Cette année le Festival d’Annecy nous a proposé de découvrir les coulisses d’un grand arbre et de ses minuscules occupants. La série Tobie Lolness, feuilleton de 13 épisodes de 52 minutes, devrait sortir vers la fin de l’année 2023 sur France Télévisions et sur leur plateforme Okoo.
L’équipe de la production est revenue sur la fabrication de ce projet hors-norme lors d’un making of particulièrement fourni et riche en informations. C’est aux côtés de Timothée de Fombelle, auteur du roman, que se sont présentés Delphine Maury (productrice chez Tant Mieux Prod), Anne-Claire Lehembre (directrice d’écriture), Sébastien Cosset (auteur graphique et membre du duo Kerascoët) ainsi que Florian Thouret et Camille-Elvis Théry (réalisateurs).
Du roman à l’écran
La série Tobie Lolness est un projet titanesque et extrêmement ambitieux dont la genèse remonte à 2016. Elle adapte le roman éponyme écrit par Timothée de Fombelle et sa suite, publiés en 2006 et 2007 aux éditions Gallimard Jeunesse. Véritables phénomènes littéraires, les romans sont traduits dans plus de vingt langues et sont souvent étudiés dans les programmes scolaires français. Ils proposent de suivre la grande aventure de Tobie Lolness, un être miniature vivant dans un immense arbre avec sa famille, qui va voir sa vie bouleversée.
« Tobie Lolness ne mesure pas plus d’un millimètre et demi. Son peuple habite le grand chêne depuis la nuit des temps. Parce que son père a refusé de livrer le secret d’une invention révolutionnaire, sa famille a été exilée, emprisonnée. Seul Tobie a pu s’échapper. »
Lorsque Timothée de Fombelle écrit sa duologie, il ne songe pas aux écrans. Bien qu’il rêve aujourd’hui d’écrire un scénario original pour l’animation, à l’époque, il vient du théâtre et ne voit pas vraiment comment adapter une telle histoire, que ce soit au niveau du casting ou des décors. Avec l’adaptation en série animée, l’histoire de Tobie revient sur scène, d’une façon différente. Timothée de Fombelle a ainsi été présent tout au long du projet, bien conscient des enjeux d’une telle création. Comme il le dit lui-même et en raison de son expérience dans le théâtre, il sait qu’écrire dans ce genre de contexte c’est voir son texte être transformé. Il souhaitait ainsi que la création suive son cours et n’a pas réellement mis de barrières à l’adaptation tant que l’esprit et l’âme du roman étaient conservés. L’équipe a tout de même fait en sorte de garder la langue et la syntaxe de Timothée de Fombelle en travaillant les dialogues avec lui et en faisant le choix d’un narrateur en voix off pour compter l’histoire de Tobie.
Il y une quinzaine d’années, lorsque Delphine Maury découvre le livre, elle ne sait pas encore qu’elle va devenir productrice et adapter le roman pour l’animation. Elle est pourtant séduite par l’humanité et le courage de Tobie, dans un monde parfois cruel où la magie n’existe pas, mais aussi par l’amour entre des âmes et la solitude qui peut résulter de ce manque d’amour. La modernité de cette histoire et de ces enfants qui parviennent à sauver leur propre monde l’a également touchée.
Le ton de la série promet de respecter les thèmes principaux du roman, aussi bien les moments de liesse que les moments tragiques. Les diffuseurs n’ont pas mis de barrières à cette volonté de ne pas aseptiser et simplifier à l’extrême les propos et les messages portés par l’œuvre (le dumbing down effect en anglais), mais au contraire de reconnaître la capacité des enfants à comprendre la complexité du monde qui les entoure.
Les enjeux de l’écriture
Comment alors adapter deux romans et près de huit cent pages pour en faire treize scénarios ? Ce ne sont pas moins de six scénaristes qui se sont attaqués à l’adaptation de ces romans, remplis d’ellipses, flashbacks et autres analepses, avec de très nombreux personnages, de nombreux lieux et une histoire qui s’étale sur plus de dix ans. Il a fallu d’abord résumer le livre en replaçant les événements dans l’ordre chronologique, identifier et créer des fiches pour chaque personnage. Anne-Claire Lehembre confie même qu’ils ont créé près de trois cents pages de fiches personnages, contre environ une trentaine pour une série classique ! L’équipe a également voulu donner de la place aux personnages secondaires, résultant en un total de trente-quatre arches, soit trente-quatre intrigues secondaires à faire courir sur les treize épisodes.
D’autres membres de l’équipe et notamment des femmes, des storyboardeuses à la production, ont pu influencer l’écriture en remettant en question la façon dont les personnages féminins étaient écrits et en suggérant qu’elle prennent davantage de place dans l’action, ce qui a pu conduire à des réécritures et à des modifications des premiers animatiques, soulignant ainsi l’importance de la collaboration entre les différentes personnes et les différents corps de métier dans la fabrication de Tobie Lolness. De la même manière, les équipes graphiques et littéraires ont œuvré main dans la main, dans le même lieu et au même moment, résultant ainsi à un véritable échange entre les deux équipes et à une véritable création en collaboration.
En raison des contraintes de diffusion, le format de 13 épisodes de 52 minutes a aussi été travaillé de sorte à fonctionner également comme un 26×26 avec des structures narratives s’adaptant à ce format.
