Japan Expo 2016 – Interview fleuve avec Liane-Cho Han, directeur de l’animation de « Tout en haut du monde »


C’est à l’occasion de l’édition 2016 de la Japan Expo à Paris que j’ai pu rencontrer Liane-Cho Han, le directeur de l’animation du très beau Tout en haut du monde, dont nous vous avons beaucoup parlé sur le site. Véritable succès au Festival d’Annecy 2015, où il a remporté le prix du public, c’est aussi un film très apprécié par l’équipe de Little Big Animation et un coup de cœur pour moi. Alors que le film est sorti il y a quelques jours aux États-Unis, je vous propose de le découvrir ou de le re-découvrir au travers de cet entretien.

Passionnant et passionné, Liane-Cho Han m’a très gentiment accordé une interview en deux temps, pas le moins du monde perturbé par mes cheveux roses et bleus. Nous y avons parlé des contraintes économiques et de l’animation japonaise, qui ont toutes deux influencé la réalisation du film, mais également du manque de communication dans la promotion du film et de la monopolisation du box office par les grosses productions américaines. Sur une note plus joyeuse, nous avons abordé le prochain film d’animation porté par Rémi Chayé, intitulé Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary, et les projets de la team.

Est-ce que tu peux commencer par me dire ce que tu as fait sur le film, ton rôle etc. ?

J’étais un des storyboardeurs et le directeur de l’animation sur le film Tout en haut du monde. J’étais chef layout, chef de l’animation et aussi chef de l’assistanat. J’ai beaucoup travaillé. Bien sûr, j’ai aussi collaboré pour tout ce qui est model sheet et character design. En réalité je devais faire en sorte de simplifier les personnages sur le plan graphique afin qu’ils soient animables.

Qu’entends-tu par “animables” ?

On travaille avec une grosse équipe, où chacun va dessiner les mêmes personnages, il faut faire en sorte qu’ils ne dérivent pas trop. Donc je devais les rendre “simples” à dessiner : à partir des dessins de Rémi Chayé, reconstruire un peu, enlever quelques détails parfois, ou en rajouter, et surtout travailler l’expression des personnages, le style aussi d’expressivité, jusqu’où on peut aller.

Et surtout, mon rôle en tant que directeur de l’animation était de trouver des solutions pour faire un maximum d’économies, parce que le film n’avait pas un gros budget. C’est à dire qu’on ne pouvait pas faire d’animation à l’américaine où ça bouge beaucoup, et où il y a donc beaucoup de dessins. On s’est beaucoup inspirés de l’animation japonaise, qui est beaucoup plus subtile, sobre. Tout en haut du monde est beaucoup plus dans cette mouvance là, même scénaristiquement, on est plus dans l’émotion.

Et forcément l’animation japonaise était vraiment quelque chose d’extrêmement important pour nous comme référence, pas graphiquement, mais dans la façon dont les personnages jouent : ne pas les faire trop bouger, mais juste avec une pause, un dessin, une expression qui dit tout. Peut-être quelques petits mouvements des yeux aussi, mais surtout en se basant sur la mise en scène. Je disais aux animateurs “ne pensez pas animation, pensez plutôt storyboard animé”, donc plus à une mise en scène qu’à faire bouger un personnage. Animer plutôt ce que le personnage pense, ce que le personnage ressent, plutôt que penser en mouvements ou quoi que ce soit quoi.

C’est pour ça que le film est beaucoup plus calme, introspectif et différent des films américains, ou même francophones, qui sont beaucoup plus dans “l’action”, la fuite en avant.

Rémi Chayé est lui-même très inspiré par le cinéma d’animation japonais, il est fan. Par exemple Princesse Mononoké a été une révélation pour lui, pareil pour moi. Il voulait faire un film plutôt contemplatif donc Tout en haut du monde n’est pas un film d’action, il y a quelques moments d’action évidemment mais c’est surtout un film sur le deuil, sur comment Sacha fait le deuil de son grand-père. Et bien sur la rencontre de tous ces personnages, comment elle va vivre cette expérience… Forcément ça nous a demandé de faire quelques sacrifices en termes d’animation fluide, on ne pouvait pas faire trop de dessins donc parfois c’est un petit peu saccadé. Par contre on ne devait pas rater l’émotion, il ne fallait vraiment pas gâcher ça.

