« Punk is not dead » m’a soufflé Muriel après avoir vu On Gaku. Je crois qu’elle a raison. Regardons la bande annonce d’On Gaku : notre rock pour nous échauffer : Vous vous demandez ce que vous venez de voir ? Ça l’air trop indé pour vous ? Ne paniquez pas. Moi aussi, dès ce trailer, On Gaku : notre rock m’a visuellement interpellée par le design simpliste de ses personnages, dans l’esprit du manga original, qui contraste avec les décors détaillés, basés sur des prises de vue réelles et travaillées en rotoscopie. C’est vrai que c’est un mélange dont on n’a pas forcément l’habitude. Vous vous sentez déstabilisés ? Je vous conseille de vous accrocher en vous racontant ce qui m’a ébloui, ce qui m’a fait rire et ce qui m’a touché dans On-Gaku : notre rock, que j’ai eu le plaisir de découvrir pendant le festival d’Annecy. On Gaku : notre rock adapte le manga Ongaku de Hiroyuki Ohashi. Trois lycéens japonais, un peu délinquants sur les bords décident de former leur groupe de rock nommé « Kobujutsu », alors qu’ils n’ont jamais touché un instrument. Derrière ce pitch simplissime se cache un projet qui semble tenir très à cœur à son auteur : il autopublie son manga en 2005 (réimprimé par les éditions Ohta publishing en 2009). En 2012, il démarre son projet d’adaptation en long métrage avec le réalisateur Kenji Iwaisawa mais en restant impliqué. Un financement participatif est lancé en 2018 pour trouver les 40 000 € euros nécessaires à la finalisation du film. 7 ans de travail pour enfin voir On Gaku : notre rock sur les grands écrans du Japon le 11 janvier 2020. Comme je sais que ce n’est pas facile de sortir de sa zone de confort visuel, je dégaine le gros argument d’autorité : je ne suis pas là seule à avoir apprécié ce film qui a remporté le Grand Prix du Festival International du Film d’animation d’Ottawa en 2019 où il était diffusé pour sa première mondiale. Le jury saluait alors « Un triomphe de narration à l’économie, sans pour autant jamais sacrifier la richesse de ses personnages. Nous avons été particulièrement impressionnés par la perfection du timing, la simplicité du design et la célébration joyeuse du medium de l’animation. » Ça ne veut pas dire que ce film vous plaira à coup sûr mais a minima, c’est un film qui est remarquable et mérite que vous lui laissiez une chance. J’espère avoir toute votre attention pour entrer dans le vif du sujet. Alors, qu’est-ce que ce film, qui semble un peu bizarre de prime abord, a de spécial ? Déjà, ne vous fiez pas à son pitch basique. Derrière cette histoire d’adolescents qui se lancent dans le rock’n’roll, ce film s’attache en réalité à botter les fesses de vos préjugés : on va en reparler mais je vous préviens : les vrais punks de cette histoire ne sont pas ceux qui arborent le plus grande iroquoise !
