Critique – Belle


Le très attendu Belle, nouveau film de Mamoru Hosoda (Studio Chizu), sort aujourd’hui au cinéma via Wild Bunch et a déjà reçu les éloges de la presse et des spectateurs lors de ses avant-premières ! Une réussite émouvante et audacieuse qui a tout pour se hisser haut sur le podium des films cultes d’animation japonaise.

Dans la vie réelle, Suzu est une adolescente complexée, coincée dans sa petite ville de montagne avec son père. Mais dans le monde virtuel de U, Suzu devient Belle, une icône musicale suivie par plus de 5 milliards de followers. Une double vie difficile pour la timide Suzu, qui va prendre une envolée inattendue lorsque Belle rencontre la Bête, une créature aussi fascinante qu’effrayante. S’engage alors un chassé-croisé virtuel entre Belle et la Bête, au terme duquel Suzu va découvrir qui elle est.

Avec ce nouveau film, le réalisateur acclamé aborde avec acuité aussi bien l’identité virtuelle que le deuil et l’entraide, avec toujours en toile de fond le parcours initiatique d’une héroïne en pleine construction de soi, un thème qui transcende toute l’œuvre de Mamoru Hosoda.

Minée par le deuil de sa mère, l’adolescente Suzu évolue tant bien que mal dans un quotidien routinier. Elle qui adore la musique et composait auparavant ses propres chansons, se retrouve désormais incapable de chanter. Une fois arrivée dans l’univers virtuel U, la première chose qu’elle fait en tant que Belle (nom dérivé de son prénom japonais qui signifie “clochette”, “bell” en anglais) est de laisser sortir sa voix. Plus tard, les baleines majestueuses qui accompagnent Belle lors de ses prestations dans le monde de U sont le symbole du pouvoir du chant qui permet l’affirmation de soi et, à terme, la guérison.

Dans ce film musical (une première pour le réalisateur) où les chansons accompagnent les émotions et l’évolution de l’héroïne Suzu, Mamoru Hosoda oscille à la fois entre création et hommage, nous offrant un monde virtuel spectaculaire et unique aux avatars et infrastructures foisonnants qui contraste avec la banalité du quotidien, tout en revisitant le fameux conte de La Belle et la Bête avec un ton moderne et surprenant.

La bande son est incroyablement riche de multiples inspirations : jazz, swing, électro-pop, chant polyphonique renaissance et morceaux épiques se mêlent pour former un accompagnement hétérogène qui se fond à merveille avec les images éclectiques du film. Saluons notamment le très beau travail vocal de Kaho Nakamura, qui interprète Belle et réussit à transmettre tout un panel d’émotions à travers les chansons.

En français, les paroles des chansons ont été adaptées par la harpiste bretonne Cécile Corbel, connue pour avoir signé la bande originale du film Ghibli Arrietty, le petit monde des chapardeurs de Hiromasa Yonebayashi, et c’est la chanteuse Louane qui prête sa voix à Belle.

Vous serez peut-être étonnés de retrouver des scènes de La Belle et la Bête (Gary Trousdale et Kirk Wise, 1991) reproduites à l’identique, aussi bien dans les cadrages, les jeux de lumière ou l’animation des personnages. Il faut y voir l’hommage sincère de Mamoru Hosoda à ce film d’animation qui compte beaucoup pour lui et l’a guidé dans sa carrière d’animateur.

Au-delà des clins d’œil visuels à La Belle et la Bête, le film sait parfaitement s’affranchir du conte et de son adaptation par Disney pour nous livrer une version inédite, au moyen d’un plot twist puissant et inattendu…

belle

Pour la réalisation de ce film, Mamoru Hosoda s’est entouré de collaborateurs internationaux de renom : entre Jin Kim, animateur des studios Disney que l’on ne présente plus et qui anime ici Belle, et les réalisateurs du studio irlandais Cartoon Saloon, Tomm Moore et Ross Stewart, qui ont contribué à élaborer les décors de l’univers de U, les meilleurs talents étaient réunis pour créer un film inoubliable.

L’animation de Suzu-Belle est magnifique, aussi bien en 2D qu’en 3D, sa palette d’expressions est large et précise, et la synchronisation labiale pendant les chansons est convaincant. On s’émerveille devant la complexité structurelle des décors de l’univers de U, l’animation des foules d’avatars et la beauté du château de la Bête, aux allures de demeure steampunk romantique. Les images au sein de l’univers de U ont un rendu légèrement saccadé qui appuie leur caractère virtuel et renforce le contraste entre les deux mondes dans lesquels évolue Suzu.

Belle

Profondément émouvant, Belle nous offre un univers visuel enchanteur et moderne, tout en délivrant un message on ne peut plus actuel sur le rapport entre virtualité et réalité. Derrière l’écran se nichent d’autres mondes au sein desquels on peut grandir, guérir et s’apprivoiser, pour mieux avancer dans la réalité. U est le lieu où Suzu va pouvoir s’affranchir des blessures de son passé et devenir elle-même.

Si le film montre tantôt la haine et l’idôlatrie dont les figures populaires peuvent faire l’objet sur les réseaux sociaux, Mamoru Hosoda oriente tout le propos de son film vers les effets positifs d’Internet, convaincu des bienfaits que la toile peut apporter aux jeunes : « J’ai envie d’encourager les enfants du monde entier, de célébrer leur futur, eux qui porteront l’avenir sur leurs épaules dans une société en constante transformation ». Au-delà de la technologie, le réalisateur continue de s’ancrer dans les préoccupations sociétales et familiales, sur les liens entre les individus et la puissance de l’amour. Un cocktail qui a déjà porté ses fruits dans ses précédents films et ravit toujours autant avec Belle, un film somptueux à découvrir dès aujourd’hui au cinéma. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=dU5gE2Bm514[/embedyt]


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