Donc c’était quelque chose de voulu dès de le début, et comme le petit budget était là aussi…

Oui, avec Rémi on s’est dit qu’on n’allait pas faire un film qui impressionnerait les animateurs, malheureusement, mais un film pour l’audience, pour le public. Parce que le public lambda ne va pas forcément voir les trucs techniques d’animation que les professionnels vont tout de suite voir. Mais on s’est dit qu’on allait se concentrer sur l’émotion, pour que les gens oublient que c’est de l’animation, qu’ils soient portés par le film.

Et ce qui est intéressant c’est que quand on l’a présenté au festival d’Annecy devant beaucoup de professionnels, les gens étaient épatés par l’animation. Je disais “je ne comprends pas, c’est tout limité pourtant” et ils me répondaient “non non mais franchement tu es tant porté par le film”. Ils étaient tellement satisfaits par la justesse du jeu d’acteurs qu’ils en ont oublié leurs exigences techniques en fait. Donc c’était un vrai pari réussi pour nous, on était vraiment content de cette réaction là, c’était le but cherché.

Est-ce que l’animation japonaise a eu une autre influence sur le film, autre que le rythme, la façon d’animer ?

Rémi a une mise en scène très cinématographique donc on voulait vraiment des cadrages qui fassent très cinéma. Limite des plans fixes, mais très composés, et ça quelque part c’est très inspiré du cinéma japonais. Les silences aussi sont très importants. Maintenant, les films d’animation partent dans tous les sens, à 100 à l’heure, avec des gags réguliers, “faut un gag ici, faut un gag ici, faut un prout, faut machin”, nous on a voulu faire tout le contraire et bien sûr le cinéma d’animation japonais nous a beaucoup inspiré dans cette voie là.

À tel point qu’on a voulu le montrer au Japon ce film, vraiment, et en mars dernier nous y sommes allés pour présenter Tout en haut du monde au Tokyo Anime Award Festival, un festival d’animation international. On a été sélectionné, et on a même gagné le grand prix et le prix du gouverneur de Tokyo, donc deux prix auxquels on ne s’attendait pas. En plus de ça on a organisé une projection privée grâce à un ami qui est sur place, dans le quartier des animateurs, dans la banlieue ouest de Tokyo, dans une petite salle indépendante qui s’appelle Laputa Asagaya. Elle était blindée de professionnels japonais, des gens de l’animation, bien sûr pas mal de français qui travaillent actuellement au Japon, et on a eu une super réception.

Puis tout ce succès est arrivé aux oreilles du studio Ghibli, et j’ai reçu un mail des personnes de Ghibli qui souhaitent organiser une projection du film dans leurs locaux en présence d’Isao Takahata. Alors là, je m’étais dit que j’allais me réserver cette petite semaine au Japon pour des vacances, mais j’étais surtout sur mes mails à essayer d’organiser tout ça à l’arrache. Et un jour avant de partir on a pu projeter le film à Ghibli, on a vu Takahata, il y a avait aussi Saito Yuichiro, le producteur de Mamoru Hosoda et patron du studio Chizu. Ça a été un succès, vraiment génial, et on allait partir quand tout d’un coup la responsable qui nous dit qu’il faut qu’on aille à la cafétéria où Takahata nous attend pour une conversation privée.

Donc on a pu discuter avec monsieur Takahata pendant une heure, parler du film et tout. Parce qu’ils voient beaucoup de films à Ghibli, en général des films Disney, et là il m’a dit que vraiment il était très surpris, impressionné par Tout en haut du monde et qu’en général c’était pas trop le cas en fait, il s’ennuie un petit peu quoi  Il nous a fait beaucoup de compliments, et moi bien sûr j’étais complètement… J’étais en sueur quoi je tremblais ! Il est super sympathique, vraiment une crème, on a même fait quelques photos, que je n’ai pas le droit de diffuser publiquement parce que la madame de Ghibli a dit “pas sur les réseaux sociaux” (rires).

Ils sont durs !

C’est très protégé. Mais c’était une expérience inoubliable, et le montrer au sein des locaux de Ghibli… Mais qu’est-ce qu’on peut demander de plus ? C’était incroyable, incroyable !

J’aurais bien une petite idée sur le “que demander de plus”… Le film n’a pas vraiment fonctionné en salles, le manque de publicité a été évoqué…

Alors ça c’est un débat très intéressant qui est justement au cœur de l’actualité. C’est vrai que Tout en haut du monde est un film un peu plus “arty”, qui sort un peu du côté mainstream, et forcément il y a une prise de risque à ce niveau là. Après il ne faut pas se mentir, sans communication, vous pouvez faire le meilleur film du monde, ça ne marchera pas. Donc quand on sort des affiches à Paris deux jours avant la sortie, et qu’on les retire le jour de la sortie ou qu’il n’y en a quasiment plus, qu’est-ce qu’on peut faire ? Franchement.

