Sorti depuis le 22 septembre dans nos salles, Le Sommet des Dieux, adaptation en film d’animation du manga de Jirô Taniguchi, lui-même une adaptation d’un roman de Baku Yumemakura, fait partie des bijoux que l’on a pu apprécier à la rentrée cinéma 2021. Co-produit par Folivari, Mélusine et Studio 352, distribué par Wild Bunch et réalisé par Patrick Imbert, le film a tout pour se hisser parmi les meilleurs films d’animation français.
George Mallory et Andrew Irvine sont-ils les premiers hommes à avoir atteint le sommet de l’Everest, le 8 juin 1924 ? Seul le petit Kodak Vest Pocket avec lequel ils devaient se photographier sur le toit du monde pourrait livrer la vérité. 70 ans plus tard à Katmandou, Makoto Fukamachi, jeune reporter japonais en mal de scoop, pense reconnaître cet appareil entre les mains du mystérieux Habu Jôji, grimpeur proscrit que l’on pensait disparu depuis des années. Cette rencontre va conduire Fukamachi dans un monde d’alpinistes dévorés par la passion, assoiffés de conquêtes impossibles et l’attirer peu à peu lui aussi vers le sommet des dieux.
Pas évident d’adapter en 1 h 30 les cinq tomes du manga de Jirô Taniguchi. Pour les besoins du film, le réalisateur Patrick Imbert (co-réalisateur du Grand Méchant Renard chez Folivari) a choisi de resserrer l’histoire sur les deux personnages principaux, Makoto et Habu, là où l’histoire originale était plus touffue et comportait notamment plus de personnages secondaires.
Au centre de l’intrigue reste donc le fameux appareil photo Kodak de George Mallory qui mène Makoto sur les traces d’Habu Jôji (qui est, quant à lui, un personnage de fiction). En tant que spectateur, on se retrouve donc plongé dans cette obsession du journaliste pour son sujet, dans cette recherche acharnée qui nous tient en haleine et qui est tout autant une quête initiatique pour le héros. En parallèle de la quête de Makoto, des scènes de la vie passée d’Habu nous sont dévoilées en flashbacks : son évolution au sein d’un club d’alpinistes, ses aspirations et ses propres défis en solitaire, mais aussi ses échecs… Tout en s’inspirant de ses propres émotions à la lecture de la bande dessinée, Patrick Imbert livre une version concentrée de l’histoire particulièrement réussie, dont les personnages partagent une obsession sans faille et des démons à combattre. Par le biais de cette histoire et des intrigues connexes, le film nous initie aux enjeux de la haute montagne, et aux conséquences de cette passion et sa dangerosité, notamment lorsqu’elle se retrouve confrontée à la violence des éléments naturels.
Si ce sport fascine depuis toujours, c’est par son caractère saisonnier qui le rend complexe (la fenêtre météo qui permet d’accéder au sommet de l’Everest, par exemple, est très courte : la plupart du temps moins d’une semaine). C’est aussi par sa dangerosité, et l’avidité sans limites de celles et ceux qui la pratiquent et frôlent la mort pour voir le monde d’en haut. On a envie de poser la question : pourquoi ? “La réponse est ailleurs ». Et peut-être même qu’il n’y en a pas, de réponse. C’est le propos du film. Et même sans réponse précise, on ne peut pas s’empêcher d’être profondément touché.e par cette addiction incroyable à la montagne.
“Grimper c’est la seule manière que j’ai de me sentir vivant. Alors je le fais jusqu’au bout, sans regret.”
Ce n’est pas un hasard si le film s’ouvre sur un plan embrumé de la montagne. Elle est en quelque sorte le troisième personnage du film, qui gronde et vibre à travers les bruitages et la musique d’Amine Bouhafa (disponible à l’écoute sur toutes les plateformes). Le travail du son est à la hauteur du sujet, et souligne avec talent la grandeur des décors et les situations extraordinaires dans lesquelles se retrouvent les personnages, empêtrés dans la violence d’une nature brute et indomptable. Entièrement réalisé en 2D, le film convoque une émotion visuelle vintage particulièrement plaisante, tout en délivrant une animation aussi réaliste que possible, des décors de la nature jusqu’au graphisme des personnages (peu éloignés du style de Taniguchi mais qui s’en affranchissent tout de même). Le résultat est bluffant et très immersif, notamment lors de certaines scènes qui se déroulent à des hauteurs vertigineuses où les cadrages des plans nous clouent sur place.
Un film qui coupe le souffle et nous tient en haleine jusqu’au bout, tout en délivrant un message contemplatif et poétique sur la montagne et le rapport de l’être humain à cette nature grandiose. Si les œuvres de Taniguchi ont plusieurs fois été adaptées en films/séries/dramas, c’est la première fois sous forme de film d’animation. Une première réussite qui, on l’espère, ouvrira la voie à d’autres créations. Pour en apprendre plus sur le projet de ce film et sa réalisation, vous pouvez vous plonger dans Autour du Sommet des Dieux, beau livre publié aux éditions Paulsen et qui dévoile les coulisses du film.