Critique – A silent voice


A Silent Voice, par sa thématique, s’annonçait comme un film tire-larmes. C’est surtout un long-métrage difficile, devant lequel on éprouve un profond malaise et l’envie de faire pause pour respirer. J’ai rarement ressenti de façon aussi forte les sentiments torturés et étouffants qui animent des personnages.

Shoko, une écolière sourde, change d’école primaire et rencontre un garçon nommé Shoya dans sa nouvelle classe. Shoya, qui n’est pas sourd, incite la classe à persécuter Shoko à propos de son handicap. Des années plus tard, Shoya, tourmenté par son passé, décide de retourner voir Shoko dans l’espoir de se faire pardonner pour ce qu’il a fait à l’école en devenant son ami.

A Silent Voice est l’adaptation d’un manga en 7 volumes, tous parus en France chez Ki-oon avant la sortie du film dans nos contrées. L’œuvre originale de Ohima Yoshitoki a connu un certain succès malgré la difficulté de la faire rentrer dans des cases de lectorat comme c’est généralement le cas en manga. Ainsi, la série est associée au genre shonen, soit à destination des garçons adolescents, et non à la romance shojo comme on aurait pu le penser. C’est qu’il ne s’agit pas d’une comédie romantique, mais bien d’une tranche de vie aux multiples acteurs, ayant en réalité comme personnage central le jeune Shoya.

Shoya harcèle la jeune Shoko

Au début du film, on pense que Shoko sera « l’héroïne », que nous suivront son combat contre la surdité, la méchanceté de ses camarades… Mais je me suis bien vite demandé qui, d’elle ou de Shoya, était le plus « silencieux ». Celle qui tentait de s’exprimer sans pouvoir parler ? Ou celui qui parlait à tout va pour ne rien dire faute de savoir mieux s’exprimer ? L’évolution des deux personnages est plus que liée, leur psychologie influence l’autre et vice-versa, mais c’est dans la tête de Shoya que l’on passera le plus de temps. Du garçon qui maltraite une camarade juste pour trouver sa place en classe, à l’adolescent qui veut abandonner sa vie rongée de remords avant d’essayer de corriger ses tords, de se faire pardonner, et de se pardonner.

La surdité et la maltraitance scolaire ne sont pas les seuls sujets lourds traités dans le film. Le spectateur apprend vite à avoir un regard « neutre » sur le handicap : il n’empêche pas Shoko d’être une personne comme une autre. Elle a plus d’amis et de joie de vivre que Shoya, enfermé dans un mutisme d’un autre ordre. La maltraitance scolaire est nuancée, d’une pratique horrible entre jeunes gens, on réalise aussi que tout n’est pas forcement tout blanc ou tout noir, notamment pour le harceleur : pourquoi fait-il cela ? Pure méchanceté ? Influence du groupe ? Manque de considération ? Il n’y a pas de bonnes raisons, mais ça pousse à s’interroger sur les mécanismes de la chose plutôt qu’à accuser le meneur de troupe comme si ça résolvait le problème, comme ce sera le cas ici. Résultat : une jeune fille traumatisée qui change d’école, et un jeune homme exclu toute sa scolarité qui s’enfonce dans la dépression… « Beau travail » des représentants du corps enseignant dans ce film, à ne pas suivre dans la vraie vie.

De ce côté, le début du film est particulièrement dur à regarder. Voir Shoko et Shoya souffrir inutilement, par pure bêtise et incompréhension, dans une situation accentuée par leur entourage, enfants et adultes, serre le cœur. Tu sens le malaise des personnages comme si tu étais dans la pièce avec eux. Malaise qui s’accentue encore quand Shoko quitte l’école et que Shoya devient la nouvelle cible de ses camarades… Je vous garantis que la pensée « bien fait pour lui » ne m’a pas traversé une seconde. Juste une profonde tristesse pour la situation. Et cela ne s’arrange pas par la suite, les deux adolescents faisant chacun face à des envies de suicide. Tous ces sentiments, ces impressions, sont passées aux spectateurs à l’aide de techniques d’animation bien utilisées : des cadrages particuliers avec Shoya qui ne regarde jamais personne en face, l’utilisation du flou, ou encore de ces croix distinctives sur les têtes des personnes et qui tombent quand elles rentrent enfin dans son monde.

Le rythme global est très lent, on sent le poids des mois et des années, il n’y a pas de précipitations, pas de solution facile, juste un long travail de la part des deux personnages et de leur entourage. Il y a par ailleurs plusieurs moments forts au fil du récit : la mère de Shoya et son oreille ensanglantée, qui paie pour les torts de son fils ; la tentative de suicide de Shoko alors qu’on pensait que les choses s’amélioraient enfin; et cette déclaration d’amour ratée de Shoya à Shoko…

La déclaration d’amour la plus triste de tous les temps. Elle ne comprend pas ce qu’il tente de lui dire, et il n’a pas le courage de se redéclarer. Un vrai déchirement. Et ce moment quand ils se retrouvent en pleurs au dénouement… Mouchoirs et mouchoirs s’il-vous-plait.

Le film réussi à dépendre toute une palettes de personnages, de situations et de sujets sans tomber dans les clichés. C’est un visionnage inconfortable, bien loin d’un Your Name conventionnel et sans galop de la cage thoracique. Mais un beau visionnage, souligné de traits doux et de couleurs pastelles, qui adoucissement un propos dur avant que la fin ne s’ouvre sur une note d’espoir.

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