Liane-Cho Han essaie de faire la promotion de Tout en haut du monde dans le métro parisien

Le film passe trois jours par semaine, mercredi, samedi, dimanche. D’accord c’est soit disant pour les enfants, c’était pas encore les vacances scolaires etc., mais qu’est-ce qu’on peut faire au niveau des chiffres ? Aucune communication, en province aucune affiche, dans le métro aucune affiche, qu’est-ce qu’on peut faire ? Et ce qui est le plus frustrant c’est que les distributeurs accusent les films, disent “vous faites des films trop “arty”, c’est pas pour les enfants, faut faire des films avec des animaux qui parlent, c’est ça qui marche, pour faire du fric c’est ça quoi”.

Pour faire du fric c’est sur, mais pour faire un bon film…

Voilà ! Encore si Tout en haut du monde ne marchait pas, ne plaisait pas, si les enfants disaient “non on aime pas c’est ennuyeux on se fait chier, on veut voir les Chipmunks”… Ok, là je peux comprendre. Mais le problème c’est qu’avec Rémi on est allé faire plusieurs présentations dans les cinémas indépendants à la rencontre des enfants – d’ailleurs c’est grâce à ces cinémas indépendants que le film a pu marcher, ils ont fait un vrai suivi, des ateliers pour les enfants etc. – et en vrai ils ont adoré, ils étaient scotchés. Le film est conseillé à partir de 7-9 ans apparemment, sous prétexte qu’il y a un grand-père congelé, que c’est un peu graphique… Mais j’ai vu des enfants de 4 ans et demi scotchés devant ! Il n’y a pas d’âge.

Il faut arrêter de prendre les enfants pour des idiots, ils sont totalement capables de voir différents types de films. C’est pas parce qu’ils aiment manger au Mcdo qu’il faut leur servir que du Mcdo. C’est ce que disent les prudes, les distributeurs : “les enfants veulent ce qui marche et c’est ça qu’il faut leur servir”. Mais non, je ne suis pas d’accord. En même temps, si ils ne savent pas qu’autre chose existe, comment ils vont aller le voir, c’est ça la question. Et forcément les distributeurs vous disent “ouais, mais c’est trop “arty” de toute façon on va pas mettre d’argent dans la communication”, donc du coup c’est le serpent qui se mord la queue, ils se plaignent que les films ne marchent pas mais en même temps ils ne mettent pas de moyens pour la communication.

C’est triste d’entendre ça, ça fait peur. Ça veut dire que peu importe le film que vous faites, vous pouvez faire le meilleur film du monde, ça ne marchera pas tant qu’il n’y a pas de communication. Et c’est pour ça que je me suis débrouillé pour aller au Japon avec ce film, et avant ça pour le présenter aux studios américains. On est allés chez Disney, Dreamworks, Pixar, Laïka… On a montré le film à Pete Docter et Ronnie Del Carmen, les réalisateurs de Vice Versa, qui ont adoré le film. Pourquoi ? Parce qu’il faut aussi faire ce travail de lobbying pour les Oscars, et malheureusement tout ça ça n’a pas été utilisé dans la communication. C’est frustrant, c’est vraiment frustrant.

L’équipe de Tout en haut du monde pose avec Pete Docter (au milieu, Rémi Chayé à sa droite, Liane-Cho Han à sa gauche) chez Pixar en décembre 2015.

Il y a aussi la question du nombre de salles et des horaires des séances, beaucoup de films ne se trouvent que trop difficilement au cinéma.

Après le problème c’est que tu peux le trouver en salle des fois, mais si personne ne sait qu’il existe… À quoi ça sert de le programmer dans beaucoup de salles si à côté tu ne fais pas un travail de communication…

C’est vrai que je connaissais Tout en haut du monde parce que je l’ai vu à Annecy, donc j’ai emmené du monde voir le film quand il est sorti en salles, mais personne n’en avait entendu parler.

Non mais c’est fou. C’est vrai que nous on est dans notre bulle, on pense que ça se sait, mais en fait dès que tu sors un peu de la bulle professionnelles, c’est difficile. Ils entendent plus parler d’Alvin et les Chipmunks, qui est sorti une semaine après Tout en haut du monde et qui nous a pulvérisé, ça a été l’hécatombe.