Le personnage principal, Kenji, s’ennuie dans son rôle de bagarreur où, tel Saitama, il ne rencontre pas de véritable challenger. Son visage inexpressif et le temps de latence de ses réponses, provoquent deux réactions contradictoires : le rire par l’exagération et le comique de répétition mais aussi la montée en puissance d’une certaine tension. Que peut-il bien se passer dans la tête de Kenji pour qu’il mette si longtemps à répondre, souvent par monosyllabes, à des questions qui semblent simples ? Le travail du doubleur Shintaro Sakamoto (chanteur et guitariste de Yura Yura Teikoku) pour obtenir cette voix très neutre compte beaucoup pour la réussite de cet effet révélateur du personnage. Je vous laisse savourer un exemple dans le début de la bande annonce ici : Ce premier dispositif permet en lui même de déjouer un des pièges du personnage qui arbore, avec ses deux camarades, le look typique du délinquant japonais. Les autres élèves semblent avoir peur de lui ou chercher à le provoquer en duel, ce qui nous laisse imaginer un passé de voyou. Pourtant Kenji est calme, il parle poliment, sa voix est posée. S’il a été un délinquant redouté, son attitude indique maintenant qu’il est passé à autre chose. Mais c’est difficile de changer quand on a une réputation de gros dur qui colle à la peau. Les amis d’aujourd’hui vont-ils nous soutenir si on choisit une voie différente ? Et la fille qu’on apprécie : que pensera-t-elle en découvrant une nouvelle facette de notre personnalité ? Kenji ne laissant transparaître que peu d’indices sur son but ultime ou sa vie intérieure, on ne peut se fier qu’à ses actes pour tenter de le comprendre dans ses moments d’errances, d’enthousiasme ou dans ses revirements. Ses camarades placent une confiance aveugle en lui, même si eux non plus ne saisissent pas vraiment ce qui lui arrive. Alors moi aussi en tant que spectatrice, j’ai cru en lui aussi. J’ai ouvert grand mes yeux et mes oreilles pour juste soutenir Kenji dans son processus de transformation en n’ayant aucune idée d’où il allait. Il n’est visiblement pas heureux, quelque chose l’empêche de s’exprimer librement. Si lui ne dit rien, ou si peu, comment deviner ?
Et c’est là que la magie du cinéma d’animation proposée par On Gaku a opéré sur moi. Au lieu d’expliquer par la narration ce qu’il se passe dans la tête de Kenji, On Gaku souligne les moments forts de façon très expressive par la mise en scène ou des techniques d’animation qui représentent les émotions du personnage. C’est au spectateur, alerté par le changement de style, d’imaginer ce que cette scène signifie. Par exemple, que m’évoque ce plan qui se fixe soudainement sur Kenji, en pleine promenade linéaire, lorsqu’un étui à guitare atterrit dans ses bras, alors que les dialogues et l’action se poursuivent hors cadre ? Ou au contraire, pourquoi le cadre, si sage jusqu’à présent, se met à tourbillonner à toute vitesse lorsque les 3 lycéens jouent de la musique ensemble pour la première fois ? Et ce feu d’artifice de couleurs ? Et ces aplats de rouge dans la nuit ? Ma patience a été récompensée quand Kenji se libère enfin de ces peurs et des attentes de tous, pour juste embrasser sa vocation de musicien. La conclusion est empreinte de grâce, l’émotion habilement soulignée par la vivacité et le relief de l’animation, les couleurs, la suspension surnaturelle d’un saut qui exprime toute la légèreté retrouvée de Kenji et lui permet, enfin, de libérer son chant. J’ai envie de lire à travers le parcours de Kenji, une métaphore avec la nécessaire réinvention de la masculinité auxquels beaucoup d’hommes sont confrontés actuellement. Sortir de stéréotypes dans lesquels ils sont enfermés et dans lesquels ils ne s’épanouissent pas (plus ?), se rendre compte qu’on a des affinités avec des activités, des vocations qui ne sont pas validées comme viriles, pour finalement assumer ces nouvelles passions aux yeux d’un entourage qui n’a pas fait ce même chemin de déconstruction.
