Interview – Kiyotaka Oshiyama, réalisateur de « Look Back »


Superbe cadeau de la part du Festival International du film d’animation d’Annecy que fut la projection de Look Back, adaptation très attendue du manga de Tatsuki Fujimoto, pour la première fois en dehors du Japon. Réalisée par Kiyotaka Oshiyama (le court métrage Shishigari, vu à Annecy en 2019, mais aussi la série Flip Flappers ainsi que l’animation sur de nombreux grand films Ghibli ou The First Slam Dunk) au sein du studio Durian, c’est peu dire qu’impatience était palpable dans la salle pleine à craquer du cinéma Pathé.

Fujino, adolescente surdouée, a une confiance absolue en son talent de mangaka en herbe. Kyômoto, elle, se terre dans sa chambre et pratique sans relâche le même art. Deux jeunes filles d’une même ville de province, qu’une passion fervente pour le dessin va rapprocher et unir par un lien indéfectible…

Distribué en France par Eurozoom, avec une sortie exceptionnelle les 21 et 22 septembre au cinéma, j’ai pu échanger lors du festival avec cet artiste multi casquette de génie (impossible d’oublie l’adorable design de ses cyborg dans l’excellente série Deca-Dence).

Q : Qu’avez-vous initialement ressenti lors de la lecture de Look Back en 2021 ?

Kiyotaka Oshiyama : Il y a à l’égard de ce récit plusieurs manières de l’appréhender. Pour moi l’une des premières façons de le percevoir ça a été vraiment de sentir la force du dessin qui était en jeu dans ce dans le travail de M. Fujimoto. Il y a vraiment quelque chose dans son graphisme, les expressions de ses visages, la manière qu’il a d’utiliser le format de la double page… Étant moi-même dessinateur, j’ai vraiment perçu toute la force de son dessin.

Un autre aspect que je souhaite également évoquer c’est que j’ignore encore aujourd’hui dans quel état d’esprit et pour quelle motivation profonde M. Fujimoto a voulu publier ce récit, mais je crois qu’il y a vraiment quelque chose qui parle à tous celles et ceux qui sont en position de mener un travail de création, il y a quelque chose que l’on peut saisir de manière très immédiate et à savoir que l’on fait ce travail d’une certaine manière pour y trouver une forme de salut pour soi-même en fait et je crois que c’est ce qui est en jeu dans la dans la fin de ce récit quand on voit Fujino qui travaille de dos, qui ne se retourne pas, qui décide effectivement bien d’aller de l’avant.

Je l’ai vraiment perçu comme un appel à se retrousser les manches : il faut y aller, se donner, donner tout ce qu’on a dans ce travail là, je me suis senti pris par un sentiment de responsabilité.

Q : Lorsque vous avez été approché pour ce projet à l’époque via votre studio (le studio Durian), je suppose que le défi pour vous en tant que réalisateur et fondateur de studio co-président de ce même studio d’aborder une œuvre comme celle-ci qui était extrêmement grand, d’autant plus avec en plus l’impact que cette œuvre possède.

Kiyotaka Oshiyama : Quand on m’a proposé ce projet d’adapter Look back en animation, je vous avoue qu’effectivement j’étais profondément admiratif  de l’œuvre originale mais je ressentais en effet aussi le poids qu’allait représenter le défi de l’adapter en animation. 

Je voyais bien toutes les difficultés qui allaient se poser et je me disais par rapport à cette ampleur du défi je me suis dit : « Bon, peut-être serait-il mieux de faire appel à quelqu’un d’autre, un autre studio… ». Vraiment, une partie de moi avait considéré la charge que ça allait représenter comme vraiment trop lourde mais nous avons soumis le projet à la Shūeisha et quand ils ont donné leur accord,  je me suis dit : “Là, je ne peux plus reculer.”

Q : Dans le prolongement de ce qu’on vient de parler, à savoir qu’on est sur une adaptation d’un récit, adapter ce sont toujours de nombreux choix d’autant plus avec une bande dessinée, où chacun se crée son rythme propre à la lecture. Comment avez-vous rythmé vos plans, mis en œuvre cette tâche d’adaptation ?

Kiyotaka Oshiyama : oui il y a une toute une multitude de moyens, de méthodes qui sont possibles. Pour vous donner un exemple assez simple, c’est un récit où il y a très peu de dialogue en donc une approche possible aurait été de se dire que ça peut poser un problème en terme de compréhension. Donc une solution aurait pu être de se dire que l’on va rajouter des dialogues, rendre les choses plus explicites grâce effectivement à des échanges verbaux… Je pense que ça aurait eu pour conséquence de perdre quelque chose d’assez essentiel, de ce qui fait la spécificité de ce récit, son unicité. 

Pour ma part j’ai renoncé à cette solution car je ne voulais pas perdre le caractère propre à ce récit en essayant de le compléter par des répliques, et comme vous le pointez l’une des spécificités par conséquence, ou par contrecoup, du médium animé c’est que le le film ne peut être vu et perçu par les spectateurs qu’au seul rythme que j’ai insufflé moi-même en tant que réalisateur.

Alors essayer d’adapter la bande dessinée telle quelle, sans le moindre ajustement, aurait je pense mené à un résultat assez difficile à comprendre, j’en étais conscient dès qu’on m’a proposé cette idée, qu’il y avait un défi qui consistait à devoir trouver des moyens et des solution formelles  pour rendre le récit plus facile à suivre pour le spectateur, plus… peut-être pas transparent mais en tout cas plus intelligible. 

