Critique – Buñuel après l’âge d’or


Après une présence remarquée au Cartoon Movie 2018 et un Work in Progress au dernier festival d’Annecy, Buñuel après l’âge d’or, réalisé par Salvador Simo et distribué par Eurozoom, entre dans l’arène en concourant au Cristal, un challenge à la hauteur des attentes d’une oeuvre explorant une personnalité haute en couleurs comme celle de Buñuel :

Suite au scandale de la projection de L’âge d’or à Paris en 1930, Luis Buñuel se retrouve totalement déprimé et désargenté. Un ticket gagnant de loterie, acheté par son ami le sculpteur Ramon Acin, va changer le cours des choses et permettre à Buñuel de réaliser le film Terre Sans Pain et de retrouver foi en son incroyable talent.

On entre dans le film par le biais d’une conversation passionnée se déroulant au sein de la sphère surréaliste parisienne, où il est question des œuvres marquantes pour chacun des artistes présents, et quel impact elles ont au niveau de la société. Ce moment cristallise le dilemme personnel auquel va être confronté notre héros, Buñuel, durant le tournage de Terre sans pain où vont entrer en confrontation ses désirs artistiques à la réalité frugale des habitants de Las Hurdes, région reculée de L’Espagne. L’artiste va interférer à plusieurs reprises au cours du tournage avec ses extravagances, mais aussi en perturbant le quotidien des paysans, le parfait exemple en est le moment dérangeant du tournage de la séquence de l’âne.

Buñuel après l'âge d'or

Entouré par Ramon et ses associés Pierre Unik et Eli Lotar, la conscience sociale de Buñuel va mettre un certain temps à se révéler car il est aussi en proie à des tourments personnels. Ramon est le pilier et la voie de la raison du réalisateur surréaliste, mais tourné en dérision sur l’aspect financier du tournage, il devient de plus en plus grave au fil de l’avancement du projet. Le film fait lui aussi ce rappel à la réalité pour le spectateur en insérant des images originales de Terre sans pain à des moments clés, ce qui permet de rester sur le sujet principal : la pauvreté de la région de Las Hurdes. Cette double narration, entre le cheminement émotionnel de l’artiste et les images du documentaire fonctionne comme un échange pertinent entre les deux arches narratives, laissant ainsi au public le temps de mûrir la dureté des images qu’il vient de découvrir. L’animation traditionnelle est le fruit d’une collaboration européenne entre l’Espagne avec le studio Sygnatia, Glow Animation et Hampa et les Pays Bas, avec Submarine, et on peut aussi apercevoir la participation du studio portugais Sardinha Em Lata. La direction artistique, assurée par José Luis Agreda est doublement réussie, dans le sens où l’artiste à insufflé sa patte graphique dans un style en ligne claire, tout en préservant la dynamique des personnages présents dans la bande dessinée de Fermin Solis, à l’aspect plus épuré. Cette création est portée par des compositions signées Arturo Cardelùs, dégageant une puissance poussée par des chœurs qui suivent la progression émotionnelle du réalisateur surréaliste. On ressort du film complètement imprégné par la musique.

Buñuel après l'âge d'or

Buñuel après l’âge d’or démystifie et déconstruit la figure de Buñuel en tant qu’artiste surréaliste pour laisser place à l’homme impuissant en face de la pauvreté d’une région et de sa population. Ce long-métrage replace aussi le documentaire comme médium crucial pour dévoiler au monde ce qu’il ne veut pas voir lorsqu’il prend son petit déjeuner (comme le chantonne Stephan Eicher). Le film a donc toute sa place dans la sélection d’Annecy, qui a toujours fait la part belle aux documentaires animés. Une belle oeuvre à soutenir lors de sa sortie nationale le 19 juin, distribué par Eurozoom.


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