Note : les illustrations de cet article proviennent des romans graphiques et sont données à titre démonstratif, à l’exception de la bannière et de la dernière image.
« Y-a-t-il des étudiants dans la salle ? » demande Peter Girardi, le vice-président exécutif de Warner Bros. Animation pour débuter le work in progress. Devant la multitude de mains, il continue : « Très bien, car ce panel sera plutôt une étude de cas sur comment adapter un roman graphique en série animée. »
La série en question ? Get Jiro, d’après le roman graphique créé par feu Anthony Bourdain, Joel Rose et dessiné par Langdon Foss.
Dans un futur pas si lointain où L.A. est obsédée par la nourriture, où les maîtres cuisiniers règnent sur la ville comme des seigneurs du crime et où les gens s’entretuent littéralement pour avoir une place dans le meilleur restaurant, Jiro, un chef sushi renégat et impitoyable, arrive en ville avec ses propres idées bien arrêtées. C’est une guerre culinaire sanglante aux proportions épiques qui débute et aucun chef n’en sortira indemne !
Un projet d’adaptation qui a pris une dizaine d’années à se concrétiser, entre la mort de Bourdain, le développement à petit pas et le COVID, la série a commencé à prendre forme avec l’arrivée sur le projet de Rick Morales (Star Wars : Clone Wars, Prenez garde à Batman !) qui déboulonne dès le début un raccourci souvent pris lorsqu’on évoque les adaptations animée de bande dessinée.

Morales poursuit : « On serait tentés de se dire qu’il est simple d’adapter une bande dessinée, qu’il suffit d’en prendre les cases et de les organiser chronologiquement pour avoir le résultat, mais rien n’est plus faux : beaucoup de dessinateurs ne pensent pas comme s’ils dessinaient un storyboard. C’est peut être le cas de David Mazzucchelli mais si vous prenez Frank Miller, tout est à faire pour combler ce qui se trouve entre ces cases, et d’imaginer comment ces personnages interagissent et se meuvent. »
Peter Girardi, vice-président exécutif de Warner Bros. Animation, précise ce contexte futuriste et les inspirations derrière Get Jiro : « La seule chose que les gens apprécient encore est de manger, c’est pourquoi les chefs ont le plus de pouvoir. Ils sont comme des influenceurs, des seigneurs de la guerre et des trafiquants de drogue – toutes les bonnes choses réunies. Tony était un grand fan de cinéma et de télévision japonais, de mangas, d’anime et de grands réalisateurs, comme Ozu et surtout, Kurosawa. Yojimbo a été très souvent évoqué. »
Dans le rayon des inspirations, Mind Game de Masaaki Yuasa a été cité, mais aussi Golgo 13. Côté occidental, Girardi cite la récente série Scavengers Reign, les dessinateur Moebius et Geof Darrow et les westerns (classiques comme spaghetti) avec Clint Eastwood, mais il a été décidé de prendre une direction plus réaliste.
« Nous aimons le roman graphique, mais nous voulions changer certaines formes et avoir des proportions et un style plus réalistes. » explique Girardi, et ce sans même parler de l’obligation de continuité esthétique que nécessite une série animée. « Le trait et les constructions de Langdon Foss sont parfaits pour un roman graphique mais impossible à transférer en animation, les personnages changeant parfois de visage d’une case à l’autre. C’est possible en BD, pas en animation. »
Le vice-président exécutif de Warner Bros. Animation nous montre alors les différentes itérations de Jiro faites par certains artistes ayant œuvré sur leur exploration graphique, comme Chase Conley ou Ron Wimberley, avant que ne soit établi le style désiré. « Il est tout aussi important de voir les différentes étapes de ce processus, car cela vous permet de trouver ce que vous désirez mais aussi, et c’est le plus important, ce que vous ne voulez pas pour la série. »
Ils se sont donc retrouvés avec un Jiro « plus grincheux et plus fatigué » selon Rick Morales, et Girardi a confirmé en blaguant : « Jiro n’est pas Batman. C’est juste un chef sushi en pleine forme. Nous en connaissons tous un. »
Girardi a montré les étapes pour plusieurs autres personnages, tels que les deux principaux antagonistes de Get Jiro : Bob et Rose. Si le premier a subi une évolution normale, la seconde fut plus difficile à reconceptualiser, principalement à cause du chapeau qu’elle porte, mais aussi ce qu’elle représente aux yeux de Bourdain.
Peter Girardi explicite : « Au début du projet, j’avais demandé à Tony pourquoi Rose portait ce chapeau un peu foufou, et il m’a répondu qu’il détestait les végétaliens, il possédait des idées bien arrêtées sur eux. C’est vraiment un grand commentaire sur la vision du monde culinaire d’Anthony, qui pouvait être assez sombre à certains moments. «