Est-ce que le fait que le personnage principal soit une fille ne rend pas le film encore plus difficile à vendre ? Additionné au côté “arty” ? Ou est-ce que c’est passé ce sentiment selon lequel “les héroïnes ne vendent pas” ?

Je ne pense pas que ce soit ça le problème, du tout même, surtout que le personnage féminin principal est vraiment dans l’air du temps en ce moment. Ça commence à se voir plus. C’est surtout le fait que les gens pensent que c’est la 3D qui fonctionne, et c’est vrai qu’il y a une vraie mode là dessus. Mais les studios qui font ces films là ont un énorme background, ils existent depuis un moment, et ce sont de vrais rouleaux compresseurs au niveau de la communication.

Comme Disney-Pixar avec Le monde de Dory ou Universal avec Comme des bêtes, les deux films sont présents partout depuis des semaines. Ils vont faire des millions d’entrées, et pourtant ce ne sont pas des films exceptionnels.

Tous ces films là ont leurs qualités, le but c’est bien qu’ils existent aussi, qu’il y ait un peu de tout. Mais c’est vrai que souvent on retrouve le même type de films et tout le reste, tout ce qui est un peu film indépendant n’a pas la même visibilité. C’est même pas forcément un film très “arty” qu’on a fait, Tout en haut du monde est un film tout public, du genre classique, il fait un peu chasse au trésor. Le truc c’est la communication.

Regardez un film comme Ernest et Célestine, qui a quand même fait un million d’entrées, c’était pas un flop et c’était un film en 2D. Ok, il y a des animaux qui parlent, mais ça reste un film au style très différent des films mainstream. Ok, c’est adapté de livres pour enfants de Gabrielle Vincent qui existent depuis un moment déjà. Ok, ils ont eu plus de budget donc forcément il y a eu plus d’affiches… Mais quand même, la 3D n’est pas la seule chose qui marche.Je pense aussi à Avril et le monde truqué, qui n’a pas non plus explosé lors sa sortie en salles en novembre 2014. Il est pourtant beaucoup moins “arty” et plus traditionnel. Sans compter la présence de Tardi, qui est un auteur très connu et très suivi par une grosse communauté dans la bande dessinée…Et ils avaient surtout des grosses têtes d’affiche : Marion Cotillard, Jean Rochefort, Philippe Katerine…

Tu penses que ça apporte vraiment quelque chose d’avoir des acteurs connus au casting ?

Ça peut attirer du monde. Quand tu as Omar Sy qui fait une voix, et qui est très populaire en France, les gens vont voir. J’ai beaucoup d’amis qui ont bossé sur Avril et le monde truqué, le réalisateur est un pote, mais il n’y a pas vraiment eu de communication sur ce film. Il y a eu quelques trucs, mais c’était pas suffisant. Encore une fois, peu importe si c’est le meilleur film du monde, si il n’y a pas de travail de communication dessus ça se verra pas.

C’est pour ça qu’on essaie d’en parler beaucoup sur Little Big Animation.

Oui et je vous remercie de faire ce travail là, c’est super et je dirai même vital pour nous parce qu’il y a un moment où… Si on ne donne pas leur chance aux films parce que jugés trop “arty” et pas assez ciblés pour les enfants, pourquoi on continuerait à en faire ?

Surtout que c’est absolument faux pour Tout en haut du monde. Peut-être que les enfants voient le film différemment de nous, mais il ne faut pas les prendre pour des abrutis, les enfants ne sont pas stupides, ils ont quand même un certain regard sur les films aussi.

Il faut pas non plus leur donner tout le temps du sucré, ils peuvent manger plein de choses. Si j’avais un enfant j’aimerais lui faire connaître d’autres goûts en fait, et peut-être qu’il pourrait aussi apprécier autre chose.

Donc je trouve vraiment dommage, triste, ce discours que peuvent avoir certains distributeurs. Le problème est ailleurs. C’est pas les films le problème, c’est comment trouver le moyen de trouver le public. Comment communiquer. Bien sûr ça coûte cher, mais maintenant avec les réseaux sociaux il y a tant de possibilités. Franchement, moi, après une semaine et demie d’exploitation j’ai commencé à paniquer et à écrire à plein de Youtubeurs, le Fossoyeur de films etc., pour qu’ils en parlent. Je me suis amusé à contacter une soixantaine de mamans blogueuses, pour sortir un peu du milieu cinéma / animation. Mais je ne comprends pas pourquoi ça n’a pas été fait avant la sortie en salles. On a beaucoup à apprendre des États-Unis à ce niveau là, ça c’est sur et certain.

