Critique – Old Man – The Movie, lactocalypse cow


Après le décalé-tatoué Lava, le festival d’Annecy nous surprend encore avec dans sa sélection Contrechamp avec le long-métrage estonien agricole en stop motion Old Man -The Movie, adapté de la web série à succès Vanamehe Multikas, débutée en 2012. On espère que vous n’êtes pas allergique au lactose car ce cas vous allez lire une critique à manipuler avec précaution :

Notre protagoniste, le Vieil Homme, reçoit la visite de ses petits-enfants, qui vont passer l’été dans sa ferme. Sans le faire exprès, les petits crétins laissent s’échapper sa vache, aussi précieuse que maltraitée. Maintenant, le Vieil Homme et sa descendance ont très exactement 24 heures pour retrouver cette satanée femelle, avant que ses mamelles pleines n’explosent et ne provoquent une apocalypse lactée.

Grand-papa, c’est quoi cette bouteille de lait ?

Il était une fois trois petits-enfants en visite chez leur grand-père. Ces trois-là, contrairement à leurs parents, ne sont pas ravis de lâcher leur smartphone pour s’occuper des animaux et déplacer du fumier. Le Vieil Homme n’arrive pas à distinguer ses petits-enfants et pour ainsi dire moi non plus, alors pour simplifier le déroulement de la lecture, il y aura : le psychopathe, le blond et Priidyk. Au premier abord, on pourrait se croire chez l’ami Shaun le mouton et même si l’esprit campagnard les rassemble, on est dans un tout autre délire. Le Vieil Homme et sa descendance se retrouvent vite projetés dans une course contre la vache explosive, tout en devant gérer l’addiction des villageois à la substance lactée. Ça vous semble tendu ? ça l’est. L’action devient alors trépidante, avec un feu d’artifice de vannes de pets, de bousin et d’allusions appuyées végétalo-sexuelles. Leur antagoniste principal se trouve être une Face de Lait, dans la même veine que son cousin américain Leatherface de Massacre à la tronçonneuse, dont le seul but est de tuer la vache afin de de se venger de sa transformation suite à une malencontreuse explosion ayant eu lieu dans les années 60. La mise en scène autour de ce méchant très méchant dans la grange qui lui sert de tanière est assez rafraîchissante car elle emprunte aux codes du film d’horreur, zooms et travellings en sus. On n’est cependant jamais loin de la rupture de ton, comme le moment où Face de lait décide de recruter des chômeurs rongés par l’alcool et l’ennui.

Le couperet

Malgré ce foutoir narratif, il ressort quand même quelques revendications sur la société moderne qui se vocalisent par le biais du jeune Priidyk. Le jeune garçon met plusieurs fois en garde Le Vieil Homme contre la sur-production et la sur-consommation de lait, un problème réel de l’agriculture européenne (en passant la crise du coronavirus n’a absolument pas arrangé la situation des agriculteurs de ce coté-là). Autre point, l’ancien et les gamins se retrouvent face à des hipsters pour qui la campagne est au mieux un fond bucolique pour leurs photos Instagram, et piétinent donc la forêt dans le plus grand irrespect des grands parents. Sous ses airs de sale gosse bordélique se moquant de tout, Old Man – The Movie arrive à souligner certaines problématiques actuelles, ce qui est notable, parce qu’il aurait tout simplement pu se laisser porter par la puissance brute de l’humour protéinique de cette voie lactée.

Got milk ?

A l’image de son scénario chaotique teinté d’humour bête, la technique de stop motion utilisée revient dans l’esthétique aux sources de la claymation, avec un character-design des personnages qui semble grossier, avec leurs yeux globuleux et leurs doigts aux allures de Knacki. On retrouve cette rugosité argileuse et suintante sur la peau des marionnettes. Ceci combiné à la galerie de trognes, aux animaux hantés par un regard fou et des décors assez rudimentaires, tous ces éléments esthétiques ne sont au final qu’un signal de plus à lâcher prise face à l’enjeu bovin qui hante nos personnages. La finition se remarque dans tout ce qui a trait au lait, du tueur dégoulinant Face de Lait aux différents écoulements du précieux liquide, on sent la recherche investie dans les différentes textures parcourant le long-métrage. Si vous cherchez de la brillance et du lissage, vous vous êtes trompé de chemin : Laïka c’est au fond à droite au bout du couloir. La stop motion estonienne de Old Man – The Movie représente à la perfection ce milieu artisanal qui est théâtre de ce conflit laitier.

LE DISCOURS POLITIQUE

Le film va même chercher le spectateur dans ses retranchements à accepter le gore, le visqueux, le merdeux et le gluant. Certains moments peuvent vous donner des hauts le cœur, autrement dit il vaut mieux avoir mangé léger avant d’appuyer sur play. Cette exploration des différents fluides corporels et autres matières ragoutantes diffère complètement de la représentation puritaine du gore à l’américaine de Robot Chicken où seul le sang dégouline. Niveau ressenti, on peut rapprocher ce dégoût à la séquence de la soupe de Braindead ce qui a le potentiel de vous hanter longtemps, très longtemps…

Leurs corps est en pleine croissance

La musique participe elle aussi à mettre dans l’ambiance le spectateur. On débarque dans le film par des morceaux très eurodance qui nous donneraient presque envie de sortir notre plus belle robe cocktail pour donner douze points à l’Estonie. Grâce au caméo du chanteur du groupe Terminaator, on passe par une vibe métal nineties à faire headbanger des lapins. On termine par un rap estonien qui m’a fait remonter le souvenir de Marly Gaumont de Kamini. Je vous vois envier mes références musicales élitistes. Avec une telle playlist, on passe du statut émotionnel « facile à digérer » au « beurre de baratte » et on ne sort pas de ce visionnage indemne. The Old Man – The Movie, vous l’aurez compris, fait partie de cette animation adulte qui aime jouer avec son caca, et même si au milieu de ce cha-cha-os, on remarque un discours politique, il n’est hélas pas suffisamment marquant. On retiendra surtout le déluge de vannes et l’éclectisme de la musique vraiment bien choisie. Je vous le recommande pour terminer ce festival entre adultes avertis avec de la picole et de la nourriture grasse. Pour les non-accrédité.e.s, vous pouvez trouver le long métrage en stop motion à la location sur certaines plate-formes VoD. Mieux que la bande annonce,  je choisis de vous partager le rap estonien qui m’a conquise : https://youtu.be/51CkybPLZGo



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