De ces questions, il y a ensuite toutes sortes de réponses qu’on peut essayer d’explorer par exemple dans le dans le choix des effets de couleur quel travail de la couleur, comment peut-il contribuer à rendre le propos plus plus clair dans l’usage de la musique par exemple, donc les questions que je me suis posé moi en ajoutant parfois aussi des scènes qui étaient absentes de la bande dessiné mais toujours dans l’idée de de rendre justice, de se mettre au service de ce qui fait initialement la beauté de ce récit.

Q : Quelque chose qui m’a tout suite interpellé parce que c’est directement au début du film et on est dans cette mouvance du rythme et de la mise en scène, avec la manière dont vous avez mis en scène le tout premier strip de Fujino .Quand j’ai vu cette manière de mettre en scène le strip avec l’esthétique qui y est associé et avoir après la relecture, case par case,  je me suis dit on est on est sur la bonne voie, c’était pour moi comme un manifeste de ce qui allait se dérouler ensuite. Est-ce que c’est quelque chose que vous avez de suite élaboré, qui est venu d’une impulsion ou issu d’une réflexion plus longue de votre part ? 

Kiyotaka Oshiyama : J’avais effectivement d’emblée la volonté, le projet d’explorer cette forme là au départ parce qu’il s’agit d’un graphisme, d’une forme qui est propre à la bande dessinée et qui rend possible des choses parce qu’elle est sous cette forme. Pour moi cette question se posait de toute façon par rapport à ce projet de savoir comment faire lire au spectateur les différents strips de quatre cases qui apparaissent dans le récit et je voulais au moins une fois prendre l’un d’eux et le traiter en animation de manière complète. 

Selon moi il était clair que si il y a un moment où c’était possible de le faire c’était au tout début. J’ai pris cette décision d’emblée … alors ensuite sur la suite de la question je m’inquiète de peut-être révéler des choses par rapport au récit à des gens qui n’auront pas vu le film, donc je vais tâcher de rester suffisamment vague. 

Ce que je peux dire c’est que Fujino donc qui est en une élève de 4e année de primaire, en CM1 si on veut prendre l’équivalent français, on voit bien dans son travail de bande dessinée, ses petits strips qu’elle publie dans le journal de l’école qu’elle a un talent pour composer des récits de bande dessiné mais qu’elle a pas forcément un talent de dessin déjà arrêté, car ce sont deux choses différentes voilà et donc ça c’est quelque chose qui aussi important de pouvoir faire percevoir ceci au public car c’est un élément décisif qui définit ce personnage. 

Je me suis dit que c’était un motif qu’on pouvait utiliser aussi pour faire comprendre justement la situation psychologique même du personnage donc j’avais besoin de montrer ce graphisme, qui est celui d’une élève de CM1, d’une enfant, et de le montrer tel quel. Vous en dire plus serait peut-être vraiment trop dévoiler des choses qui relèvent des arcanes du récit donc je préfère l’éviter, mais j’espère que ça répond à votre question.

Q: Le film dure une heure. Est-ce une volonté ou est-ce le résultat spécifique auquel vous êtes parvenu à la fin du storyboard, ou bien une coïncidence. Cette durée m’a évoqué les OAV des années 90. 

Kiyotaka Oshiyama : Au départ, lorsqu’il m’a été proposé de travailler sur ce projet, l’idée était qu’il soit destiné au cinéma pour une sortie en salles mais dont la durée qu’ils envisageaient était de l’ordre de quarante et cinquante minutes. Il se disaient que c’était préférable d’être dans cet ordre et de mon côté, par rapport à ma lecture de la bande dessinée, l’impression que j’en avais retiré c’est qu’il y avait plusieurs solutions attenantes à plusieurs manières de l’adapter. 

On pouvait le faire effectivement en quarante minutes en étant vraiment dans une approche plutôt minimaliste, très compacte, mais il me semblait aussi possible d’aller plus loin et d’en faire un long métrage de quatre vingt-dix minutes en accordant davantage de place à la représentation d’un certain nombre de d’évolutions et de changements, en particulier sur le plan émotionnel. 

Vu le montage du projet, j’ai assez vite cessé d’envisager le fait que ça puisse prendre une durée d’une heure trente, mais également de leur côté cette durée entre quarante et cinquante minutes était de toute façon un ordre de grandeur tout à fait provisoire. Ils souhaitaient surtout que le film puisse être présenté en festival. Que le film soit dans une section moyen ou long métrage, l’importance pour la Shūeisha était que l’on soit attentif à la qualité du travail d’adaptation. C’est pour ça qu’ils nous ont dit : “Vous n’avez pas besoin de vous bloquer par défaut sur une durée de métrage, il n’y a pas de nécessité de faire ça.” 

Toutefois il a fallu prendre en compte les conditions matérielles concrètes de cette adaptation, des questions de budget auquel il a fallu s’adapter en tant que studio aussi bien sûr, en termes de coût d’investissement donc en moyen humain et financier d’utilisation des compétences… 

Tout ceci n’était effectivement pas concevable pour nous que le projet puisse se développer au point d’atteindre une durée de quatre vingt-dix minutes. Je me suis donc attelé au projet avec en tête une durée d’une cinquantaine de minutes au moment de finir le storyboard et puis il y a eu quelques petits allongements en cours de route, ce qui fait que le film a atteint sa durée finale d’environ une heure.

Merci à vous pour cet interview.

Tous nos remerciements à Alba Fouché d’Eurozoom pour l’organisation de cet interview et Ilan Nguyên pour la traduction.

 


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