Et du coup pour Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary

Rémi commence à écrire le scénario et on est en train de voir si on peut faire un pilote qu’on fabriquerait en automne, à partir de septembre. Là je commence déjà à réfléchir sur le storyboard avec Rémi. Ce serait bien de continuer ensemble, je crois beaucoup en Rémi Chayé et en notre collectif en fait. Je pense qu’on peut vraiment aller loin. Mon objectif c’est de le porter le plus haut possible, et vraiment de prouver que les enfants vont voir des films différents de ce qu’on leur sert habituellement.

Vous allez donc penser la communication en amont, un peu forcer la main au distributeur ou prévoir des choses de votre côté ?

C’est sur que cette fois-ci on se fera pas avoir, ou en tous cas on essaiera, parce que c’est du temps et du boulot quand même, et on est pas des spécialistes non plus. Mais oui on y pensera en amont et tous ces voyages qu’on fait aux USA ou au Japon font aussi partie de ça.

Vous bénéficiez déjà du public conquis par Tout en haut du monde et qui parleront du prochain film autour d’eux.

Absolument, et faire jouer un peu ce buzz. Bien sûr c’est un gros risque parce qu’on aura plus la carte “premier film”, on nous attend au tournant aussi quelque part. Mais aujourd’hui on a envie de porter Rémi et de créer une sorte de nouveau mouvement, parce qu’on aime beaucoup son style graphique, et qu’on a envie de l’exploiter .

tout en haut du monde

Que ce soit une patte que l’on retrouve d’un film à l’autre ?

Voilà exactement ! Comme chez Ghibli par exemple, le style d’animation a évolué depuis les premiers films, mais on reste dans la même famille, le même style reconnaissable. Il progresse, mais toujours avec les mêmes personnes qui restent ensemble. Notre objectif est de gagner le maximum d’expérience, de voir ce qui n’a pas marché la dernière fois et puis le réparer, l’améliorer etc., d’améliorer ce procédé pour d’autres films. Surtout pour gagner un maximum de temps, et donc d’argent en fait.

Parce que le problème en France c’est qu’on veut faire des beaux films, mais à chaque fois qu’on fait un film c’est comme si on réinventait la roue ! Donc on perd beaucoup de temps à convaincre les distributeurs, à leur expliquer qu’il faut qu’ils nous fassent confiance, et c’est pas évident. Et surtout on est très très fiers du fait que le film n’ait pas été sous traité, on a quand même été menacé de ça !

C’est vrai ?! Pourquoi ? Vous n’avanciez pas assez vite à leur goût ?

En fait, c’est un processus qui prend beaucoup de temps et forcément ils ont eu envie de prendre ce raccourci là, et Rémi s’est battu, vraiment comme un lion, pour empêcher ça, pour garder tout en Europe. Et on a réussi. Bien sûr mon rôle en tant que directeur de l’animation était de prouver que c’était possible. Donc j’ai du discuter, rassurer, faire quelques sacrifices artistiques de temps en temps, et faire comprendre à l’équipe d’animateurs qu’on avait un budget et qu’il ne fallait pas faire des trucs qui coûtent cher.

C’est pas la partie la plus drôle du boulot…

Non mais l’équipe était vraiment derrière à 100% pour travailler pour le film, pas pour leur ego personnels, pour le film, pour le réalisateur, et c’est ça qui est aussi une incroyable expérience humaine. On a envie de garder ça pour le prochain, de pérenniser tout ça et peut-être un jour de monter un studio un peu comme ce que fait Ghibli, avec des artistes et un producteur en collaboration directe. Et moi c’est ce que je rêverai de faire pour l’animation française. Une partie de l’équipe du film, ils ont l’air de bien s’amuser !

Depuis le temps que je rêve qu’il y ait un studio français qui fasse des bons films, qui puisse lancer des projets, et qu’il n’y ait plus seulement pleins de bons films éparpillés et difficiles à mettre en route comme à l’heure actuelle.

Absolument, et ça commence un petit peu : le réalisateur d’Ernest et Célestine, Benjamin Renner, réunit sa team pour faire d’autres projets (ndr : chez Folivari). Donc il y a quand même une petite mouvance, et nous aussi on a envie de commencer à faire ça. Il y a Ankama aussi qui s’est lancé, et ça marche bien.