L’arbre-monde : création de l’univers graphique
Sébastien Cosset et Marie Pommepuy se sont chargés de la création de l’univers graphique de la série, accompagnés de Louise Flatz, la directrice artistique. Pour créer l’arbre, l’équipe s’est inspirée d’un grand chêne et a même créé des figurines d’un millimètre à l’échelle de Tobie afin de pouvoir avoir une idée des rapports de taille entre l’immensité de la nature et ces petits êtres minuscules, l’idée étant de partir du réel pour construire cet univers fantastique. Les proportions des personnages sont ainsi encore plus réduites que pour d’autres personnages miniatures animés que nous avons pu croiser dans des films comme Arrietty : Le Petit Monde des Chapardeurs par exemple, le moindre creux dans une écorce devenant ainsi un vrai canyon. L’autre enjeu était également de trouver une personnalité à chaque lieu, l’action se déroulant entièrement dans un seul et même arbre, afin de différencier chaque niveau. Tobie Lolness a ainsi nécessité la création de pas moins de cinq mille décors, alternant entre les quatre saisons et les différentes ambiances de la journée.
La création des personnages a quant à elle été influencée par les décors et la lumière de l’arbre, menant ainsi à des choix visuels tels que la blondeur des cheveux de Tobie afin qu’il puisse bien être visible dans ce monde immense. On peut souligner la difficulté de ces choix lorsque chaque lecteur s’est fait sa propre idée des personnages depuis la sortie du roman il y a une quinzaine d’années. Pour Delphine Maury, le choix des Kerascoët était évident de par leur capacité à rendre des personnages très diversifiés, avec des corpulences et des visages très différents les uns des autres, ce qui était plus que nécessaire pour une œuvre telle que Tobie avec ses nombreux personnages (près de 140 contre une cinquantaine pour une série classique !). La série comprenant un léger saut dans le temps, il faut aussi tenir compte des versions enfant/ado des différents personnages mais aussi leurs différentes déclinaisons en fonction des épisodes.
Contraintes budgétaires et choix artistiques
Avec un budget de dix millions d’euros, il a fallu faire des choix artistiques afin de produire pas loin de onze heures de programme. L’équipe s’est donc tournée vers de l’animation cut-out avec des pantins riggés pour faire bouger tous ces personnages. L’animation cut-out ne permettant pas une grande liberté de plans (ou du moins à moindre coût), l’équipe a opté pour la création de quelques posings spéciaux pour les plans en plongée et en contre-plongée, minutieusement choisis et définis à des moments clés.
Il faut également souligner la volonté d’une fabrication purement francophone et sans délocalisation à l’étranger en dehors de la Belgique. En effet, ce sont deux studios français qui se sont chargés de l’animation, Fost à Angoulême et Caribara à Annecy, tandis qu’ une grosse partie des décors a été fabriquée chez Waouh! en Belgique.
Au niveau de la musique, c’est Mathieu Lamboley (Minuscule, Lupin) qui est en charge de la composition qui se veut organique, avec des instruments à bois (marimba, percussions) mélangés à des notes plus classiques.
Un format hors-norme
Pas moins de 250 personnes ont œuvré pendant sept ans pour produire cette adaptation hors du commun dans le paysage audiovisuel animé français. Tobie Lolness, avec ses 13 épisodes feuilletonnants de 52 minutes offre ainsi un long-métrage de presque onze heures. Il suffit de jeter un oeil aux rapports du CNC pour se rendre compte que ce format 52” (et d’autant plus feuilletonnant) reste largement minoritaire et donc difficile à financer : « En 2020, les séries de 11 à 13 minutes demeurent le premier format des programmes d’animation aidés par le CNC (56,8 % du volume horaire), devant les séries de moins de 8 minutes (21,0 %), les séries de 23 à 26 minutes (20,2 %), les séries de 52 minutes (1,2 %) et les unitaires (0,8 %). » (Source: Le marché de l’animation en 2020. CNC)
La série est tout de même soutenue et coproduite par France Télévisions, la ZDF (la deuxième chaîne de télévision publique fédérale allemande) et la Belgique (Umedia Productions et le soutien du fonds d’aide régional Wallimage), avec la participation des régions Rhônes-Alpes et Nouvelle-Aquitaine, du département de la Haute-Savoie, de la Procirep et Media Creative Europe. La série a également bénéficié de l’aide CVS du CNC, notamment grâce à son caractère particulièrement innovant dans le domaine de l’animation pour l’audiovisuel : son format et sa technique de fabrication, entièrement réalisée sur le logiciel 2D ToonBoom Harmony, de la préproduction jusqu’au compositing.
Une alternative au merchandising : Les amis de Tobie
La production se veut également écologique. La productrice déléguée, Delphine Maury, a ainsi refusé tout merchandising autour de la série, c’est-à-dire qu’aucun jouet en plastique, peluche, accessoires en tout genre ne seront produits. C’est donc un défi tout particulier qui s’ajoute à la complexité d’un tel projet, puisqu’il s’agit de faire vivre la série et de trouver des revenus par d’autres voies et moyens.
Tant Mieux Prod va donc lancer en parallèle de la diffusion de Tobie Lolness sur les écrans de télévision à Noël 2023 un programme de sensibilisation et d’accompagnement des enfants vers les questions d’environnement et d’écologie en les invitant à planter des arbres à travers toute la France. Ce projet, appelé Les Amis de Tobie, est en collaboration avec l’ONF (Office national des forêts), l’AFAF (Association française d’agroforesterie) et Kinomé, une entreprise sociale œuvrant pour la recherche, la conseil et l’éducation dans le domaine de l’environnement. Le programme est également appelé à se poursuivre à l’international, en Slovénie et en Italie.
On ne peut qu’espérer que Tobie Lolness soufflera un vent nouveau sur la production animée française avec davantage de projets de séries feuilletonnantes laissant la place au récit. Tobie promet une belle aventure avec des personnages attachants et des décors sublimes. On a déjà hâte de voir l’intégralité des treize épisodes complètement terminés cet hiver !