Comme de nombreux artistes, j’ai croisé Stefan Wernik au gré des rencontres qui se font lors du Festival international du film d’animation d’Annecy. Ce fut l’occasion pour lui de me parler de son travail et de garder contact, m’annonçant qu’au mois d’octobre, un nouveau court-métrage d’animation de la part de son studio, Armchair Productions, serait visible en ligne. Titré The Ventriloquist, il est visible ci-dessous et j’ai profité de cette sortie pour interviewer le réalisateur, sur son cadre de travail, ses envies créatives et le fait d’être un travailleur indépendant en Australie.
The Ventriloquist. Une histoire de jalousie, de cœur brisé et d’interprétation en bois.
Comment avez-vous fondé Armchair Productions, et à quelle occasion fut-ce le cas ? Etait-ce un défi de réunir une équipe pour commencer cette nouvelle étape de votre carrière ?
Durant des années, j’avais ma propre entreprise en Angleterre mais lorsque j’ai décidé de déménager en Australie, j’ai voulu rester freelance durant un temps pour me faire des contacts. 5 ans après, j’ai lancé The Magnificent Itch mais mon partenaire et moi avons décidé de continuer chacun de notre côté, et j’ai retitré la compagnie Armchair Productions. Nous sommes resté la même équipe mais nous nous sommes étendus sur le travail pour des séries TV. Cette année nous avons travaillé sur deux séries que j’ai réalisé, l’une avec Infinite Frameworks à Singapour pour un client américain et une autre pour ABC (l’équivalent Australien de la BBC).
C’est toujours compliqué de trouver une équipe qui reste toujours la même et c’est une dynamique basée sur les essais et les erreurs. Nous collaborons avec un certain nombre de freelances et si tout se passe bien, nous essayons de les intégrer à l’équipe. Nous employons aussi un certain nombre de stagiaires afin de leur donner une opportunité de travailler dans le milieu, car je n’oublie pas comme il fut difficile d’y percer. Si les stagiaires sont bons, ils seront toujours réemployés sur du travail payé après être passé chez nous.
Est-ce difficile de travailler en Australie en tant qu’artiste indépendant, aux commandes d’une petite structure qui réussit ? Quels sont les défis quotidiens auxquels vous vous retrouvez confrontés au sein de ce pays ? N’est-ce pas difficile pour les indépendants quel que soit le pays ? L’Australie possède ses avantages et ses inconvénients. Du bon côté, le fait que c’est un pays anglophone nous rapatrie du travail cinématographique et télévisuel venant d’Angleterre et des Etats-Unis. Des longs-métrages d’animation à gros budget sont fait ici, comme La Grande Aventure Lego et ses spin offs, Happy Feet et le nouveau long-métrage Pierre Lapin.
Ce flux permet à un grand nombre d’animateurs de rester salariés. Ça permet également de faire ruisseler du travail vers des studios plus indépendants, ce qui nous permet d’investir le secteur anglais et américain des publicités. Toutefois. ceci n’arrive qu’à grande échelle que lorsque que le taux de change est favorable.
Dans le monde indépendant, notre faible nombre ne se traduit pas le fait qu’il n’y a pas tant de subsides que ça pour les domaines artistiques, mais aussi qu’il y a moins de personnes qui cherchent à y accéder. Cette faible proportion affecte les financements pour les chaînes de TV et les autres médias ont moins d’argent pour les produits à concevoir. Si vous voulez que votre série soit réalisée, il est très rare qu’elle soit entièrement financée en Australie.
Les budgets publicitaires (qui est la méthode la plus commune pour les studios de financer leurs projets de courts-métrages) sont généralement plus réduit en Australie qu’en Europe. Nous sommes donc très dépendant du travail qui est disponible dans d’autres territoires. Nous avons un agent aux Etats-Unis, ce qui nous aide définitivement là-bas. Nous travaillons également avec un certain nombre d’agences gouvernementales comme Cancer Australia, Sydney Trains (Sydney Trains Don’t miss your train) et l’agence de protection de l’environnement (EPA Air Pollution). Ces travaux sont satisfaisants car ils nous laissent travailler sur des messages sociétaux importants tout en approchant des styles intéressants.
The Ventriloquist est le dernier court-métrage d’Armchair Productions qui, il me semble, est versé dans la transmission de messages sociétaux. Ici, la célébrité et le déni associé à la fausse idée de l’artiste qui serait le seul à créer sa propre célébrité. Comment cette idée est-elle née ? Quelle en fut l’impulsion initiale ?
L’idée était de créer un court-métrage par an pour deux raisons; parce qu’on adore l’animation et parce que nous voulons que nos stagiaires travaillent sur de vrais projets visibles tout en faisant en sorte de ne pas les léser.