Faut voir aussi ce qu’ils font après, ils avaient l’air de dire que s’il y avait une suite à Dofus ce ne serait pas avant 5 ans quelque chose comme ça…

Quelque part Calamity Jane ce ne sera pas avant un moment non plus, ça risque de prendre du temps. Surtout pour réunir les fonds dans un climat un peu difficile pour l’animation 2D, c’est pas évident. Donc pour l’instant on vise une nomination aux Oscars pour l’année prochaine, ce serait vraiment super.

Du coup on retourne à Los Angeles en novembre pour présenter le film au CTN Expo, c’est un peu comme la Japan Expo mais beaucoup plus réseau professionnel, et il sera projeté là bas. Il y a quand même des membres du jury des Academy Awards qui seront présents et qui pourront en entendre parler, venir le voir, et ça c’est hyper important pour la présélection. Donc on va essayer de miser la dessus aussi quoi, on verra, il y a aussi une question de lobbying, de communication.

J’espère que Tout en haut du monde trouvera son public avec la sortie DVD, comme pas mal de films avant lui.

Je sais qu’à la sortie DVD / Blu-ray il y a eu une autre couche de communication, ce qui est vraiment bien, on espère encourager ça. Et c’est aussi pour ça que je suis ici. Quand j’ai rencontré l’organisateur de la Japan Expo, Benjamin Nouvel, après la remise des prix au Tokyo Anime Award Festival, on a commencé à discuter et on voulait aussi montrer des films français qui ont plu au Japon. Ce qui est aussi intéressant, et surtout cette année avec le thème de la French Touch ! C’est un lien qu’on essaie de créer petit à petit, mais c’est un gros travail quand même, nous on est dans notre coin à dessiner et on ne voit pas tout ce qu’il y a derrière.

Et pour finir, une question qui concerne justement la fin de Tout en haut du monde. Une fin qui est ouverte, avec des images board, c’était une question de budget ou quelque chose de souhaité ainsi dès le début ?

Très intéressant comme question. C’est vrai qu’on était limités à 72 minutes, très difficile parce que c’est très très court quand même 72 minutes. Forcément on a retourné le storyboard dans tous les sens. On a fait une fin storyboardée avec un retour à Saint-Pétersbourg, mais on se rendait compte que quand elle découvrait le Davaï ça allait à fond la caisse : c’est quand même l’objectif du film, de retrouver le bateau, et on avait pas assez de temps, on pressait tout, ça allait très vite. Donc on a fait ce sacrifice, on s’est dit “on va juste s’arrêter au moment où ils trouvent le Davaï”, pour passer plus de temps sur le deuil notamment, parce que c’est aussi une histoire de deuil et quand elle retrouve le bateau, le grand-père, il faut prendre le temps, ne pas précipiter les choses. C’était quand même l’essentiel.

Donc on a fait ce sacrifice là et on a ensuite eu cette idée de quand même mettre ces petites images. Mais c’est intéressant parce que j’ai eu beaucoup de gens qui étaient frustrés, qui disaient “on a envie qu’elle rentre à la maison, qu’elle confronte Tomsky, qu’elle retrouve ses parents” etc. Mais quelque part j’aime ça, parce que quand tu as ton happy ending c’est cool, tu as ton petit chocolat, tu vas dormir, et après tu oublies le film. Alors que le fait d’avoir cette petite frustration, ça fait que le film reste, ça te trotte dans la tête.

Sacha de profil, qui regarde vers l’horizon, après avoir vu la mission qu’elle a accomplie, de la montrer qui a enfin laissé partir son grand-père, je trouve ça plus beau de finir sur cette note là. Et avec une fin un peu ouverte tu peux te poser la question “qu’est ce qui se passe après”. Parce que souvent les films maintenant c’est que du happy ending pour ravir les enfants … Nous on n’a pas envie de faire des films comme ça. Quand j’ai vu Le tombeau des lucioles, la fin m’est resté je ne sais pas combien de temps. J’adore les films qui te marquent en fait, qui provoquent une sorte de traumatisme. Bon, pour Tout en haut du monde on ne peut pas parler de traumatisme, mais qui marque à vie.


 Merci à la Japan Expo de m’avoir invitée, au staff pour leur accueil, et tout particulièrement à Aurélie Lebrun pour son assistance !


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