L’introduction de nouveaux personnages et l’expansion de l’univers où « les cuisines sont comme des cartels » étaient intrigantes : « Ils ont dû démolir Los Angeles pour la reconstruire et en faire une Mecque de la gastronomie », a expliqué le directeur artistique Jonathan Hoekstra. Ce nouveau L.A. est organisé en trois zones concentriques séparant les classes de la population : « À ce moment-là, Tony n’était plus parmi nous, alors nous nous sommes adressés à Joel. C’est une dystopie, mais pas beaucoup, même si les nantis et les démunis sont beaucoup plus séparés. Il y a une ceinture intérieure où se trouvent tous les restaurants chics, et les gens sont prêt à s’entretuer pour obtenir une réservation. »
Les concept arts montrés dévoilent le centre de L.A. où trônent les tours de Bob et Rose se faisant face. Puis a été dévoilé une modélisation de la ville en 3D totalement fonctionnelle, où se trouvent tous les lieux de la série. « Il y a ensuite un anneau intermédiaire, avec des restaurants de type Olive Garden – ma grand-mère me donnerait un coup de pied dans les tibias si elle m’entendait prononcer ce nom – et enfin, l’anneau extérieur, plus proche du terrain vague. C’est là que se trouve Jiro et son restaurant. »
Bourdain étant ce qu’il était, l’accent sur une représentation fidèle de la nourriture était essentiel : « Dans beaucoup de films ou séries, c’est à ce moment-là que l’on insère un montage. ici, pas de montage. La préparation devait être fidèlement représentée : « Nous avons travaillé sur le développement des styles culinaires avec autant d’acharnement que sur la conception des personnages. Je n’avais jamais travaillé sur une série qui incorporait la cuisine de manière concrète, mais ma femme et moi regardions beaucoup The Food Network ! » a raconté Rick Morales.
« Tony a insisté sur le fait que tous les éléments de la cuisine et la façon dont les aliments sont préparés devaient être corrects. Il fallait le bon type de cuillère, la bonne casserole. Si nous devions préparer des sushis dans la série, les gens devaient être capables de s’en servir comme recette. C’est une compétence que nous avons dû acquérir. »
La présence de consultants culinaires fut donc cruciale, comme celle de Matt Goulding, ancien collaborateur de Bourdain sur toutes ses émissions. « Nous avions dans le scénario quelque chose qui concernait la préparation des aliments et il a fait des révisions, vérifiant que notre technique était correcte. Il nous expliquait comment faire tourner les nouilles avant de les mettre dans l’assiette ou comment un vrai chef sushi n’aurait pas de sang sur sa planche à découper. C’est une série portant le nom d’Anthony Bourdain. La nourriture devait être exacte » a renchérit Ken Morales.
La 3D a donc été utilisée pour soutenir cet effort d’exactitude : « Cet outil était parfait pour émuler l’adhérence de la viande coupée, les grains de riz collés les uns aux autres… » Le gain de temps était précieux vu les ambitions de la production à cet endroit.

Enfin, l’écriture a été brièvement évoquée : « L’univers a été élargi, c’était nécessaire pour faire dix épisodes. Get Jiro en roman graphique ne fut que deux tomes avant la disparition de Bourdain, pas de quoi couvrir une saison complète. De nouveaux personnages apparaitront, de nouveaux chefs et gangs, mais aussi des guest stars comme David Chang, Eric Ripert ou encore José Andrés.
La présentation s’est terminée sur la toute première séquence de la série revenue du studio Canadien d’animation Mercury Filmworks. « Nous avons encore quelques remarques à faire et à leur renvoyer mais c’est en très grande majorité ce que nous visons pour la série. » a annoncé Peter Girardi. La séquence voit trois hommes de main venir provoquer le chef sushi dans son restaurant, provoquant la décapitation de l’un d’entre eux pour cause d’utilisation de sauce soja !
La série Get Jiro est prévue pour une diffusion l’année prochaine sur Adult Swim.
