« Kimetsu No Yaiba » : 50 nuances de gris


Après cette période de confinement, les cinémas rouvrent enfin leurs portes pour nous permettre de découvrir le film qui est devenu, l’hiver dernier, le plus gros succès du box office japonais. Si vous avez suivi la première saison de l’animé Demon Slayer (disponible sur Wakanim), il vous tarde de découvrir Demon Slayer : le train de l’infini (ou Kimetsu no Yaiba – The Movie: Mugen Train). Je vous laisse savourer le trailer ci-dessous.

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Si vous n’avez pas suivi l’animé, je vous partage ici de bonnes raisons de rattraper cette adaptation du manga à succès Kimetsu no Yaïba (initialement publié en France sous le titre des Rôdeurs de la nuit, puis Demon Slayer chez Panini manga) de la mangaka Koyoharu Gotoge, publié entre 2016 et 2020 dans le Shonen Jump. En effet, le succès du film au Japon est proportionnel à celui de la franchise, qui bat des records depuis la diffusion de l’animé. C’est en 2019 que cette adaptation du manga par le studio Ufotable a propulsé l’œuvre de Koyoharu Gotoge sur le devant de la scène.

Mais de quoi parle-t-on au juste ?

Nous sommes pendant l’ère Taishô (début du XXème siècle). Tanjirô, un jeune vendeur de charbon voit son quotidien bouleversé après le massacre de sa famille par un démon. Seule sa sœur Nezuko survit à l’attaque, mais elle est transformée en un démon. Avec l’espoir de restaurer l’humanité de Nezuko, Tanjiro et sa sœur partent tous deux pour un voyage dans lequel le destin des humains et des démons s’entremêlent

A ce stade, je vous entends déjà vous exclamer : “Qui a le temps de binger 24 épisodes d’un énième shonen ?” Si le pitch coche toutes les cases du nekketsu, trame narrative classique du shonen (héros orphelin et naïf, dont la vie bascule suite à une tragédie, qui le pousse à devenir toujours plus fort pour atteindre le but qu’il s’est fixé), Kimetsu no Yaïba vaut particulièrement le détour par l’originalité qui est apportée, autant sur la forme que sur le fond : il propose des scènes d’action spectaculaires tout en mettant en scène un héros qui s’écarte des sentiers stéréotypés du genre.

Des combats hauts en couleur

La beauté de l’animé vient notamment de sa capacité à manier les contrastes. Tanjiro combat des démons, de type vampires, qui évoluent la nuit et l’action se déroule plutôt dans une tonalité horrifique dans les campagnes du Japon de l’ère Taïsho : peu de lumières artificielles, des maisons sombres, des forêts denses, des montagnes brumeuses. Les environnements sont plutôt dépeints dans une palette terne et sombre, propre à dissimuler les dangers et susciter les frissons.

Kimetsu No Yaiba

C’est donc avec une saveur particulière que les touches de couleur viennent titiller nos pupilles. Ce contraste est d’autant plus savoureux dans les combats. Les techniques des pourfendeurs et des démons sont souvent mises en scène avec des couleurs vives et vibrantes. Ajoutons une animation ample et fluide appuyée par de la 3D bien intégrée au service de chorégraphies stylées. Une image valant 1000 mots, je vous invite à découvrir la beauté des techniques de sabre de Tanjiro, où son épée semble invoquer la grande vague de Kanagawa d’Hokusaï, à travers l’opening (Bonus, ce générique vous donnera une pêche d’enfer grâce au puissant tube Gurenge interprété par LiSA) : La qualité de l’animation proposée par le studio Ufotable nous régale visuellement à chaque combat et à ce titre, ne ratez pas l’épisode 19 qui est un véritable bijou. Mais la saveur de ces moments est également mise en relief par la volonté de donner de la profondeur aux démons qu’affrontent Tanjiro. Lorsque le coup de grâce est porté, alors que leur corps se décomposent lentement en cendres, un flashback vient parfois éclairer le passé du démon qui reprend alors contact avec son humanité. En élevant les enjeux émotionnels du camp adverse, les combats se teintent d’une amertume qui prolonge encore leur intensité.

