Critique – Yuki et le Secret de la Montagne Magique


Unique long-métrage d’animation de Tadashi Imai, Yuki et le Secret de la Montagne Magique est sorti au Japon en 1981, puis est passé par la France à la grande époque de la VHS à l’aube des années 90 sous le titre Yuki, le combat des shoguns. bénéficiant désormais d’une vraie ressortie via le distributeur KL Films après son passage dans plusieurs festivals. 

Yuki vit au ciel avec ses grands-parents, qui veillent sur la Terre. L’année de ses 13 ans, elle est envoyée chez les humains pour faire revenir la paix. Elle aura un an pour mener à bien sa mission, au risque d’être transformée en un sombre vent hurlant. Confrontée au mauvais sort des habitants d’un village du Japon féodal, elle découvre que la cause de tous leurs maux est bien plus mystérieuse que ce que l’on croit…

La japanimation vintage a le vent en poupe depuis l’année dernière et la ressortie par Splendor du Château de Cagliostro et du Secret de Mamo, et KL film s’engouffre dans la brèche avec ce Yuki et le Secret de la Montagne Magique sorti en 1981 par la Nikkatsu et produit par le célèbre studio Mushi (relancé après la faillite entraînée par la production des la trilogie Animerama). Alors que la même année un certain Takahata s’attache à retranscrire la vie contemporaine d’une petite fille de huit ans avec Kié la petite peste, les préoccupations de Tadashi Imai sont ailleurs, épaulé par un script d’Akira Miyazaki : la vie féodale japonaise de l’époque Muromachi (de 1336 à 1573) et ses dures conditions, prolongeant la thématique abordée dans Contes cruels du Bushido, l’un de ses films live primé à Berlin en 1963. 

Dans le registre des représentations, il est intéressant de voir qu’Imai privilégie toujours le point de vue des pauvres et des déshérités, ainsi que celui des paysans harcelés par les voleurs, tandis que le riche seigneur reste abrité dans sa demeure, c’est toujours le peuple qui finit par faire pencher la balance, le sauvant du raid grâce à leur intervention magnifiée par Yuki chevauchant l’indomptable Fubuki, un cheval sans maître. La jeune déesse est en elle-même un cas intéressant, véritable incarnation de la candeur mais inflexible dans son combat pour la justice, elle est secondée par les mendiants puis les paysans, instigatrice de ce mouvement vers la confrontation finale mais toujours accompagnée d’Hana, petite fille ordinaire qui fut la première à l’accueillir sur Terre.

Si Yuki est une divinité, son arrivée depuis les cieux est conditionnée par un durée limitée : elle a une année, pas plus, pour aider le peuple et ramener la justice dans la région. En parallèle des confrontations, Yuki est une témoin privilégiée des différentes strates sociétales, agissant comme une force symbolique de leurs efforts combiné pour se débarrasser du majin, le démon de la fin du film évoquant tout autant les colosses des films de Ray Harryhausen, le personnage emblématique de la trilogie Daimajin que les robots géants qui ont déjà commencé à peuple l’imaginaire japonais de l’époque.

Du côté technique, le studio Mushi fait de son mieux et l’économie faite sur les moments de calme et le recyclage d’animation dans des séquences où les personnages courent ou se déplacent permettent de libérer le montage en proposant des inserts donnant à l’ensemble un punch qui renvoie aux orties des métrages mieux animés mais aux storyboards bien trop sages. Sérieusement restauré, Yuki et le Secret de la Montagne Magique est magnifique pour un film ayant la quarantaine d’année, et la direction artistique ne manque pas de picturalité tout en évoquant des films hors-territoire japonais dans certaine représentation (le père de Yuki évoque autant une représentation monothéiste de Dieu que les personnages fabuleux du Choc des Titans de Desmond Davis, sorti à la même époque.  

Si le character design n’est pas l’élément ayant le mieux vieilli, il dégage néanmoins une forme de classicisme et est l’oeuvre de Tetsuya Chiba, qui dessinera plus tard l’un des boxeurs les plus célèbres du manga, Ashita no Joe. Outre cette anecdote, cet unique œuvre animée de Tadashi Imai a un intérêt aussi historique qu’artistique, son réalisateur ayant toute sa vie été engagé politiquement et soutenant des valeurs de gauche et les syndicats dans un Japon des Trente Glorieuses qui a vu de nombreux remous sociaux. Des idées et un sens de la justice qui l’auront habité toute sa carrière depuis Ombres en plein jour jusqu’à, dans une certaine mesure, ce Yuki et le Secret de la Montagne Magique, qui jouit d’une nouvelle résonance dans le contexte actuel.

Yuki et le Secret de la Montagne Magique, sorti le 9 septembre via KL Films.


A lire dans le même genre

Dernières publications

  • Critique – Super Mario Bros. – Le film

    Critique – Super Mario Bros. – Le film

    Trente ans après la catastrophe industrielle que fut le film live Super Mario Bros, le plombier moustachu de Nintendo est de retour sur les écrans de cinéma. Cette fois-ci, la firme de Kyoto a gardé un contrôle plus serré sur la production et s’est attaché les services du studio Illumination, dont les compétences pour concevoir…

  • Sortie DVD – Le Petit hérisson dans la brume et autres merveilles

    Sortie DVD – Le Petit hérisson dans la brume et autres merveilles

    La compilation Le Petit hérisson dans la brume et autres merveilles est sortie dans les bacs le 28 février via Malavida après la sortie cinéma ayant eu lieu l’année dernière à la même époque. Regroupant des courts métrages soviétiques de Youri Norstein, Roman Katchanov, Eduard Nazarov et Inessa Kovalevskaya, le disque possède également un court…

  • Nintendo et Illumination annoncent la suite de « Super Mario Bros. – Le Film »

    Nintendo et Illumination annoncent la suite de « Super Mario Bros. – Le Film »

    Hier était la date du Mario Day, et Nintendo en a profité pour revenir sur le succès de Super Mario Bros. – Le Film, un raz-de-marée au box-office qui s’avère garder de plus une excellente longévité sur les plateforme de streaming dans le monde entier. Bien que la chose était prévisible, Shigeru Miyamoto et Chris…