Nayola était présenté à Annecy cette année dans la catégorie Work In Progress alors que le festival mettait à l’honneur l’animation africaine. Mais ne vous y trompez pas, si l’histoire se centre sur l’Angola, la production quant à elle est bien européenne. Produit dans quatre pays, le Portugal (Praça Filmes), la Belgique (Spoil Animation et Luna Blue Films), les Pays-Bas (il Luster) et la France (JPL Films), Nayola est le tout premier long métrage d’initiative portugaise. Réalisé par José Miguel Ribeiro et écrit par Virgílio Almeida, le film se base sur une pièce de théâtre africaine lusophone, The Black Box, écrite par Mia Couto et José Eduardo Angualusa, deux écrivains reconnus au Portugal, au Brésil et dans les pays africains lusophones comme l’Angola.
Au départ prévu comme un mélange de live action et d’animation, Nayola est devenu entièrement animé au fur et à mesure des décisions artistiques. Le film se divise en deux segments temporels et se concentre donc à la fois sur le voyage de Nayola à travers l’Angola durant la guerre civile (dans le passé) et sur les discussions de trois générations de femmes dans une sorte de huis-clos (dans le présent), plus directement inspiré de la pièce de théâtre originelle.
Angola. Trois générations de femmes éprouvées par la guerre civile : Lelena (la grand-mère), Nayola (sa fille) et Yara (sa petite-fille). Un secret déchirant, une quête téméraire, une chanson engagée. Un amour suspendu, un voyage initiatique.
José Miguel Ribeiro nous ramène en 2012, lors de son premier voyage en Angola pour se rendre à un workshop sur l’animation. C’est à ce moment-là que le projet démarre, ce qui conduira le réalisateur à effectuer plusieurs autres voyages dans le pays en 2014 et 2019 pour véritablement entrer dans le sujet et mieux le penser, toujours dans un souci d’authenticité afin de garder intact le point de vue et le ressenti des citoyennes angolaises. Il nous explique notamment que l’objectif de son film est de montrer les horreurs de la guerre et ses moments difficiles tout en gardant un point de vue sensible et détaillé, en privilégiant le ressenti des femmes à celui des hommes.
Le projet garde également sa part de mystère, notamment l’identité de l’individu masqué qui s’introduit dans la chambre de Yara, montré dans un court extrait. On notera d’ailleurs le jeu très important sur les masques, à la fois symbole du patrimoine angolais et référence aux masques portés au théâtre, dont le film est inspiré. Le réalisateur insiste également sur ces masques, qui tomberont au cours de l’histoire pour mieux révéler certains secrets et certaines identités, notamment lors du segment en huis clos, où les trois personnages principaux vont devoir “enlever leurs masques”. Les différents designs des masques africains ont également été utilisés pour créer les personnages et leur visage.
Comme évoqué précédemment, Nayola est divisé entre passé et présent. Cette distinction est rendue encore plus évidente à l’écran par un choix artistique fort, celui d’utiliser l’animation 3D pour le présent et l’animation 2D pour le passé, pour, entre autres, permettre au spectateur de se repérer dans le film. Le présent se concentre ainsi sur Yara, la fille de Nayola, qui est notamment poursuivie par la police en raison de ses chansons de rap qui évoquent la justice sociale en Angola. Johanna Bessière, la cheffe animatrice, nous explique ce choix de la 3D pour le présent, avec un aspect plus photographique et plus proche de la réalité et des décors plus réalistes mais qui jouent tout de même sur la sensation de réel avec une perspective déformée. Le choix de la 3D s’explique aussi par une volonté d’entrer dans les personnages et de mieux retranscrire leurs émotions à travers les mouvements de leur visage.
Le passé, en 2D, où Nayola voyage pour chercher son mari, présente au contraire un style graphique plus proche de la peinture, plus libre et plus fort au niveau plastique avec une certaine expressivité des couleurs pour mieux ressentir le pinceau et donner vie à une ambiance magique, presque irréelle. Le spectateur sera également amené à entrer dans un univers plus abstrait, celui du rêve, reflet de la dimension intérieure de Nayola. A travers les quelques images que nous avons pu voir, le film nous fait naviguer subtilement entre onirisme et réalité afin de montrer l’absurdité de la guerre.
Le casting s’est révélé quant à lui très important pour le film qu’a voulu construire José Miguel Ribeiro. Comment parler d’un pays lorsque l’on est soi-même étranger de ce pays ? Les trois actrices choisies pour les rôles de Lelena (Vitoria Soares), Nayola (Elisângela Rita) et Yara (Feliciana Guia) ont joué un rôle essentiel dans la construction des personnages, leur histoire et leurs réactions. Les dialogues ont ainsi été enregistrés en Angola, en laissant aux actrices le choix des mots plutôt que de s’appuyer sur un texte défini.
Elles ont de cette manière pu intégrer leurs propres éléments de langage, en lien avec l’héritage culturel du pays. Elles ont ainsi guidé l’équipe de production sur les réalités du pays et sa culture. Les histoires personnelles des actrices ont aussi eu un impact sur les personnages, créant un écho entre leur propre personnalité et celle de leur personnage. Feliciana Guia, qui interprète Yara, est rappeuse dans la vie tout comme son personnage. Ses chansons, témoins de son engagement politique, ont ainsi été utilisées pour le film. De la même manière, Elisângela Rita, l’interprète de Nayola, a vu ses poèmes être intégrés dans le long-métrage.
Ce Work In Progress a vraiment piqué ma curiosité. La volonté du réalisateur de mettre ses actrices au cœur du processus de création ne peut être bénéfique pour un film qui veut retranscrire le ressenti de la population vis-à-vis des nombreuses guerres qui ont ravagé leur pays, entre la guerre civile et la guerre pour l’indépendance. Le mélange des techniques promet également un régal pour les yeux, oscillant entre tradition et modernité, réalisme et onirisme. Il faudra toutefois attendre décembre 2021 ou janvier 2022 pour découvrir Nayola de manière complète.