Critique – Le Roi Cerf (The Deer King)


Avant sa sortie en septembre prochain au Japon, Le Roi Cerf (Shika no Ou : Yuna to Yakusoku no Tabi ou The Deer King en anglais) a été présenté en avant première mondiale au Festival International du film d’animation d’Annecy 2021. J’attendais avec impatience ce film signé par Masashi Ando, dont la sortie était initialement annoncée pour fin 2019. Son nom est moins connu du grand public que celui des réalisateurs avec lesquels il a collaboré, mais cet animateur talentueux fut à la direction de l’animation et au design des personnages de chefs d’œuvre qui ont marqué le monde de l’animation ces 25 dernières années : chez Ghibli, il a travaillé sur Princesse Mononoke et sur Le Voyage de Chihiro, avec Satoshi Kon sur Paranoïa Agent et sur Paprika. Enfin, plus récemment, il était aux côtés de Makoto Shinkaï pour Your Name.

Le Roi Cerf est son premier projet en tant que réalisateur et pour cette aventure, il s’est entouré d’une équipe solide : Masayuki Miyaj en coréalisateur (assistant de réalisation sur Le Voyage de Chihiro) et Taku Kishimoto au scénario (scénariste sur Haïkyu!).

Van était autrefois un valeureux guerrier du clan des Rameaux solitaires. Défait par l’empire de Zol, il est depuis leur prisonnier et vit en esclave dans une mine de sel. Une nuit, la mine est attaquée par une meute de loups enragés, porteurs d’une mystérieuse peste, le mittsual. Seuls rescapés du massacre, Van et une fillette, Yuna, parviennent à s’enfuir. Lorsqu’il découvre l’existence de 2 survivants, l’empire de Zol et un Hohsalle, un médecin prodige, vont se lancer à leur recherche pour trouver un remède. Mais cette maladie recèle bien des mystères que Hohsalle et Van, unis par le fléau, vont s’atteler à révéler.

Ce travail d’orfèvrerie confère une densité et une aura particulière à Van. Le dispositif retranscrit silencieusement la transformation à l’œuvre en lui.

Celle-ci découle de 2 principaux facteurs : après le massacre par les loups dans la mine, Van a recueilli la petite Yuna. Entre ces 2 anciens esclaves, écorchés par la vie, une affection toute en simplicité s’installe. La force de leur lien permet à cet homme brisé de de se projeter dans la vie avec un nouveau but, de s’insérer dans un village, de reprendre contact avec ses traditions pour les transmettre. Du chef de guerre, à l’esclave brisé, Van aspire à la paix d’une vie simple avec Yuna. En parallèle, Van a été mordu par un loup noir et son organisme est donc affecté par le mittsual physiquement et psychiquement. Cette seconde transformation modifie peu à peu sa façon d’être au monde.

C’est donc une trame narrative dense que présente The Deer King : quête du pouvoir, quête de la vérité, quête de la paix s’entremêlent pour créer un canevas complexe. A noter aussi la thématique de la résistance portée par le personnage de Ohfan et celle de la vengeance, incarnée par la traqueuse Saé qui viennent ajouter du lien entre les différents personnages et enjeux, renforçant ainsi ce sentiment d’interactions et de cohérence de l’univers. La construction du récit est d’autant plus remarquable qu’elle me semble à l’image du message du film qui cherche à inscrire les personnages en cohérence avec leur environnement, les évènements en accord avec leur contexte.

L’épidémie de mittsual génère une importante confusion dans un monde que l’empire Zol pensait contrôlé et apaisé. Les déséquilibres sociétaux et les ressentiments liés à la guerre encore fraîche dans les mémoires s’amplifient et explosent dans la violence à l’occasion de la crise. Au fil de leur parcours, les protagonistes traversent un pays où les habitants s’en prennent les uns aux autres : ceux qui se cramponnent à leurs privilèges, ceux qui souhaitent un retour au monde d’avant, ceux qui se sont adaptés pour vivre ensemble et voient ce qu’ils ont construit être menacé et ceux qui attaquent sans distinction. Face à ce chaos qui prend de l’ampleur, le film propose 3 exemples de rapports au monde :

La première voie proposée est celle de la vie traditionnelle en harmonie avec la nature incarnée par Van. Le Clan des rameaux vivaient en symbiose avec les pyuka, des cervidés qu’ils savaient élever et chevaucher. Van va transmettre le savoir de son clan disparu au nouveau village qui l’accueille avec Yuna, et lui permettre de prospérer. La seconde voie est dessinée par le personnage du Roi des loups, Kenoi, qui instrumentalise les forces de la nature pour blesser autrui. Enfin, une dernière voie est proposée à travers la démarche scientifique et innovante de Hohsalle : observer la nature avec respect pour en comprendre le fonctionnement et construire de nouvelles connaissances, de nouveaux outils. Cette voix est habilement et discrètement mise en scène dans la trame narrative. Comme Hohsalle qui mène l’enquête, le spectateur est invité à observer attentivement et à faire ses propres déductions à partir des indices semés à son intention tout au long du film pour comprendre lui-même les mystères du mittsual.

Finalement, pour élaborer plus cette hypothèse, j’aurais aimé avoir lu les romans pour déterminer ce qui en découle directement de ce qui injecté par Masashi Ando, mais il me semble que la démarche du réalisateur fait écho à celle de Van et de Hohsalle. Après avoir patiemment observé et appris des grands maîtres de l’animation, après avoir contribué à donner vie aux chefs d’œuvre qui font partie aujourd’hui des mythes fondateurs de l’animation japonaise, Masashi Ando reprend les ingrédients, les recettes pour les amener ailleurs avec du respect, de l’enthousiasme et de l’ambition.

Ainsi, de nombreux personnages, éléments de chara-design et effets d’animation font écho à Princesse Mononoke ou à Nausicaä, de même que le thème central des films qui interroge nos liens avec la nature et nos connexions entre humains. Au point qu’on pourrait presque rêver que le Roi Cerf de Deer King préfigurerait le Dieu Cerf de Princesse Mononoke.

Masashi Ando semble reprendre ce mythe pour lui conférer une nouvelle perspective, une nouvelle profondeur. La densité et l’intrication des intrigues rend peut être ce film moins facile d’accès et moins universel, mais plus proche de la complexité du réel qu’il cherche à capturer et à donner à comprendre. Il suscite l’envie de suivre la suite de la carrière de réalisateur d’Ando, en espérant qu’il s’attachera à développer encore plus ses personnages féminins qui font, pour l’heure, un peu pâle figure vis à vis de l’ambition globale du projet.


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