Critique – Ethel et Ernest


Raymond Briggs et l’animation, c’est une relation suivie, depuis Le bonhomme de neige jusqu’à Quand souffle le vent, Grand prix du long-métrage à Annecy en 1987. Roger Mainwood succède donc à Jimmy T. Murakami dans le registre du long-métrage, adaptant à son tour un des livres de l’artiste anglais.

L’histoire vraie des parents de Raymond Briggs, Ethel et Ernest, deux Londoniens ordinaires qui tombent amoureux sur fond de changement social immense au milieu du 20e siècle, vivant la Grande Dépression, la Deuxième Guerre mondiale, l’austérité d’après-guerre et le bouleversement culturel.

Ethel et Ernest écope dès son postulat d’écueils importants : tout d’abord dans le domaine des adaptations à l’écran, qui doit savoir trahir un minimum l’œuvre originale pour maintenir un intérêt, puis en tant que chronique historique, puisque c’est ici une grande partie du XXème siècle qui est vécu par les parents de Raymond Briggs, et ce avec son point de vue bien spécifique.

Tout comme les précédentes adaptations de l’artiste anglais, Ethel et Ernest fait le choix d’un graphisme 2D qui reprend l’allure générale des personnages tels que les a dessiné Briggs, tout en se ménageant de quoi les animer avec constance. Si l’on perd un peu de vibrance dans le trait, la stabilité est parfaite sans rendre les personnages trop raides. C’est à l’heure actuelle l’un des effets les plus déplaisants dans ce type de film d’animation, ici animé avec le logiciel TV Paint.

Ethel et Ernest par Raymond Briggs

Le film de Roger Mainwood se déroule dans la vie d’Ethel (Brenda Blethyn) et de Ernest (Jim Broadbent), depuis leur rencontre jusqu’à leurs morts respectives en 1971. Il ne manque pas de scope pour le faire, et ce dès les premières séquences, où l’on suit une succession d’œillades et d’actes manqués jusqu’à la demande officielle de notre laitier à la domestique, qui quitte le foyer de ses employés fortunés pour fonder un foyer.

Le tout s’enchaîne avec une fluidité déconcertante, et les travellings de suivi permettent de deviner l’adjonction très discrète de 3D aux décors et aux véhicules, sans jamais retirer une once de charme à la direction artistique de Robin Shaw, habitué du trait de Raymond Briggs puisqu’il a déjà travaillé sur Le bonhomme de Neige et Le bonhomme de neige et le petit chien.

Le montage du film ne cesse de se dérouler de manière fluide, excluant les dates et se focalisant sur les événements marquants du couple et du monde qui les entoure, l’un rattrapant l’autre depuis la naissance de Raymond, enfant unique car né bien tardivement, à l’arrivée graduelle de la seconde guerre mondiale qui font refluer les souvenirs de la précédente où nos héros y ont perdu des proches. C’est sans parler du manque d’hygiène et de système santé du début du siècle, symbolisé par le nombre de frères et sœurs qu’Ethel a perdu en grandissant.

Ethel et Ernest par Roger Mainwood

Le long-métrage s’insinue aussi dans le point de vue de ces événements par le couple. Il est intéressant de constater leur différences de couleur politique (il est de gauche et elle, bien plus conservatrice) et les successions de gouvernements, de crises et d’avancées sociales déclenchent des réactions diverses et parfois surprenantes de l’un et de l’autre, jusqu’aux petites piques au détour des déceptions électorales.

Il est du coup très intéressant de partager avec eux cette vision très britannique du monde, à la fois insulaire et tout de même bien ethnocentrée, qui permet de montrer à la fois l’ignorance et la simplicité de la classe moyenne anglaise vis-à-vis du reste d’un monde à l’époque en pleine transformation.

De ceci, Roger Mainwood nous montrera essentiellement les avancés technologiques, depuis l’arrivée du tout électrique, du frigo, de la démocratisation de la voiture, sans nous épargner les horreurs de la guerre et la difficulté du Blitz, culminant avec l’arrivée des V2. Malgré leurs défauts, Ethel et Ernest sont indubitablement humains et ce regard parfois tendre et parfois dur que lance le personnage de Raymond en tant que fils sur eux pourra parfois vous serrer le cœur à mesure que l’on s’approche de la fin du film.

Malgré la nécessité d’adapter le livre éponyme, Ethel et Ernest sait se faire entièrement cinématographique, depuis sa première jusqu’à sa dernière seconde. C’est sa grande force ! Armé d’une animation d’apparence classique mais bourré de nuances et renforcée sans excès par de la 3D, le métrage ne donne jamais un goût de fané ou de suranné, un obstacle souvent présent dans ce genre de reconstitutions. Ethel et Ernest est vivant, sensible sans tomber dans la sensiblerie. Un vrai tour de force qui vaut le coup d’être vu. https://www.youtube.com/watch?v=JXDlEw5u8u8



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