Critique – Ferda la fourmi


C’est six ans après la ressortie des Contes de la ferme par le Studio Les Ursulines que Malavida Films nous propose de (re)découvrir l’univers de la réalisatrice tchèque Hermina Tyrlova au travers de Ferda la fourmi et son anthologie de courts-métrages.

Hermina Tyrlova est une grande figure du cinéma d’animation tchèque, elle a fait ses armes dans la publicité au sein de la société de production IRE Films d’où elle retire l’expérience nécessaire pour se lancer en 1942 dans son premier long-métrage Ferda La Fourmi en noir et blanc.

Son travail tourne autour de l’utilisation de la stop motion touchant à la thématique de l’enfance et du ressenti sur lesquels elle s’est d’ailleurs longuement exprimé :

« Le film d’animation est un conte de fées mobile du XXe siècle. Mon objectif est de faire revivre les objets : des jouets, des marionnettes ou des objets quelconques qui entourent les enfants. Je pense que les enfants ressentent le besoin de beauté, du sentiment et surtout de la joie. Et c’est ce que j’essaie de leur procurer par l’intermédiaire de mes films. J’ai la conscience tranquille de n’avoir jamais blessé l’âme d’un enfant par ce que j’ai créé. J’aimerais que la vie des marionnettes, des animaux et des choses se déroule devant les yeux des enfants comme un rêve inoffensif et que le bien triomphe du mal »

Ferda aide ses amis – 10 mn – 1977


Ferda la fourmi est un personnage issu de la bande dessinée satirique antinazie dont Hermina Tyrlova a contribué à l’aura populaire grâce à sa toute première adaptation en long-métrage en 1942. La fourmi devenue icône a même eu droit à une série de films d’animation au-delà du rideau de fer, dans l’Allemagne de l’Ouest en 1984. Une telle popularité expliquant que ce soit la vaillante Ferda qui donne son nom à cette anthologie visible en salles.

Ferda la fourmi a ici une mission : sauver ses amis de la forêt de différents tracas. Les paysages sont majoritairement en papiers découpés tandis que notre héroïne et les animaux ressemblent à des figurines articulées. Avec l’appui d’une musique entraînante, on passe d’un tableau verdoyant à une anecdote aquatique sans s’ennuyer une seconde !

Un sacré garnement – 8 minutes – 1973


On nous conte ici l’histoire d’un petit garçon malveillant qui met de la colle sur les rambardes de la ferme afin de piéger les oiseaux, mais il ne s’arrête pas là et s’en prend aussi au chien. La Nature étant revancharde, le garçon va alors vite comprendre son erreur.

Ce court est conçu en papier feutré découpé légèrement laineux et ce choix de matériaux apporte une douceur qui tranche avec la rudesse du propos de la première partie de l’histoire. En effet, la délicatesse d’exécution ne m’a pas empêchée de prendre le gamin en grippe. On a l’impression de voir défiler l’histoire comme dans un livre pop-up où les animaux et végétaux surgissent de manière naïve et expressive, ce qui en fait un moment très ludique, tout en étant dans la plus pure tradition des œuvres moralisatrices de l’époque.

Les farces du diablotin – 6 minutes – 1980


C’est certainement le court le plus classique de cette anthologie : l’action se déroule sur un sapin de Noël où une famille d’objets en pâte à pain se fait chahuter par un diablotin. Ce dernier tourne de manière insistante autour du nouveau né.

On est ici dans un ensemble de cadres fixes qui compose un sapin en tissu bleu accompagné de fine neige, évoquant notre calendrier de l’avent. Le récit se déroule de manière tellement calme qu’on se croirait dans une publicité pour des chocolats, aspect renforcé par l’aspect très « art décoratif » lié aux fêtes de Noël. Cette ambiance de conte traditionnel dénote dans la sélection des courts, bien que la matière et l’innocence y soient tout autant à l’honneur. Je m’y suis quelque peu ennuyé du coup, malgré le fait que ce court soit l’un des plus… courts, justement !

Les féeries du corail – 10 minutes – 1968


Nous nous rendons maintenant sous l’océan pour découvrir les aventures de deux poissons. Ils vont croiser des coquillages mesquins et d’autres surprises.

L’environnement aquatique se dévoile par un travail raffiné, fait de perles et de nacre en accord avec le caractère changeant de l’eau. L’osmose entre décor et musique donne un aspect hypnotique à cette histoire aquatique se déroulant sous nos yeux, qui n’est pas sans rappeler le célèbre Ballet des poissons de Fantasia. Par son aspect abstrait très assumé qui laisse au public la lecture de l’image, ce court est mon coup cœur de cette anthologie.

Conte de la corde à linge – 8 mn – 1986


On change de décor pour se retrouver dans une ferme où l’on assiste à une scène entre des vêtements séchant au soleil. La salopette bleue est malicieuse et tente de perturber le tablier rose et la gigoteuse en leur jetant des cailloux. Les différents habits sont vocalisés par des timbres vocaux caractéristiques : la salopette s’affirme par du chahut masculin tandis que le tablier rose dégage des expressions plus maternelles.

Le Conte de la corde à linge est, avec Ferda la fourmi, le court le plus abouti de cette anthologie car il mêle cette approche très instinctive de la réalisatrice sur les objets du quotidien à une utilisation plus fine de l’environnement. Le plan sur les bulles volant au loin surprend par son côté contemplatif et une plus grande maîtrise de la mise en scène, avec une caméra plus mobile que sur les autres courts. J’ai d’ailleurs apprécié ce sentiment d’innocence qui s’en dégage et aussi cette attention touchante de ces petits objets, plein d’humanité.

Ferda la fourmi est donc une expérience que vous pouvez vivre en famille, où les plus petits retrouveront les sensations de leurs livres d’images alors que la durée du programme (40 minutes) ne présentera pas un obstacle à leur bougeotte. Seul les farces du diablotins m’a semblé un peu plus en marge, mais cela prouve la difficulté de concevoir une sélection de courts-métrages. Si vous êtes férus de cinéma d’animation, cette anthologie vous donnera la possibilité de (re)découvrir le travail de la grande réalisatrice que fut Hermina Tyrlova. Sortie en salles le 10 février 2016, distribué par Malavida Films. Source citation : Radio Prague.



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