Voir des films au Festival International du film d’animation d’Annecy, c’est avoir le privilège de s’entretenir avec les artistes qui les conçoivent. Chose faite ici avec le réalisateur du très efficace Tunnel to Summer, Tomohisa Taguchi, actuellement en salles via Star Invest Films.
Réalisateur de long métrage depuis Persona 3 : The Movie #2 Midsummer Knight’s Dream en 2014, Tomohisa Taguchi a ensuite enchainé avec Kino’s Journey : The Beautiful World : The Animated Series en 2017, Digimon Adventure : Last Evolution Kizuna puis Akudama Drive en 2020. Il a également réalisé, scénarisé, story-boardé et dirigé la dernière saison de Bleach, intitulée Bleach Thousand-Year Blood War, dont la diffusion a commencé en octobre 2022 sur Disney +.
Tunnel to Summer est toutefois une première pour lui puisqu’il tient ici à la fois le rôle de réalisateur et scénariste pour un long métrage, de plus adapté d’un light novel à succès de Mei Hachimoku. Preuve de sa maîtrise, le film et son réalisateur son reparti du Festival International du film d’animation d’Annecy avec le prix Paul Grimault.
En me renseignant préalablement j’ai découvert que le film était adaptation d’un roman. Était-ce un projet qu’on vous a proposé, tout comme la double casquette de scénariste et réalisateur que vous occupez sur Tunnel to Summer ?
Tomohisa Taguchi : Alors, à l’origine c’est la société Pony Canyon qui a contacté le studio Clap, qui à son tour m’a contacté en me proposant d’adapter ce light novel à l’écran. Je ne connaissais pas du tout l’œuvre originale avant qu’on me propose le projet mais quand je l’ai lu, je me suis dit très rapidement qu’en effet ça ferait probablement un bon film d’animation et j’ai donc eu envie de me lancer.
J’ai tenu à écrire le scénario parce que j’avais vraiment envie qu’il y ait une vraie cohérence entre l’écriture
et l’image, c’est-à-dire pouvoir avoir déjà en tête tout l’univers visuel en écrivant l’histoire. Ça me semblait important et donc c’est pour cette raison que j’ai voulu participer dès l’écriture, pour pouvoir déjà construire à ce moment-là ce que j’avais visuellement en tête.
Ce qui m’a interpellé pendant la vision du film c’est qu’il y a un certain nombre de scènes avec une emphase sur les environnements, les décors, par rapport au personnages. Parfois c’est juste c’est juste un morceau de tête avec beaucoup d’espace, de la nature ou le ciel… Comment avez-vous élaboré cette vision par rapport aux personnages lors de l’écriture et comment avez-vous implémenté ça dans votre mise en scène ?
Tomohisa Taguchi : Dès la lecture de l’œuvre originale, qui est assez bavarde et écrite à la première personne, dans laquelle il y a de nombreuses et très longues descriptions de la psychologie des personnages, je me suis dit que je voulais vraiment m’éloigner un peu de cette forme-là, pour éviter de transmettre les sentiments ou les états d’humeur des personnages à travers les dialogues.
Je voulais qu’on puisse imaginer quelque part ce que les personnages ressentaient à travers des éléments visuels extérieurs, qui ne soit pas exprimés, car je pense que parfois les dialogues, certaines répliques qu’il
s’échangent n’exprime pas forcément ce qu’ils ressentent vraiment. J’avais envie que cette intériorité passe en effet par ce que vous évoquez, c’est-à-dire les paysages, et cette idée elle était déjà présente au moment où j’ai écrit le scénario.
Après, forcément, au moment de la mise en forme, lorsque j’ai dessiné le storyboard il a fallu aussi que j’en ajoute d’autres pour apporter plus de cohérence ou pour lier certaines séquences, mais dès le départ en tout cas c’était une envie qui était présente.
Une autre chose qui m’a interpellé dans le film c’est la conception du tunnel en lui-même cette forme triangulaire, quelque chose qui n’est pas si courant, enfin dans les films japonais que j’ai pu voir, soit en prise de vues réelles ou en animation, ce n’est pas une forme que j’ai croisé et ça m’a vraiment interpellé. Comment a été choisie cette forme si spécifique ?
Tomohisa Taguchi : Nous avons fait beaucoup de repérages pour préparer Tunnel to Summer, notamment dans la préfecture de Chiiba qui est dans la région du Kanto, autour de Tokyo où il y a un tunnel ? Peut-être que c’est pas un tunnel, plutôt une grotte, mais en tout cas son entrée est constituée de deux très gros rochers qui sont un peu posé l’un sur l’autre en se chevauchant et qui font un triangle. J’ai trouvé l’image visuellement intéressante et voilà ! C’est dans le film.
L’idée originale vient de là, sachant que ce tunnel dans le light novel est tout de même un peu décrit et imaginé comme une grotte et j’avais cette envie qu’on puisse imaginer qu’il n’a pas été fabriqué par la main de l’homme mais que quelque part, c’est quelque chose existant à l’état naturel, tout en dégageant une sorte de bizarrerie ou d’étrangeté. Donc la forme triangulaire, je trouve, permettait de conférer cette impression.
Quand j’ai vu l’entrée triangulaire j’ai pensé c’est en fait c’est une thématique assez récurrente on va dire récemment dans le cinéma occidental, par rapport à ce qu’on appelle la folk horror, où cette forme est souvent liée au paganisme et aux anciennes religions… Quand j’ai vu cette entrée triangulaire j’ai de suite pensé « Oh non ! », eu cette intuition que ça ne va pas être bon, c’est l’expérience du spectateur qui parle (rires).
J’ai beaucoup aimé le fait que ce soit, et c’est en accord avec le reste du film, une évocation d’un côté fantastique qui est assez léger, un certain nombre d ‘éléments sont symboliques, du moins au début du film et j’ai beaucoup aimé cet aspect là. Lorsqu’on entre dans le tunnel c’est évidemment différent et j’ai été assez interpellé par comment les arbres, ces érables y sont représentés, avec cette couleur qu’on ne retrouve pas ailleurs et un visuel très surprenant.
Tomohisa Taguchi : J’avais envie que ça puisse être un espace quand même qui surpasse un peu l’univers visuel humain, il fallait sortir de quelque chose de trop réaliste. Au départ j’avais imaginé peut-être amener ça vers un côté plus fantasy, mais je voulais pas que ça aille trop loin.
Je sais, par exemple que l’autrice du livre original cite le film Interstellar comme une de ses références pour l’idée de ce décalage temporel se créant entre l’extérieur et l’intérieur du tunnel, amenant cette idée d’une quatrième dimension, et donc quelque part la possibilité d’amener vraiment l’univers visuel du tunnel vers quelque chose de très science fiction ou fantastique.
Mais de mon coté, j’avais envie que ce soit seulement le prolongement de la réalité, c’est-à-dire qu’on s’éloigne pas trop non plus d’un visuel assez réaliste, c’est donc pour ça que, par exemple, l’usage des couleurs avec un peu de fluorescence comme vous le dites permettent de donner un côté un peu étrange.
De la même manière sur le tronc, les branches des arbres on retrouve un aspect de pierres précieuses qui sont incrustées dans l’écorce et ce ne sont pas des éléments qu’on peut trouver ensemble dans la nature et qui font qu’on se dit « Ah mais j’ai peut-être déjà vu ça ? » mais en réalité non. C’était juste pour donner un petit aspect différent tout en ne s’éloignant pas trop du réalisme établi dans le film.
Merci à vous pour ces réponses.
Tous mes remerciements à Léa Le Dimna pour la traduction et Aurélie Lebrun pour l’organisation de cet interview.