Kill it and Leave this Town

Critique en prose – Kill It and Leave this Town


Kill it and Leave this Town a reçu la mention du Jury dans la catégorie « Long-Métrage, L’Officielle » au festival d’animation d’Annecy 2020. Une reconnaissance totale pour Mariusz Wilczynski qui, après 14 ans d’un travail quasi-sacerdotal, signe une oeuvre intense et complexe, entre introspection cauchemardesque et exutoire tremblant.

Le personnage principal ayant perdu ceux qui comptaient le plus pour lui, il tente d’échapper au désespoir en se cachant dans un endroit sûr et rempli de souvenirs. Au fil des ans, une grande ville se forme dans son imagination. Des héros issus de la littérature et des dessins animés de son enfance viennent la peupler sans y avoir été invités. Quand le protagoniste découvre qu’ils sont tous devenus vieux et que la jeunesse éternelle n’existe pas, il décide de retourner à la réalité, avec la bénédiction des personnages de sa ville imaginaire.Le film démarre dans le noir, avec le son d’une aspiration légère. Puis vous la voyez, la petite lueur d’une cigarette allumée qui semble respirer. La lumière se fait à peine visible – elle est naturelle, toute l’animation est en prise réelle en ce qui concerne la luminosité – on ne distingue qu’un point rouge, et une esquisse d’ombre. Puis des voix. Puis de la musique. Tout n’est que tracés au feutre noir, sur des feuillets aux lignes pressées, scotchés les uns aux autres. Raccrocher les souvenirs, les instants, les paroles, les angoisses, raccrocher les wagons d’un long train qui nous mène de villes en villes, de vies en vies. De morts en morts. Ce petit point (pour ne pas dire « fil ») rouge, c’est la braise d’une cigarette au milieu de la nuit, c’est le sang dans une poissonnerie, le ruban d’une mère malade, le feu des trains, le rouge du sang des morts, la bouche d’une opératrice suave, le coucher d’un soleil aveugle, les projecteurs d’une boîte de nuit. C’est sûrement cela, remonter les souvenirs : entrer dans une boîte fermée, nocturne. Et tenter, de flash en flash, de raccorder les sons, en éclat de blues pour des extraits de quotidien. C’est une transe fantasmagorique, cauchemardesque.

Kill it and Leave this Town
Scrapbooking en noir et blanc, le scotch comme un ciment des immeubles, où chaque fenêtre donnent à voir des actes manqués.

Les mouches se collent au récit qu’on nous tisse devant des yeux collés. Tandis qu’on coud un patchwork de la peau de notre mémoire. Parler pour refermer les plaies. On descend plus loin dans ce sommeil lourd, aux liens abstraits mais aux angoisses tangibles. Tel un medley anxiogène aussi réel que laid. La musique est tristement mais somptueusement signée d’un des plus proches amis du réalisateur, décédé en 2007, Tadeus Nalepa, et vous ne pourrez plus vous passer de son univers entêtant.

Kill it and Leave this Town
Les morts se retrouvent cloués au sol, tels des Gulliver, par la volonté des vivants de garder les souvenirs géants au sol.

Tout au long du film, malgré le malaise qui me gagnait souvent, le fait d’avoir ces intermèdes musicaux m’a rassuré. La musique, comme une continuité de ces maux, m’a permis de continuer et de plonger davantage. De ne pas avoir peur de ce que je pourrais voir. D’en avoir plutôt envie. Comme si tout semblait familier. Après tout, cette ville aux habitants fantomatiques, c’est chez lui. Telle une traversée faites de croquis nerveux, vieillis et de voix déroutantes, l’imagination déraille, mais ce train qui avance, et ces tunnels vous offrent une pénombre intime avec des dialogues véridiques. Nous traversons une introspection sans escales, où les quais se dérobent et les wagons tentent de se mélanger en un seul. Pas question, apparemment, de tirer un trait sinon pour dessiner les remous d’un océan où chaque bateau semble vous bercer. Nous sommes ballottés, entre regrets et peurs, dans les vagues d’une mer qui enfouit et déterre, à chaque ressac, des paroles oubliées du plus profond des grains de sable. La vie se fait et, surtout, se défait de ses morts tout au long de l’existence. « Je ne crois pas à la mort […] Grâce à mon imagination, les personnes restent en vie. » Kill It and Leave this Town propose de recoller les morceaux de papiers, de mémoires, d’actes manqués, de regrets et de promesses. Les morts vivent longtemps dans les rêves et les cauchemars, et le film de Mariusz Wilczynski nous montre que le réveil, bien que difficile, est nécessaire pour avancer, et tourner la page. Une expérience intense et émotionnelle, que je vous recommande.  


A lire dans le même genre

Dernières publications

  • L’adaptation en stop motion de « Sunny » par Michael Arias chez Dwarf sera au Annecy Animation Showcase de Cannes

    L’adaptation en stop motion de « Sunny » par Michael Arias chez Dwarf sera au Annecy Animation Showcase de Cannes

    Note : les images présentes dans cet articles sont issue d’un work in progress et donc non représentatives de la qualité finale du film. Le producteur et distributeur GKIDS (qui a distribué aux USA Le garçon et le héron du Studio Ghibli ou encore Brendan et le Secret de Kells de Cartoon Saloon) et le…

  • Festival national du film d’animation de Rennes 2025 : Découvrez le programme

    Festival national du film d’animation de Rennes 2025 : Découvrez le programme

    Moins d’une semaine avant le Festival national du film d’animation de Rennes 2025, qui aura lieu du 22 au 27 avril 2025 et auquel Muriel participera et vous en rendra compte sur nos réseaux comme sur le site, et c’est donc l’occasion d’évoquer leur beau programme, avec comme fil rouge la musique et les voix…

  • Critique – L’Histoire du soldat

    Critique – L’Histoire du soldat

    Pour ce printemps, Malavida Films nous présente L’Histoire du soldat, un film d’animation original réalisé par Robert O. Blechman : La guerre est terminée et le jeune soldat rentre chez lui. En chemin, il rencontre le diable, avec lequel il conclut un accord : il échange son violon bien-aimé contre des richesses illimitées. Tenaillé par…