Critique – Funan, le peuple nouveau


Le vendredi 28 septembre, dans le cadre de la Fête du cinéma d’animation, s’est tenue l’avant-première du premier long-métrage du réalisateur Denis Do, intitulé Funan, le peuple nouveau.

Phnom Penh, 1975. La révolution khmère éclate au Cambodge et plonge le pays dans l’horreur. En pleine déportation, Chou, une jeune mère, se retrouve brutalement séparée de son fils de quatre ans. Elle n’aura de cesse de tout mettre en œuvre pour le retrouver, tout en continuant tant bien que mal à vivre dans un monde qui tombe en ruine.

Les spectateurs ont été chaleureusement reçus au cinéma Le Méliès à Montreuil pour une soirée en compagnie des ambassadeurs de la Fête ainsi que du réalisateur Denis Do qui a répondu à plusieurs questions du public à la fin de la projection.

La salle était comble, et c’est peu de dire que ce film était attendu ! Présenté au 42e Festival d’Annecy en juin dernier, où il a reçu le Cristal du meilleur film d’animation, le film ne sortira pourtant sur nos écrans qu’en mars 2019. Cette avant-première étant donc plus que bienvenue pour des spectateurs comme moi qui attendaient de découvrir ce film avec grande impatience.

Funan est un projet largement autobiographique, puisque Denis Do s’inspire de l’expérience traumatisante de sa propre mère et de son demi-frère pendant cette période. Il témoigne d’une nécessité de parler de cette partie peu connue de la grande Histoire, pour contrebalancer la difficulté des victimes à aborder leurs souvenirs.

Ce film-témoignage vise autant que possible l’exactitude des conditions de détention du peuple cambodgien dans des camps à travers le pays, les maltraitances subies, la faim, la douleur, l’angoisse… Il bouscule par la force de ses images, qui se déroulent pourtant sur un rythme contemplatif et lent, portrait du quotidien bouleversé et routinier des prisonniers.

La violence fait partie intrinsèque de Funan, sans pour autant qu’il ait été nécessaire à Denis Do de la montrer crûment. Certaines scènes suggèrent plus qu’elles ne dévoilent les actes sanglants, criminels commis par les personnages, et font prendre conscience de l’état inhumain de la situation.

À l’image de la monotonie de la vie des prisonniers, les scènes alternent entre jour et nuit, et l’essentiel de l’histoire se concentre sur le lieu du camp où les paysages sont sans cesse les mêmes : les bungalows en bois, la terre, l’eau des rizières, la végétation de la forêt avoisinante… L’animation, d’une grande beauté, tire son efficacité des traits minimalistes mais tellement expressifs des personnages. L’interprétation vocale des comédiens joue également un rôle dans la transmission immédiate des émotions des protagonistes, et l’on souffre et pleure avec eux.

On ne peut ressortir indemne du visionnage de ce long-métrage exceptionnel, première œuvre d’un jeune réalisateur tout juste sorti des Gobelins, qui ne pariait en rien sur le succès mais qui sort vainqueur de s’être battu pour raconter cette histoire, la faire connaître au monde, et offrir aux victimes un hommage aux souffrances endurées. Nul doute que Funan connaîtra un beau parcours au sein de l’animation indépendante.

Le court métrage d’avant projection : Lettres de Femmes
Petite découverte en amont de la projection : le court-métrage Lettres de femmes d’Augusto Zanovello a été diffusé, qui avait remporté le prix du public à Annecy en 2013. Il met en scène un infirmier de guerre qui soigne les soldats blessés en pansant leurs plaies à l’aide des bandes de papier des lettres envoyées par leurs femmes. Une métaphore poignante du pouvoir de guérison des mots associée à une animation en stop motion inventive.


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