Interview – Hélène Ducrocq, réalisatrice des « Mal-aimés »



Les Mal-Aimés sont sortis au cinéma le 16 septembre 2020. Ce programme de 4 courts métrages à destination du public jeunesse propose d’en apprendre plus sur le loup, l’araignée, la chauve-souris et le ver de terre.

En mettant la magie de sa table lumineuse au service de ces animaux à la mauvaise réputation, la réalisatrice Hélène Ducrocq s’est transformée en bonne fée de l’animation pour offrir à chacun de ces mal-aimés son conte écologique à l’ambiance et au ton bien trempé !

Nous avons donc posé quelques questions à Hélène Ducrocq pour en savoir plus sur les films mais aussi sur la démarche engagée qui sous-tend tout le projet des Mal-aimés porté par CitronBien Cinéma. En attendant la suite qui nous est ici annoncée, ce fut l’occasion de découvrir que la magie du programme s’appuie sur une philosophie artisanale et locale et sur une bonne dose d’enthousiasme communicatif.

On sent une parenté visuelle entre « Lupin » et « Maraude et Murphy » (palettes de couleur, papier découpé, …) et entre « Comment j’ai vaincu ma peur des humains » et « Terre de vers » (couleurs vives, humour, …). Pourtant vous avez choisi une direction artistique bien distincte pour chaque court-métrage. Comment avez-vous choisi les animaux à traiter et la direction artistique spécifique pour chacun d’eux ?

Hélène Ducrocq : Les quatre films ont été créés de manière artisanale, un par un. Je suis toujours en recherche d’un style graphique qui s’adapte au thème et à l’histoire. Et dès le premier film on savait qu’on allait constituer un programme complet, donc il était bon de varier les ambiances et le ton.

De manière chronologique, c’est « Maraude et Murphy » que j’ai réalisé en premier, en 2016-2018. C’était une période où je faisais beaucoup de papier découpé. J’adore la quantité d’information visuelle qu’il peut y avoir avec une simple feuille de papier machine superposée sur une autre illuminée : c’est tout de suite beau !

Le côté translucide allait bien aux fines ailes des chauves-souris. Vers la fin de la production de ce premier court-métrage, avec Pierre Dron, on s’est dit que c’était trop dommage d’arrêter là l’histoire des personnages… il y a encore tellement de choses à raconter avec « Maraude et Murphy » et puis aussi tous ces animaux qui souffrent d’une mauvaise réputation.

C’était facile pour moi de faire un film sur les chauves-souris ou sur le loup, un animal que j’adore et qui me fascine. Alors j’ai voulu faire la démarche d’apprendre à aimer une bestiole que je détestais : les araignées. Si je pouvais surmonter ma peur et mon dégoût alors n’importe qui le pouvais ! Je m’y suis attelée : j’écrivais l’histoire de Dédalia en même temps que je faisais des exercices pour vaincre mon arachnophobie. Au début, je ne pouvais même pas toucher un dessin d’araignée (et si je me forçais je pleurais) !

Mais pour créer Dédalia, j’ai dû regarder de près de vraies araignées, les étudier, les comprendre et travailler sur la mécanique de la peur. J’ai eu la chance de pouvoir discuter avec Christine Rollard, biologiste au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris. Elle est spécialiste des araignées et fait un travail énorme auprès des phobiques et du grand public. Elle a écrit plusieurs livres que je recommande à ceux qui veulent surmonter leur peur des araignées ! Et pour les vers de terre je voulais illuminer l’ensemble des films avec quelque chose de pétillant et drôle.

Mais plus on se renseignait avec l’auteur Jean-Pierre Poirel, plus on découvrait le drame qui se joue sous terre. Alors « Terre de Vers » s’est teinté de cet humour noir proche de l’univers de Tim Burton. Mais on reste toujours positifs ! Sur l’ensemble des films, j’ai travaillé avec le compositeur Nathanaël Bergèse. C’est une composante importante de la direction artistique, et pas seulement sur la comédie musicale (même si c’était un gros morceau). Il a insufflé des ambiances originales grâce aux choix d’instruments où on ne les attendait pas. Je voulais des instruments “naturels”, du bois, de l’organique et il a su composer avec mes idées parfois farfelues (je suis arrivée avec une musique pour chat et je lui ai demandé de la musique expérimentale pour chauve-souris !). Sur l’ensemble il y a une bande originale très douce qui s’écoute très bien en autonomie sur les plateformes de musique.

