sur la musique avec Benoit Charest. Il y avait une grande synergie entre les équipes, c’était très simple, et ça m’a étonné ! Je m’attendais à ce que ce soit plus compliqué avec tous ces aller-retours.
J’ai étudié aux Arts décoratifs de Strasbourg et je souhaitais travailler en France mais je n’aurais jamais cru que ce serait sur un de mes propres projets. En plus à la résidence Folimage j’ai été très bien accueillie, puisqu’avant ça j’avais préparé le court seule avec des consultants clés, j’avais donc pu me poser toutes les questions possibles sur l’animatique.
Je suis arrivée en étant ouverte aux suggestions des animateurs, du coup quand ils me proposaient de nouvelles idées, je pouvais accepter plus facilement vu que j’avais pu réfléchir à mon projet en amont.
Il y a eu un questionnement pour la voix, vu que le projet se déroule en Gaspésie, on s’est posé la question de l’accent, étant donné que c’est moi adulte qui réfléchit à des souvenirs d’enfance. On avait embauché deux comédiennes mais finalement, ça ne collait pas au projet. Une fois en France, Corinne m’a encouragée et m’a dit qu’on pouvait travailler ma voix, je ne sais pas si c’est le fait d’être détendue avec mon petit micro, mais je me suis lancée.
Même sans la narration au complet du projet, ma voix fonctionnait plutôt bien mais je n’étais jamais totalement satisfaite, je trouvais quand même que certaines intonations étaient trop marquées. J’essayais de jouer aussi mais je trouvais qu’il y avait un manque de clarté au niveau de la diction avec l’accent.
Quand je suis revenue à Montréal, j’étais sûre d’une chose, je voulais mon timbre de voix avec un ton de confidence. Alors, on a organisé un casting pour embaucher une comédienne, Isabelle Blais, c’est marrant les gens pensent toujours que c’est ma voix. Tu vois, elle prononce le mot “pâté” avec le même accent que moi, avec une sonorité et une clarté différente mais quand même.
Je pense que les essais ne sont pas vains quand on prépare un projet et la co-production permet ça.
Pour finir, quels sont vos projets futurs, en dehors de l’herbier prévu aux éditions La Pastèque ?
En ce moment, je développe avec l’ONF et possiblement Folimage aussi l’adaptation de mon roman graphique Harvey. L’ONF m’a racheté les droits et ils ont fait appel à l’auteure Marie-Francine Hébert qui avait travaillé avec moi sur Nul poisson où aller. Elle a fourni une première version du scénario et j’ai déjà travaillé quelques animatiques. Je suis sur le projet depuis le début de l’année 2016.
Mes études m’occupent aussi, j’entre dans la rédaction de mon mémoire de maîtrise dont le sujet est l’adaptation de bandes dessinées vers l’animation. Ça me prend beaucoup de temps car je vais de mon travail à mon sujet d’étude sans arrêt.
Voilà pour les projets ! Je suis bien occupée (rires)
Merci pour cette interview !
Merci !
Tous mes remerciements à Janice Nadeau pour sa disponibilité, Nadine Viau de L’ONF pour la mise en relation.