Interview – Marie Paccou : « Faire les flip-books me rappelle mes émotions de jeune lectrice »


Vous aimez passer votre temps libre et vos week-end à lire enroulé dans de gros plaids avec une tasse énorme de thé ou de café ? Votre pile à lire vous jette des regards culpabilisants ? Le travail de Marie Paccou devrait parler à votre amour des livres par sa libre interprétation en pixilation des différents romans et autres œuvres croisant son chemin. J’ai eu l’occasion d’aborder avec elle son rapport à l’objet livre et l’évolution de sa technique au fil des ouvrages. Il était aussi important de parler de son engagement au sein du site collaboratif Femme d’anim. Ses créations sont actuellement en exposition au Tricky Women Festival de Vienne aux côtés de celles de Martina Scarpelli, réalisatrice du sensuel court-métrage Egg.

Marie Paccou

Quel est ton rapport à l’objet livre : Pourquoi le livre ? Comment a-t-il évolué avec ta pratique artistique ? Marie Paccou : J’ai été une très grosse lectrice, enfant, et jusqu’à mon adolescence très tardive. J’en achète régulièrement, c’est l’objet que mes enfants peuvent me réclamer, en étant 100% sûrs que je sors mon porte-monnaie sans discuter. Je ne suis pas bibliophile pour autant, le texte m’intéresse plus que l’objet… enfin c’est peut-être ça que ma pratique change, car depuis que j’ai des clients pour mes flip-books, il faut bien que j’essaie de comprendre comment on peut fétichiser les livres. Et puis je les scrute plus, reliure, couverture etc, parce que c’est ma matière première! Mais j’ai aussi des critères un peu zarbs, comme la « flippabilité » des pages (vade retro Pléiade). Pourquoi le livre? J’allais esquiver la question, quand je me suis souvenue d’un truc, l’importance de l’écrit dans ma famille. Il a fallu 40 ans à ma mère pour m’avouer que c’est par petite annonce qu’elle et mon père se sont connus. Sans ces quelques mots que j’ignore encore, auxquels elle a répondu, je ne serai pas là! Faire les flip-books me rappelle mes émotions de jeune lectrice, effeuiller un livre pour en deviner la durée, se dire « j’en suis au tiers »,  » j’en suis aux trois quarts », pour se motiver. Et même, j’ai parfois ressenti, en finissant mes dessins, un chagrin, proche de celui que je peux avoir en quittant un livre, une fois lus les derniers mots de la dernière page.

Marie Paccou
Certaines pages des flip-books sont plus abstraites…

Comment se fait le choix du livre, est-ce une envie préexistante, le livre qui amène l’envie où un mélange des deux ? Marie Paccou : Je pars de livres de ma bibliothèque, qui est constituée de mes achats et de ceux de mon compagnon. Comme je cherche à obtenir un peu de viralité avec les vidéos, j’ai vite compris que choisir un classique, dont tout le monde a une vague idée, même sans l’avoir lu, était plus porteur. D’où les choix de l’Odyssée, Tristan et Iseut, Gulliver…. il faut aussi que je trouve une idée, un parti-pris visuel, et une trame avec une chute. J’ai à côté de mon bureau une pile de livres de côté pour les passer au flippage, mais je les soupèse encore… Enfin, parfois, je m’achète du nouveau matériel (du chatterton… des feutres… un pochoir…) et j’ai envie de l’essayer, généralement pour une improvisation abstraite. Dans ce cas, je prends quelques minutes pour trouver le titre qui colle à mon projet et je me lance. C’est de cette manière que j’ai recouvert plusieurs livres de psychanalyse et de philosophie. Il arrive aussi que je me moque gentiment du livre.  Certains titres ou couvertures me plaisent parce que je les trouve drôles. LES SOUCOUPES VOLANTES EXISTENT ou La migraine par exemple. Donc la réponse pour résumer, c’est: les deux. Combien de temps a-t-il fallu pour maîtriser cette technique précise de pixilation sur la longueur d’un livre, est-ce plus simple depuis les débuts ? MP : Ce qui m’intéresse avec ce travail, c’est qu’il jette aux orties ce que j’ai appris, puisque bon, j’ai une formation en animation (ENSAD et RCA). Quand on n’a pas de transparence, qu’on ne peut pas jeter de pages… Fini le coup des pose-clés, basta le respect du modèle. Impossible de s’appuyer sur des bons vieux loops pour pisser de la seconde, et tout décor devra être répété 300 ou 400 pages. Évidemment, de mes années de formation et d’expérience, le « savoir-faire » est là tapi, mais ce qui est intéressant c’est de le déconstruire. Une référence qui m’aide beaucoup c’est Robert Breer. Il a dit que l’animation penchait naturellement vers la déformation, et qu’il n’y avait pas de raison de s’esquinter à stabiliser les proportions du modèle comme le faisait l’industrie (Il pensait à Disney). Il me donne la force de me lancer dans chaque page sans crayonné. Quand j’atteins un point de « perfectionnement » je sais qu’il faut que je change d’outil. Parfait c’est pas à faire. Cependant, j’enseigne ma pratique dans des ateliers et je peux quand même donner des conseils: éviter de mettre l’action principale dans la tranche du livre, se méfier de la porosité du papier presque buvard des livres de poche, ne pas s’encombrer d’un décor complexe, etc…

