Prévu pour le 12 août, Yakari, la grande aventure voit le petit sioux investir les salles de cinéma pour la première fois depuis ses premiers pas dans les pages de la bande-dessinée éponyme de Derib et Job. L’occasion de converser avec Xavier Giacometti, chef d’orchestre de ce passage au grand écran et vétéran de cet univers, puisqu’il fut également l’un des artisans de la deuxième série animée commencée en 2005 et diffusée à l’époque sur France 3. C’est désormais la deuxième fois que vous êtes chargé de raconter les origines de Yakari à l’écran. Le passage au long-métrage et les contraintes qui y sont associées ont-elles été un défi pour vous en tant que réalisateur ? En a-t-il été de même avec les équipes de production ? Réaliser un film après cent cinquante épisodes et ne pas se répéter est un énorme défi. Si on veut toucher le public, l’émouvoir et faire du divertissement qui a du sens, on ne doit pas simplement appliquer des recettes apprises sur la série. On est reparti à zéro. Pour cela, la production nous a donné les moyens afin que Yakari soit une grande aventure sur grand écran ; nous sommes très heureux du résultat. La réaction très enthousiaste des auteurs de la BD qui ont vu le film, nous laisse espérer qu’on a touché au but, et l’on se met à rêver que le film plaise au public.
Les techniques d’image et de son évoluent vite, il faut profiter de tous les moyens à notre disposition, mais cela demande une remise en cause permanente. C’est vrai pour le réalisateur, mais c’est vrai pour toutes les équipes. Cela met une grosse pression sur tout le monde. Malgré l’expérience, on a le sentiment de réinventer le métier à chaque étape, de labourer là où personne n’a jamais labouré, et parfois l’impression de se battre contre des éléments plus puissants que nous. C’est le talent de nos artistes et l’ambition de tous qui font la différence. Les équipes ont été admirables, en production et dans les différents studios. Tous ont cru en Yakari et se sont décarcassés pour avoir la meilleure image possible. Même chose pour le son ; voix, musique, bruitage. L’animation 3D, puis le rendu si particulier de nos personnages, avec ce trait en pleins et déliés, furent un défi colossal. Nous avons obtenu des résultats fantastiques. Mais ce ne fut pas facile du tout. La série Yakari était passée à la 3D lors de la production des saisons 4 et 5. Celle-ci ont-elles contribué à approcher la production de ce long-métrage ? Bien sûr, l’expérience de la série fut très utile, indispensable au démarrage du film. Pour des raisons artistiques d’abord, la série nous a convaincus qu’animer Yakari en 3D, lui donner vie et humanité était possible. Ce qui n’était pas évident, avec tous ces personnages, ces chevaux et ces animaux à deux ou à quatre pattes. Il ne s’agissait pas simplement de les faire bouger, mais de leur donner vie. Bien animer des chevaux n’est pas simple. Yakari est un personnage connu, il ne fallait pas décevoir en passant sur grand écran, il fallait que cela soit merveilleux. L’aspect technique prend énormément de place en 3D. Pour la modélisation, le set-up, le lay-out et l’anim, mais aussi pour la gestion des assets (modèles). L’expression « usine à gaz » est appropriée à la fabrication d’un film en 3D. Ne pas se laisser dévorer par la technique devient un film dans le film, que les gens de la production nous ont aidé à relever en organisant le travail à merveille. Les équipes artistiques et techniques doivent être soudées, et compétentes, sinon tout peut partir en vrille.
L’autre défi majeur fut que, malgré l’expérience que nous apporta la série, lors du démarrage du film, nous sommes repartis d’une feuille blanche. Rien n’a été gardé de la série 2D et 3D, si ce n’est une expérience et une envie de faire beaucoup mieux encore. Tout a été redessiné, re-modélisé, repensé. Le travail sur les décors est admirable : a-t-il été complexe d’arriver à cet équilibre entre une forme de réalisme et une stylisation qui rappelle à la fois la bande-dessinée et la peinture américaine comme celles de Charles M. Russell ? Charles M. Russell oui, mais aussi Remington, N.C. Wyeth, Monet, Sir William Waterhouse, Moebius, Derib, Rochette et les décors des films japonais bien sûr. Il y en a de nombreux qui sont des sources d’inspiration ! Par respect pour l’œuvre d’origine, je tenais à garder un aspect classique et traditionnel papier, même si tous nos décors sont numériques. L’idéal serait de poser cette question à notre directeur artistique David Dany (Le chat du rabbin); avec ses équipes, il a fait un travail remarquable sur toute la couleur du film. Avec David, on a pu travailler les couleurs et la lumière jusqu’à l’étalonnage, afin d’accompagner le plus possible les émotions du film. Notre première réflexion, au tout début des recherches, fut que les couleurs devaient suivre l’humeur de Yakari : dans une même séquence, le ciel et les arbres s’assombrissent lorsque Yakari devient triste ou désespéré. Les décors reflètent l’âme de notre personnage.