Kimetsu No Yaiba

Un héros tout en nuances

On l’a dit, l’histoire de Tanjiro commence de façon classique. Orphelin de père, sa place d’aîné lui enjoint de pourvoir aux besoins de sa mère et de ses frères et sœurs. Il assume donc de son mieux le rôle de patriarche. Le meurtre de sa famille et la nécessité de soigner sa sœur Nezuko qui a été transformée en démon, le destineraient à se venger en combattant les démons et en endossant le rôle de protecteur de sa sœur. Ces deux motifs sont bien présents dans le parcours de Tanjiro qui rejoint les Pourfendeurs de démons en gardant Nezuko près de lui à chaque instant. Toutefois, ce qui fait tout l’intérêt du personnage est sa capacité à se distancer du stéréotype par sa sensibilité, sa bienveillance et son empathie. En effet, son odorat très développé lui permet de sentir précisément l’état émotionnel des personnes qui l’entourent, qu’il s’agisse d’humains ou de démons.

Kimetsu No Yaiba

Ces qualités, plutôt perçues comme féminines, Tanjirô ne les renie jamais malgré les nombreuses injonctions auxquelles il va être confronté par ses pairs. Son maître le met en garde contre son empathie qui le freine lorsqu’il se retrouve en position d’éliminer un démon pour la première fois. Son premier partenaire d’entraînement lui reproche son manque de virilité. Sa candeur est moquée par ses camarades. Tanjiro prend note de ses remarques et affûte ses compétences, ses techniques, son corps. Pourtant il ne renonce jamais à se rappeler que les démons qu’il combat étaient des humains, que les démons sont avant tout, eux aussi, des victimes d’un démon, comme l’est sa propre sœur. Ainsi, lorsqu’il élimine un démon chez lequel il a perçu une souffrance, Tanjiro a une parole réconfortante, un geste empli de douceur, qui vient faire écho au flash back du passé humain du démon, pour apaiser son âme. Enfin, le style de combat de Tanjiro est également basé sur la réflexion. Il n’a pas peur de fuir pour temporiser, retrouver son calme et prendre le temps de définir une stratégie. Ce point est d’ailleurs directement mis en valeur au regard du style de combat frontal et sauvage d’un autre protagoniste. L’écueil du personnage qui mise tout sur le renforcement physique est rapidement écarté. A noter un des rares cartons rouges de Kimetsu no Yaiba pour moi : cette façon d’intellectualiser les combats est mise en scène par une voix off trop souvent redondante avec ce qui se déroule à l’écran, alourdissant artificiellement l’action.

Ce mélange de détermination inébranlable qui pousse Tanjiro à pourfendre des démons de plus en plus forts et d’empathie bienveillante qui le rend hypersensible lui offre aussi des opportunités uniques, comme celles de s’allier à des démons ayant le même objectif que lui. En effet, la quête d’un remède pour permettre à Nezuko de redevenir humaine place Tanjiro dans une position de demande vis-à-vis des démons : il a besoin d’information qu’eux seuls détiennent et doit donc parvenir à établir un dialogue avec certains d’entre eux. Finalement, c’est peut-être la relation avec Nezuko qui m’inquiétait le plus. On pouvait craindre le cliché du frère qui protège sa jeune sœur affaiblie. Heureusement, Nezuko se place dès le départ autant en protectrice de Tanjiro que l’inverse, notamment grâce à ses capacités physiques décuplées. Bien que son développement soit plus lent et moins central, une synergie se crée dans leurs interactions jusqu’à un véritable feu d’artifice dans le fameux épisode 19. Espérons que son personnage prendra de plus en plus d’ampleur ! Deux bonus pour finir de vous convaincre : Toute cette intensité émotionnelle et visuelle est équilibrée par de savoureux moments de comédie à travers Zenitsu et Inosuke, les deux comparses qui vont rejoindre Tanjiro. La dynamique de ce trio contrasté fonctionne parfaitement, notamment dans les petits sketchs en SD. Mention spéciale au seiyuu de Zenitsu qui me fait pleurer de rire.

Enfin, la dramaturgie des changements d’ambiances est admirablement mise en valeur par une bande son pleine d’instruments traditionnels et de chœurs, signée par la talentueuse Yuki Kajiura (Tsubasa Chronicle, Puella Magi Madoka Magica, Sword Art Online), accompagnée par Go Shiina (plutôt connu pour son travail dans le domaine des jeux vidéos comme God Eater). Au-delà des qualités visuelles originales et évidentes de l’animation, au-delà du frisson horrifique qui twiste ce shonen bien construit, je suis curieuse de découvrir l’évolution de Tanjiro et espère que les personnages secondaires vont s’étoffer. Prochain arrêt : Demon Slayer, le train de l’infini que je suis ravie de pouvoir savourer sur grand écran !



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