D’autres plus figuratives mais toujours stylisées

As-tu dans l’idée de faire un corpus de livres spécifique pour tenter une métrage plus long comme les Rougon-Macquarts ? Marie Paccou : J’ai commencé une série de livres, c’était une histoire de l’art d’Élie Faure, que mon compagnon m’avait ramené du collège. Mais j’ai abdiqué, je n’y arrivais pas. Pour que je trouve la force de me lancer, il faut que tienne toutes les pages dans la main. Mais je pourrais me lancer dans des livres dodus, et ambitieux car iconiques. Un fan m’a envoyé Le Capital. Vaste projet. Peux-tu nous parler du site participatif Femmes d’anim et de son fonctionnement ?  MP : Femmes d’anim est né de l’impulsion de Florentine Grelier, avec qui j’ai sympathisé sur fousdanim. Certains de mes posts comme rédactrice de news à fousdanim (notamment celui illustré par Suzie Templeton brandissant un oscar, intitulé « on se bouge! » et qui relayait les inégalités comptabilisées par Julie Roy dans la sélection d’Annecy) avaient suscité de vives discussions sur le forum et nous nous sommes trouvées en phase, dans ce brouhaha plutôt houleux. Il est né de plusieurs constats:

  • L’absence de répertoire en France, alors que les USA tiennent, grâce au travail d’Heather Kay Smith, une database très inspirante intitulée http://greatwomenanimators.com
  • Le besoin pour les étudiantes de connaître des parcours dans tous les corps de métiers de l’animation
  • L’utilité de regrouper les ressources sur les inégalités, notamment dans une perspective de recherches

La création du site a été favorisée par la thématique FEMMES du festival d’Annecy en 2015. Nous avons carburé pour ouvrir le site à cette occasion. Florentine et son compagnon ont conçu le design et l’architecture web du site. Nous l’avons fait évoluer, notamment pour nous adapter aux rédactrices et intégrer de nouveaux corps de métier auxquels nous n’avions pas pensé au départ. Le site est ouvert à toute professionnelle de l’animation française, il est gratuit et participatif, après une procédure de vérification de mail, chaque membre peut implémenter sa propre fiche ou ajouter des liens à l’onglet RESSOURCES. Il y a juste quelques impératifs de mise en page à respecter, pour le confort de lecture des utilisateurs et trices. Florentine et moi-même relisons bénévolement les fiches proposées avant publication, et aidons à la rédaction le cas échéant.

Nous pourrions avoir aussi des rédacteurs, certains ont marqué leur envie de rédiger des fiches, mais n’ont pas abouti, sans doute parce que rédiger en concertation avec l’intéressée, prend un peu de temps… Il y a environ 70 fiches. Ce  n’est pas assez, et plusieurs fiches demanderaient des mises à jour, mais on fait de notre mieux sur le temps que la famille et le travail nous laisse… En tout cas, je suis fière de la variété et diversité des parcours représentés sur Femmes d’anim. Après cette riche interview, je vous invite à soutenir Marie Paccou sur son Patreon afin qu’elle poursuive son travail de création autour des livres.

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