Restée sur un sentiment mitigé lié à Miss Hokusaï, le précédent film de Keiichi Hara, Wonderland, le royaume sans pluie était donc attendu au tournant. Cette fois, le réalisateur revient avec l’adaptation du roman éponyme de Sachiko Kashiwaba où il se frotte au merveilleux, loin de son univers habituel plus terre à terre.
Akané est une jeune fille rêveuse. La veille de son anniversaire, elle se rend chez sa tante antiquaire pour récupérer son cadeau. Dans l’étrange bric-à-brac de la boutique, elle pose sa main sur une pierre magique. S’ouvre soudain un passage secret d’où surgit Hippocrate, un alchimiste venu d’un autre monde. Il veut convaincre Akané qu’elle est la Déesse du vent vert dont parle la légende et qu’elle seule peut éviter la terrible sécheresse qui menace son royaume. Accompagnées par l’alchimiste et son disciple Pipo, Akané et sa tante s’engagent dans un voyage fantastique pour sauver Wonderland.
Bloquée
L’héroïne Akané décadre complètement avec le stéréotype habituel dans le sens où elle n’est ni motivée, ni serviable, ni du genre à suivre un inconnu aussi alchimiste soit-il dans un monde dont elle ne sait rien. Son chemin personnel vers l’acceptation de son statut de Déesse du vent est d’autant plus intéressant à suivre que la jeune fille brille dans cette détermination à ne pas vouloir entrer dans l’aventure. Cette retenue rend ses différentes interactions avec les personnages plus riches car elle cherche sans cesse à comprendre le sens de sa visite à Wonderland. A l’inverse, sa tante Chii se présente dans un désir total d’évasion, ayant un avis sur tout, voulant participer à toutes les activités qu’on lui présente. Elle complète ainsi le prisme émotionnel d’Akané et fait le lien avec le spectateur, qui comme elle est demandeur d’émotions.
Les émotions d’Akané sont justement la colonne vertébrale de la narration car elles agissent de pair avec le mystère autour d’un Prince à sauver. La révélation, bien que tardive, prend alors tout son sens (je ne vous en dirais pas plus pour ne pas gâcher la découverte). L’Alchimiste et Pipo gravitent autour des héroïnes tels des guides et servent de comic relief assez efficaces. Hippocrate, le moustachu magicien d’abord présenté comme une figure paternelle se retrouve rapidement tourné en ridicule, laissant ainsi aux jeunes femmes une liberté de mouvements et de développement appréciable sur la durée du film. En plus de cela, sa transformation en mouche est hilarante, on ne s’en lasse pas.
Monts et merveilles
Conceptualisés par l’artiste russe Ilya Kushinov, les décors de cette aventure sont d’une diversité impressionnante depuis le désert rougeoyant aux étendues fleuries à perte de vue. Il est facile de se laisser porter par ces paysages où évoluent nos héroïnes. On remarquera les références à l’imaginaire des contes européens avec le village de chalets foisonnant de moutons ultra laineux, mais aussi la maison qui ronfle qui aurait pu prendre une belle place dans le Grimm Universe. Cet aspect européanisant s’accompagne d’une mise en scène posée, tout droite sortie d’un livre d’image. Au total opposé, le monde des antagonistes Zang, chevalier noir solidement armuré et Dororo, son acolyte, est aride et métallique. On a l’impression de revivre le côté obscur de Mad Max en découvrant ces immenses structures métalliques et ces étendues ocres qui les entourent. Le contraste entre les différents mondes perturbe et titille dans le bon sens car il permet au spectateur de recoller les morceaux de sa propre initiative. Si vous vous sentez perdu, ne luttez pas, les événements et les visuels deviendront instinctivement vos alliés.
L’animation du studio Signal.MD (Hirune Hime : Rêves Éveillés), fondé par la société mère des productions IG, est réussie dans son ensemble et arrive retranscrire avec finesse les émotions des différents protagonistes et l’aspect chibi des moutons est juste hilarant. Les insertions de 3D passent de manière discrète dans les environnements lumineux mais se fait plus remarquer dans l’univers gritty mécanique de Zang. Cependant, cela n’empêche aucunement de profiter du spectacle, on en prend plein les yeux. Wonderland, le royaume sans pluie a réussi à me cueillir alors que je m’y attendais le moins. Le film demande toutefois de ne pas être en recherche d’une structure narrative classique de conte, mais plutôt d’être synchrone avec le caractère décalé d’Akané. En effet, le spectateur et l’héroïne traversent l’intrigue ensemble afin d’aller vers une ouverture sur le monde. Si vous êtes friand de jeu narratif, ce film est fait pour vous.