J’ai commandé à des scénaristes, avec lesquels je travaille sur des séries, des idées de films et c’est celle que j’ai préféré. Je leur avait posé des contraintes, comme l’utilisation d’un ou deux décors et pas plus de trois personnages car j’ai appris d’expérience que ce type de courts-métrages nécessite une plus petite envergure, sous peine de n’être jamais achevés.
J’ai étendu l’idée originale, qui était celle du manager découvrant la poupée sous la douche pour lui donner plus de motivation de se révéler à lui comme celle qui est la ventriloque. J’ai trouvé que ça donnait plus de profondeur au personnage, plus de pathos et comme vous l’avez dit, permet d’examiner l’idée de la célébrité et du travail de l’artiste. Le concept d’auteur m’a toujours intéressé, ce qui explique que cette histoire m’ait attirée au départ.
Comme d’habitude chez Armchair, le visuel est très travaillé et est consistant avec vos précédent films (comme Josh’s story et Isis River). Est-ce complexe de travailler ce genre de style, avec ces textures spécifiques tout en ayant le désir de garder une image simple et lisible ?
La beauté des logiciels de création 3D est qu’ils sont flexibles et peuvent créer n’importe quel look. Pour certains studios, ça les a conduit à poursuivre la voie des images photoréalistes, mais pour nous c’est l’occasion de conférer à cette 3D une apparence aussi peinte que possible. Ce sont les visuels, les peintures de production des longs-métrages plutôt que le résultat final qui nous inspire. Nous voulons que notre travail soit glitché, imparfait et humain, quelque chose où vous pouvez sentir le trait du crayon. Nous aimons mélanger la 3D et la 2D pour concevoir une apparence hybride.
Sur ce projet nous avons été influencés par les illustrations et les dessins de livres pour enfants Le rendu visuel final a subi plusieurs passages sur After Effects pour obtenir ce style qui colle à la rugosité des décors. Pour les mouvements de caméra, nous avons inséré des références aux vieux cartoons produits par Disney comme Le Vieux Moulin et été inspirés par l’esthétique de la caméra multiplane, pionnière et perfectionnée dans ces vieux courts. Pour les logiciels, tout a été modelé dans Blender et animé dans Maya.
Ma première réaction après avoir vu The Ventriloquist fut “je veux en voir plus !” Y a t-il un désir, dans les coulisses, d’aller plus loin au sein de cette histoire ? Le court est-il la première séquence d’un projet plus grand ?
C’est un monde que j’aimerai définitivement étendre : comment la poupée est vivante, d’autres poupées sont-elles aussi vivantes aussi, qu’est-ce qui retient la décomposition de la Ventriloque, la poupée pourra-t-elle un jour se montrer au monde comme elle est ? Je vois le potentiel d’une série pour un public adulte dans la veine de Bojack Horseman. C’est quelque chose que nous explorerons dans l’avenir.
A propos de ça, ma dernière question, la plus évidente et prévisible : Qu’est-ce qui se profile à l’horizon pour Armchair ? Y a t-il des projets dont vous pouvez déjà parler ?
Comme déjà mentionné, j’ai deux séries dont j’ai assumé la réalisation qui sortiront l’année prochaine. la série sur ABC est sur les insectes et comment ceux-ci contribuent à notre écosystème. C’est un excellent mélange de travail sur les personnages, de comédie et de documentaire. II a aussi une part de VR pour lequel je suis très enthousiaste, c’est un outil de narration tout récent avec lequel jouer.
Sinon, nous travaillons habituellement sur une grande part de commandes commerciales basée sur des personnages qui sortiront avant Noël. En plus de ça, nous créons une nouvelle vague d’idée de séries et des rencontres se feront très prochainement sur ces portfolios que nous avons mis sur pieds.
Nous avons aussi toute une série de pastilles animées que nous allons poster sur notre Instagram, sur Facebook et Twitter donc restez connectés pour voir ce qu’il va se passer. Enfin, nous avons commencé notre nouveau projet de court-métrage, ce qui est toujours un moment exaltant, je mettrai en ligne le premier travail visuel du personnage principal dans quelques semaines. Des mois bien pleins nous attendent !
Tous mes remerciements à Stefan Wernik. The ventriloquist a été réalisé par Stefan Wernik, écrit par Jason J. Cohn, animé, composité et riggé par Arthur Collie, designé par Alexander Watson. Les décors et design additionnels sont fait par Deanna Hewitt, la modélisation des personnages est faite par Tristan Lock, l’animation par Jason Cho. Les effets 2D ont été animés par Quentin Cordonnier. Le doublage a été assuré par Natasha Beaumont et Gavin Vance, et la musique par Stephen Frost.