Pour « Maraude et Murphy », le site des Mal-aimés fait écho a une narration en voix off pour évoquer le conte. Or sur la version présentée, ce sont Maraude et Murphy qui s’expriment directement ? Pourquoi cette option a-t-elle été finalement préférée ?

Hélène Ducrocq : Merci pour cette question ! Je vois que vous avez bien étudié les films et leurs secrets de fabrication, ce qui nous encourage à continuer à alimenter le site de contenus additionnels et de surprises. Car, c’est vrai qu’on a conçu les films en les pensant avec leur accompagnement. L’idée n’est pas de sortir de la salle de cinéma et passer à autre chose. On continue de créer du contenu ludique et pédagogique sur lesmalaimes.fr et  on en postera aussi longtemps qu’il y aura des spectateurs! En plus de préparer les prochains films des Mal-Aimés ! Mais revenons-en à nos chauves-souris…

Ce qu’il faut savoir sur « Maraude et Murphy », c’est que c’est le premier film du programme. On s’est beaucoup mis de pression, car il devait donner le ton des trois autres films. Il y a eu 14 versions du scénario (c’est énorme !) Le point de départ du film (et du programme), c’est de mêler des contes écologiques et la poésie du théâtre d’ombre. Nous souhaitions réhabiliter les animaux mal-aimés en même temps que le conte, qui est sujet à l’évasion.

Au final, donner envie de rêver pour sauver le Monde ! Et puisque le conte est souvent porté par un conteur… J’ai été totalement embarquée par le discours de Alain Bougrain-Dubourg, lors d’une conférence pour la PLO (ligue de protection des oiseaux, dont il est le président). Je sais alors que c’est le conteur parfait pour ce projet. Par chance, Pierre Dron – mon producteur – est avec moi ce jour là et a la même idée que moi : nous lui proposons le projet, et il accepte de nous prêter sa voix.

Mais, la production d’un film n’est pas un long fleuve tranquille. Les premiers retours de nos financeurs ne sont pas bons… ils n’aiment pas la voix off (souvent connotées). Rares sont les films avec des voix off. On nous dit d’ailleurs “la voix off c’est vieux jeu, trop littéraire, ça ne marchera pas pour les enfants”. Alors que moi j’adore la littérature au cinéma. J’ai même réalisé un court métrage pour enfants, Le noyau de mangue, où le texte était écrit et intégré dans l’image et il a très bien marché !

Qu’à cela ne tienne, faire des paris osés, nous en avons déjà beaucoup. Et, le film bascule sur un autre genre : l’aventure ! Plus je lis de choses sur ces animaux, et plus je me dis que ce sont des super-héros du quotidien… Comme je l’ai dit, on s’était mis la pression sur Maraude et Murphy, et accepter la critique c’était un petit effort à faire pour finir de convaincre une institution…

Et, je ne le regrette pas ! C’est différent de ce que j’avais en tête, pas mieux, pas moins bien, juste différent. Je suis persuadée qu’il y a encore plein de beaux films à faire avec la voix off, mais pour « Maraude et Murphy » le côté “aventure” et identification aux personnages a gagné en dynamisme… et il faut dire que le jeune comédien Tom Vandroux qui fait Murphy est épatant!

Que ce soit dans « Comment j’ai vaincu ma peur des humains » ou dans « Terre de vers », la thématique de la mort est abordée certes avec humour mais sans détourner les yeux des enjeux. Comment avez-vous travaillé autour de cette question pour le public jeunesse ?

Hélène Ducrocq : Petite j’étais très angoissée par la mort. Et je pense que le fait de mettre cela sous cloche pour les enfants n’est pas spécialement une bonne idée. Parce qu’elle fait partie de notre quotidien et que c’est pour la même raison qu’il y a des enfants qui ne savent pas ce qu’est réellement une tranche de jambon ! Par exemple, ma nièce, à 5 ans, a déclaré qu’elle ne voudrait jamais d’enfants, parce qu’après on devenait grand mère et les grands-mères meurent ! En réalité, elle exprime une angoisse face à la mort… Et personne n’est vraiment à l’aise avec ça (même en tant qu’adulte).