Gros challenge abordé avec humour mais tout en tension et en silence par Kenji, dans une solitude qui n’a pas manqué de me serrer le cœur entre les éclats de rire. On Gaku résonnera peut-être pour le public masculin avec une force particulière tant j’ai l’impression qu’il fait écho à des problématiques qui sont propres aux hommes. Et j’appelle de tous mes vœux plus d’œuvres qui abordent ce thème avec autant de sensibilité et de finesse. Pourtant, outre ses potes masculins d’une loyauté indéfectible, Kenji me semble compter deux alliées féminines de poids. Intimement liée à l’évolution de Kenji, la relation entre ce dernier et Aya (la fille qu’il apprécie) synthétise avec une fulgurance diablement efficace beaucoup d’aspects des relations hommes-femmes aujourd’hui. Aya n’est pas un personnage hyper présent à l’écran. Elle semble avoir ses propres groupes d’amis, sa vie bien à elle, tout en s’intéressant à celle de Kenji dans laquelle elle intervient ponctuellement. En refusant de faire à sa place, en sanctionnant les comportements archaïques qu’il peut avoir à son égard, Aya ne tient pas la main de Kenji, elle le laisse suivre son chemin tout en traçant sa route personnelle. Elle observe le travail qu’il accomplit sur lui-même et dont les fruits pourront peut-être leur permettre de communiquer plus authentiquement. Toutefois, On Gaku va plus loin, il dépasse la redéfintition de la masculinité et des relations romantiques grâce au personnage de Morita. C’est une musicienne accomplie, la chanteuse de Kobijutsu, le groupe de folk du lycée (Non vous ne voyez pas double, il n’y a qu’une seule lettre de différence avec Kobujutsu, le groupe de Kenji). Son look androgyne lui permet de se fondre dans le groupe des lycéens à lunettes qui grattent une guitare sèche.
Kenji, bien que ça paraisse loin de son univers, aborde Morita et son groupe de folk sans préjugés, curieux d’entendre leur musique. La voix parlée de Morita, au demeurant classique, prend alors une surprenante tonalité masculine quand elle se met à chanter. Kenji est emporté par le souffle de sa performance feutrée et sensible lorsqu’elle interprète le répertoire de son groupe. Il est touché par le talent de Morita et l’invite à prêter l’oreille au son de son groupe de Kobujustu. C’est alors à elle d’être transportée dans un moment onirique dada plein de références à des pochettes d’albums de rock légendaires qui convoquent notamment les Pink Floyd, Mike Oldfield, the Who, Dr Siegel et plein d’autres que je vous laisse le plaisir d’identifier. A son tour, sitôt la démonstration terminée, elle manifeste à Kenji et au groupe tout son enthousiasme pour ce gros son puissant et brut en le reliant à l’histoire du rock, rassurant probablement Kenji (et moi aussi au passage, j’avoue) sur le potentiel de leur démarche artistique. Le parcours de Morita, aussi passionnant que celui de Kenji, est mis en lumière par des scènes très inspirées qui donnent à ressentir sosn envie de faire évoluer sa musique (et son look !) ou son hésitation à assumer cette nouvelle identité. Au final, elle traverse, à sa façon, des doutes et se questionne sur son envie de se transformer. Il ne s’agit alors plus d’une problématique de masculinité, de féminisme, mais juste de liberté de se réinventer en tant qu’individu. Un appel à se détacher des préjugés du patriarcat pour avancer dans un monde qui laisse à chacun, homme ou femme, la possibilité d’évoluer, de se redécouvrir. On Gaku : notre rock nous invite à l’introspection, à déconstruire ce qui ne nous plait plus, quitte à prendre le risque d’être un peu ridicule. Qui aurait cru que les fragiles à lunettes et les gros durs du lycée, dont les univers musicaux semblaient si éloignés, pourraient s’apporter autant ? Sûrement un musicien ! Parce que la musique se moque des préjugés dans lesquels on s’est enfermés. Elle nous parle intimement. Kenji et Morita apparaissent revêtus des stéréotypes confortables, y compris dans mon esprit de spectatrice, le film m’a donné envie de faire le ménage dans mes propres comportements, comme il fait le ménage dans les tropes. Comme j’ai été surprise visuellement par les trésors d’animation déployés ou par l’humour déconcertant d’On Gaku, je pourrais me laisser surprendre par le son personnel qui résonne en moi, une fois débarrassée de vieilles habitudes encombrantes. Et avoir envie de le partager ? En tous cas, le film m’inspire pour essayer de me réinventer !