Critique – Archipel


Après Ville Neuve présenté en 2019 en compétition Contrechamp du Festival international du film d’animation d’Annecy, Félix Dufour-Laperrière revient dans la même sélection avec Archipel, qui fut présenté à Annecy dans les pitch MIFA en 2018 et avait gagné le prix Ciclic avant une première européenne à Rotterdam plus tôt cette année.

Un vrai film d’animation sur des îles inventées. Sur un territoire imaginaire, langagier, politique. Sur un pays réel ou rêvé, ou quelque chose entre les deux. « Archipel » est un long métrage au dessin libre et à la langue précise, qui dit et rêve un lieu et ses habitants, pour dire et rêver un peu du monde et de l’époque.

On retrouve avec ce nouvel essai documentaire animé de Dufour-Laperrière ses questionnements sur l’identité et l’espace, ici enrichi par une mise en scène sous forme de méditation, voire de ruminations poétiques. A travers les dialogues et témoignages qui se succèdent sur les origines et les délimitations du territoire québécois, mais aussi les remous de l’histoire, qu’ils soient d’ordre personnels ou nationaux, authentiques ou non. Avec Archipel, c’est un pas de côté esthétique qui est fait puisque ce mélange d’images d’archives et d’un grande nombre de techniques d’animation change totalement du drame social dans lequel se trouvait Ville Neuve.

Restent tout de même un certain nombre de signes qui ne trompent pas : cette usage du monologue en combinaison avec le montage image et sonore rappelle que nous sommes bien dans une œuvre de Félix Dufour-Laperrière, où la multiplications des motifs selon ce qui est déclaré change de sens au fur et à mesure de l’avancée du film, tandis que d’autres, comme rôdant en arrière-plan jusqu’à ce qu’il trouvent le chemin de la justice, comme c’est le cas avec ce segment complètement noir sur lequel parle la poétesse Joséphine Bacon en langue indigène.

Ceci confirme cette absence d’image tant mentale que de mise en lumière des premières nations dont la lutte pour être reconnue comme peuple de ces mêmes territoires est encore difficile, et ce n’est pas un hasard si le film s’achève sur une citation du recueil Bâtons à message par la même artiste.

Comme un archipel d’îles toutes différentes, c’est une multiplication des signatures qui habite le métrage, conçu par une petite équipe (entre 10 et 15 personnes) autour de Dufour-Laperrière, qui a pris soin de préserver leur indépendance, pour le résultat que l’on a pu apprécier. Cette manière de faire, plus horizontale que bon nombre de production, a vraiment permis d’obtenir ce bel effet de cadavre exquis conférant au film un perpétuel renouvellement visuel sur toute sa durée.

Au final, j’ai apprécié cet Archipel, une nouvelle pierre dans le chemin de pensée de son réalisateur, qui n’a pas terminé d’interroger les espaces et les pensées de ses habitants puisque son prochain projet, La mort n’existe pas, continuera ces perspectives. D’ici là, ne manquez la possibilité de voir cet essai documentaire animé, un objet finalement assez rare dans le champ de l’animation.



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