Pour moi, juste le fait d’en parler (et de ne pas en faire un sujet tabou) rend les choses plus simples. En réalité, on a tendance à ne pas vouloir parler de la mort aux enfants pour ne pas les effrayer, alors qu’ils perçoivent déjà des choses et qu’ils se créent des peurs. Ce qu’on a voulu avec les Mal-Aimés, c’est que les films ouvrent une discussion, que les enfants posent des questions aux adultes qui les obligent à se questionner eux-même et faire des recherches, et échangent ensemble. Il n’y a pas cette même liberté en télévision par exemple, parce que les dessins animés sont conçus pour être regardés sans les parents. Au cinéma ce n’est pas pareil, le film est accompagné par des enseignants, des parents curieux qui ont déjà la démarche de faire découvrir quelque chose de différent à leurs enfants. C’est génial !

Les personnages féminins ont beaucoup d’éclat : la volonté de Jeanne dans Lupin, le courage d’Ykari qui va inspirer celui de Dedalia dans « Comment j’ai vaincu ma peur des humains », les superbes scènes d’action à la 1ere personne dans Maraude et Murphy. En quoi est-ce important pour vous ?

Hélène Ducrocq : En CP à la récré, je jouais au foot et aux Chevaliers du Zodiaque. Et j’étais considérée comme « garçon manqué ». Merci l’étiquette pour se construire une féminité avec ça ! Heureusement que dans la nature, il n’y a pas de sexisme et que la lionne peut aller chasser sans devoir se justifier «je fais un truc violent mais c’est pour mes enfants hein, après je redeviens douce et je miaule». Le féminin est un sujet sensible pour moi, mais c’est englobé dans le thème du respect de l’Autre. J’aime à croire que si on s’intéresse à un misérable ver de terre ou qu’on n’écrabouille plus les araignées à tout bout de champ, on évolue aussi sur les perceptions entre humains et donc entre genres. Est-ce que je rêve ?

Interview de spécialistes, enquêtes sur le terrain mais aussi travail avec des artistes locaux : le message écologique du film ne s’arrête pas ce qui apparaît à l’écran. Pouvez-vous nous en dire plus sur la démarche concrète dans le monde réel qui sous-tend le projet des Mal-aimés ?

Hélène Ducrocq : Avec Citron Bien Cinéma, on produit des films qui donnent envie d’agir. Et puis, 5 ans de travail pour faire 40 min de programme, on n’a pas envie que le spectateur zappe trop vite après ! Haha ! Plus sérieusement, pour chaque film, j’ai rencontré des spécialistes en amont, je suis allée sur le terrain, et j’ai rencontré beaucoup de passionnés passionnants. Je voulais partager les étoiles qu’ils m’ont mises dans les yeux. Et puis je ne veux pas que les personnages soient enfermés dans leur fiction ! Ils racontent des choses réelles et j’invite chaque spectateur à lever les yeux, les soirs d’été pour voir Maraude et Murphy, ou laisser Dédalia faire sa toile sous le buffet.

En plus, les films sont soutenus par les ONG : la LPO, l’Aspas, CPN, … qui proposent des ateliers et des sorties nature ! Comme le cinéma américain a réussi à répandre l’American Way of Life, nous, on veut promouvoir le Nature Way of Life ! C’est à dire de rendre la Nature cool parce qu’on aura vu des histoires cool sur elle. Après, on est des artisans, on a fait nos films avec peu de moyens et une équipe réduite de passionnés.

S’embarquer dans une telle aventure, c’est aussi le faire avec des gens qui y croient, des copains, et ceux en qui on a confiance… Tous nos films ont été fabriqués localement à Bourg-les-Valence : du scénario à la réalisation, en passant par la musique et les musiciens (seul le son a été fait à Lyon à 1h d’ici). On a même choisi l’artisanat local pour les produits dérivés. Zapristi – une amie installée à Valence a conçu des objets rigolos et pratiques avec du tissu imprimé des Mal-aimés.

Nous avons choisi d’imprimer nos livres en France… Finalement, travailler en local – c’est presque un acte militant ET écologique : on parle de circuit court pour minimiser son impact sur l’environnement, pourquoi le cinéma ne pourrait pas montrer l’exemple ? Essayer de changer les choses passe aussi par le dialogue… c’est pourquoi on veut vraiment mettre l’humain au cœur du projet, on adore recevoir des messages des spectateurs, des dessins ou des ateliers faits par les enseignants et programmateurs.

Envoyez-nous vos retours sur les réseaux sociaux @citronbiencinema ou sur lesmalaimes.fr on sera très heureux ! Mais surtout il faut mettre le nez dehors et aller à la rencontre de la nature et des animaux sauvages. Il y a une citation que j’aime beaucoup qui dit « l’art, c’est ce qui rend la vie plus belle que l’art ».


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