La notion de la responsabilité humaine et du consentement, notamment entre Yakari et Petit Tonnerre est au cœur de l’histoire du film, était-ce un des axes de narration dès le début du projet ? L’intervention de David Freedman en consultant scénario a-t-elle poussée en ce sens ? Comme souvent, au cinéma, la genèse du scénario de Yakari fut à elle seule une aventure. De nombreuses histoires furent initiées par des auteurs de talent, dont David Freedman, mais toutes furent écartées. Ces propositions étaient « fun », jubilatoires, mais ne convenaient pas au personnage de Yakari : certaines avaient un ton trop second degré, façon Schrek, ou trop cartoon, d’autres étaient très créatives mais trop éloignées de l’œuvre d’origine. C’est le premier film sur Yakari, il fallait respecter ses fondamentaux. Quand on m’a confié l’écriture, avant de créer l’histoire, il me fallait répondre à LA question dont tout devait découler : « que veut Yakari au plus profond de lui-même ? » Yakari ne veut pas être le plus brave, le plus fort. Son idéal n’est pas d’avoir une plume de bravoure, comme les chasseurs les plus téméraires. La plume est le symbole de sa générosité, pas un colifichet. Alors je me suis mis à la place de Yakari : si j’étais cet enfant-là, qu’est-ce qui me fascinerait le plus, qui me ferait prendre des risques, affronter de grands dangers, loin des miens ? Le cheval, bien sûr ! Un cheval beau, rapide, légendaire.
Plus que tout au monde, notre héros veut être l’ami de Petit-Tonnerre. C’est pur, désintéressé et chargé d’émotions. C’est l’histoire d’un enfant qui se bat pour une amitié très forte ; une véritable histoire d’amour. Dans mon scénario, je tenais à mettre la notion de respect au centre de cette quête. Pas de consentement, pas d’amitié sans respect mutuel. C’est en filigrane dans l’œuvre géniale de Derib et Job, il fallait que ce soit le ciment de notre film. Yakari veut l’impossible : être l’ami d’un mustang libre comme le vent qui file sur la prairie. Petit-Tonnerre ne deviendra pas « son cheval », mais son ami, à condition que le petit homme respecte sa liberté. Pour cela, Yakari devra se battre. Les productrices du film et le co-réalisateur Allemand Toby Genkel ont participé, avec leurs notes, à l’élaboration de mon scénario. Tous, nous avions cette préoccupation : aboutir à une histoire forte, une émotion sincère. Vous avez désormais passé plus d’une quinzaine d’années avec Yakari. Le film est-il pour vous une nouvelle étape dans cet accompagnement ou un départ vers d’autres univers ? Les productrices de Dargaud Media, Maïa Tubiana et Caroline Duvochel, m’ont fait confiance pour le film ; un vrai cadeau, une expérience collective et personnelle puissante. Quoi qu’il arrive par la suite, cette histoire va suivre son propre chemin, vers son public, et survivra pendant des années, j’espère. Je dirais que si demain, on me proposait de repartir sur une nouvelle aventure de Yakari, je signerai sans une hésitation. Cette œuvre de Derib et Job est jeune, elle n’a que cinquante ans. Leur personnage n’a pas vieilli du tout. J’ai la conviction qu’il reste énormément de choses à raconter, car cet univers est à la fois intemporel et d’actualité. Il y a urgence à s’intéresser à la qualité de vie, à s’interroger sur ce paradis perdu où l’humain vivait en harmonie avec la nature, ne prélevant que ce qu’il lui était nécessaire pour survivre. Ces Sioux avaient la préoccupation de laisser derrière lui une « Terre-Mère » dans l’état où ils l’avaient trouvée en arrivant. Yakari, grâce au don de Grand-Aigle peut parler aux animaux, il est connecté avec la nature. C’est une sacrée responsabilité sur les épaules de ce tout petit Sioux : une bonne source d’inspiration pour la dramaturgie. Merci à vous !