Critique – Icare


C’est un film plutôt unique en son genre qui sort aujourd’hui dans les salles françaises, et j’espère que cet article suffira à vous convaincre de foncer le voir… Il s’agit d’Icare, premier long-métrage de Carlo Vogele (diplômé des Gobelins, précédemment animateur chez Pixar mais aussi réalisateur de films en stop motion sur son temps libre), une production franco-luxembourgeoise d’Iris Films et Rezo Productions, distribuée par BAC Films.

Sur l’île de Crète, chaque recoin est un terrain de jeu pour Icare, le fils du grand inventeur Dédale. Lors d’une exploration près du palais de Cnossos, le petit garçon fait une étrange découverte : un enfant à tête de taureau y est enfermé sur l’ordre du roi Minos. En secret de son père, Icare va pourtant se lier d’amitié avec le jeune minotaure nommé Astérion. Mais le destin bascule quand ce dernier est emmené dans un labyrinthe. Icare pourra-t-il sauver son ami et changer le cours d’une histoire écrite par les dieux ?

Si la mythologie grecque est depuis longtemps vulgarisée, notamment en littérature jeunesse (docu-fictions, livres-jeux, encyclopédies…), il est étonnant de constater que l’animation ne s’était toujours pas emparée d’un tel sujet – si l’on exclut le Hercule produit par Disney en 1997 (pas exactement ce qu’on pourrait appeler une adaptation fidèle) et la série Les grands mythes d’Arte (qui cible davantage les ados/adultes).

Carlo Vogele pallie donc à ce manque avec Icare, une plongée inattendue et superbe au cœur de la mythologie grecque, et plus précisément du mythe du Minotaure et du fameux “garçon qui vola trop près du soleil”. 

Nul besoin de résumer le mythe ; c’est l’un des plus fameux de la mythologie grecque. Néanmoins, si vous n’en avez que peu de souvenirs ou pas connaissance du tout, aller voir le film de Carlo Vogele fera aussi bien, voire mieux l’affaire que la lecture d’un livre ou d’une page Wikipédia.

En effet, le scénario est particulièrement fidèle à la version usuelle du mythe, ne se privant pas de tous les détails familiaux, de vengeance et de pouvoir qui animent les personnages et permettent de comprendre l’histoire dans toutes ses sinuosités (et Zeus sait que les mythes grecs sont des histoires labyrinthiques !).

Mais il fallait bien choisir un angle pour personnifier un tant soit peu ce mythe aux personnages foisonnants et aux nombreux enjeux. Et qui mieux que celui qui agit dans l’ombre pour aider tout ce petit monde, du Minotaure à Thésée en passant par Ariane, et en subit injustement les conséquences ?

Carlo Vogele explique au sujet d’Icare : “On ne connaissait pas son enfance. Il y avait tout à construire »*. C’est ainsi qu’Icare s’est imposé naturellement comme le cœur du récit. C’est par lui que le film s’ouvre et se ferme. L’accent de la narration est porté sur la construction de sa personnalité, au fur et à mesure qu’il grandit, que son père l’instruit et qu’il se fait ensuite ses propres idées sur le monde qui l’entoure… ainsi que ses propres choix. 

Il est dépeint comme un personnage libre, intrépide et joyeux, profondément attiré par les oiseaux, qu’il observe et imite dès la scène d’ouverture (détail important qui donne de l’ampleur au destin funeste du personnage).

Son évolution tourne autour de l’amitié (seule partie inventée pour les besoins de l’histoire) qu’il tisse avec Astérion, le futur Minotaure, auquel il visite quotidiennement. Grandissant ensembles, se comprenant même sans paroles, les deux personnages deviennent comme des frères et imaginent le monde à leur image, loin de la tyrannie et de la cruauté des adultes. La prison à ciel ouvert où Astérion vit reclus est en contrepartie le lieu magique de l’apprentissage, des jeux et de la philosophie.

Fort de ses convictions personnelles, Icare se pose très vite en justicier vis-à-vis de ce frère d’adoption, tentant de réparer un monde devenu fou, laissé aux mains des desseins égoïstes des adultes. La faille se creuse entre Dédale et son fils : “Père, regarde le carnage que tu laisses derrière toi.” Mais Dédale l’inventeur n’est qu’un pont entre ces enjeux inexorables, uniquement soumis à ce qu’on lui demande d’accomplir, tandis que son fils est le centre névralgique de l’intrigue et des retournements de situation. 

Carlo Vogele nous offre une plongée dans la mythologie grecque comme on ne l’a jamais vue sur écran : avec ce groupe de personnages animés par l’amitié, le désir, l’instinct de survie ou encore de sombres desseins. Le film est doté d’un souffle narratif bienvenu qui apporte nuance aux schémas dichotomiques du bien et du mal dans la mythologie, ou encore certains films pour enfants contemporains.

Le réalisateur dit très justement : « Quand on lit les textes antiques, c’est raconté de manière très sèche, comme une sorte de rapport qui accumule des faits. Alors, nous avons pris plaisir à détailler les relations entre nos personnages. À leur donner de la chair »*. Vous avez là une description parfaite du moment de cinéma passé devant ce film : l’émerveillement du mythe, une note humaine en plus.

Et puisqu’il s’agit de donner de la chair, notons que l’utilisation de la 3D, notamment sur les visages des personnages, intervient en complément de la 2D pour nous les rendre encore plus vivants, et se font parfaitement avec le reste de l’animation. Les protagonistes évoluent au sein d’une palette de couleurs à la fois réaliste (sur les décors naturels crétois) et chamarrée (sur les décors du palais, de l’univers un peu magique qui environne Astérion), donnant à voir des images éclatantes et des jeux de lumière et d’ombres magnifiques. On tire donc notre chapeau à la direction artistique d’Édouard Cour (auteur de la série de bandes dessinées Herakles).

À souligner également, le jeu immersif des acteurices , et la forte présence de bruitages et, dans les silences, la place accordée au souffle et réactions non verbales des interprètes. Mention spéciale à Wolf Van Cappellen, qui joue Icare enfant, ainsi qu’à Camille Cottin (Ariane) et Féodor Atkine (Dédale), toujours justes.

Le lien entre mots et images conduit à de belles métaphores, la poésie ayant une place importante dans le film. Tout comme la musique d’ailleurs, un aller-retour entre musique classique baroque (Vivaldi) et musique orientale. Un choix inattendu mais qui sied étonnamment bien à l’histoire et illustre avec talent les contrastes entre les camps et les enjeux qui s’affrontent tout au long du film.

En somme, Icare est une vraie réussite qui raconte le mythe de manière subtile, avec juste ce qu’il faut de blancs narratifs laissés au décryptage des spectateurices, et une dose suffisante de création par rapport au mythe initial.

Pas étonnant que Carlo Vogele cite Rémi Chayé et Tomm Moore comme influences. Icare remplit ses promesses d’une aventure à la fois épique et émouvante, adaptant le mythe grec avec panache et poésie. On espère que Carlo Vogele continuera sur cette lancée prometteuse !

Icare est à découvrir en salles dès le 30 mars 2022.

*Source des citations : dossier de presse du film



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