Interview OIAF 2020 – Robin McKenna, réalisatrice de « Thanadoula »


Présenté en première mondiale au Ottawa International Animation Film Festival il y a trois jours, Thanadoula de Robin McKenna, co-produit par l’ONF et Gaudete Films, aborde avec tact et finesse l’accompagnement vers la mort et la recherche de pistes spirituelles d’une sœur disparue :

« J’aurais pu être là avec elle… » Deux sœurs unies par un amour indéfectible. Quand Annie disparaît, sa cadette Natalie tente de la retrouver d’une façon peu ordinaire : elle devient thanadoula, accompagnante de personnes en fin de vie. Au fil des respirations lentes et laborieuses de ses patients, Natalie trouve un pont entre la vie et la mort, une voie la reliant enfin à sa sœur.

On plonge très aisément dans le récit de Natalie et la recherche de sa sœur disparue, porté par sa voix et les créations graphique d’Elise Simard et de Sharron Mirsky. On suit à la fois dans une quête de souvenirs, de moments perdus et de réponses sur le chemin parcouru par Annie. Par un travail de superposition d’un authentique témoignage, d’images d’archive et de couleurs vibrantes finement ciselées, on se retrouve emporté dans une émotion mélangée de tristesse et de mélancolie positive, comme si les regrets disparaissaient. Thanadoula m’a évoqué la puissance reconstitutive du long-métrage Shirkers réalisé par Sandi Tan. J’ai eu la chance d’échanger avec Robin McKenna autour de la création de son court-métrage, de son parcours en tant que documentariste et du don de soir. Une très belle rencontre que je vous invite à découvrir avec cette interview. Robin, c’est un court-métrage très généreux et intime qui ne s’appesantit pas malgré son sujet et son témoignage…Robin McKenna : Natalie, la protagoniste du film est devenue une bonne amie, c’est une personne que je tiens beaucoup à cœur. Tu disais que Natalie est devenue une bonne amie, comment as-tu construit la narration pour le court métrage, de façon plus fictionnelle ou avec une approche purement réaliste ?R.MK : Je viens du documentaire, j’ai donc enregistré de longues conversations avec Natalie et à partir de ça, j’ai choisi quelques phrases pour le scénario. Mais c’est sûr, tous les mots venaient d’elle et je suis aussi revenu vers elle pour qu’elle exprime plus particulièrement certaines choses. C’est vrai que ça se situe entre l’écriture et le documentaire. Du coup, tu es partie de ces entrevues et de ton point de vue sur l’histoire de Natalie, est-ce celui-ci qui transparaît grâce à l’animation ? R.MK : Oui, l’animation et le réalisme magique. Aussi, la présence du corbeau comme le messager entre les deux mondes : le monde des esprits et le monde réel. C’était l’idée qui m’a touché au début, le corbeau faisant le passage entre les deux mondes et la sœur qui vivait un peu à la croisée des mondes. C’était un personnage pas totalement ancré dans la vie ordinaire, pas comme tout le monde et c’est cette idée qui m’avait captée, d’être dans cet espace un peu onirique. On a essayé avec l’animation de créer cette atmosphère dans le film. 

Thanadoula - Robin McKenna

Il y a ce côté recréation des souvenirs d’enfance où ils nous apparaissent en rêve, comme lumineux, portés par la nostalgie R.MK : Il y a de très beaux moments dans le film où on a pris des photos d’archives de familles et ces sont de vraies photos et avec le traitement graphique, il y a des couches de lumière et de transparence. On crée un autre effet avec des photos réelles. ça joue entre la réalité, les archives et aussi le rêve. J’ai pu voir dans ton parcours que tu as fait le documentaire Le don (Gift) qui parlait du don comme du don de soi et dans Thanadoula, Natalie donne beaucoup. Est-ce que c’est une thématique qui te travaille depuis longtemps les personnes qui sont dans le don d’elles même sans être visible par tous ?  R.MK : C’est intéressant, je n’avais pas fait ce lien là. Mais effectivement, il y a une beauté dans cette idée de service aux autres. Je pense aussi que dans mon film Le don, ça parle aussi du don intérieur, du don créatif, quand on dit que quelqu’un est doué, ça veut qu’on a des dons qui viennent à nous, qu’on ne contrôle pas complètement et il y a un côté un peu magique avec ça. Je pense aussi que dans beaucoup de mes films, je m’intéresse aussi à l’invisible, le monde des esprits et en documentaire, ce n’est pas évident de parler de ces choses là car normalement, c’est ce qu’on peut capter avec une caméra, ce qu’on peut voir avec l’oeil ordinaire. Alors l’animation apporte une manière d’explorer ce côté invisible. 

Thanadoula - Robin McKenna

Avais-tu déjà été attiré par réaliser en animation avant ce film ou est-ce vraiment venu avec ce projet là ? R.MK : Disons que j’étais fan de l’animation artisanale et d’auteur, je savais qu’il y avait de super artistes qui faisaient des films underground qu’on ne voyait pas vraiment dans le mainstream. C’est vraiment avec ce film-là et en réfléchissant au sujet, j’ai su que ce serait le bon moyen de capter ce que je voulais transmettre. Je ne connaissais vraiment rien au monde l’animation, il y a donc eu au début beaucoup d’apprentissage.Comme je viens du documentaire, c’est travailler avec ce qu’on voit devant nous, ce qui existe déjà, on ne met pas vraiment en scène des choses. En animation, c’est l’autre extrême, on commence avec une page blanche et il faut tout imaginer, tout visionner, chaque détail, chaque vêtement que la personne porte alors au début, j’étais là “Oh my God, il faut réfléchir à tout ça”. C’est beaucoup mais ça donne une grande liberté car tout est possible… Il faut savoir planifier l’animatique, le storyboard, comment les choses vont marcher. On ne peut pas juste embarquer et voir ce qui arrive, il faut vraiment savoir comment on va procéder. Dans le documentaire, on collectionne des moments et des images et on a encore la liberté lors du montage de comment on va créer, alors qu’avec l’animation, c’est un peu l’inverse. J’ai appris que tu avais participé à l’émission Course Destination Monde qu’on connaît très peu en France. Est-ce que cette expérience a cristallisé ton envie de te lancer dans le documentaire ? R.MK : Au début, tu sais ça s’appelait Course autour du monde mais il y avait France, Luxembourg, Belgique et Québec et chaque équipe voyageait avec des grandes bobines de pellicules dans leur sac à dos. (rires) C’était débile mais super populaire à l’époque, dans les années 80, peut-être ! 

Thanadoula - Robin McKenna

J’ai cherché et effectivement, c’est très difficile de trouver des vidéos de l’époque, à part quelques vidéos de génériques et de plateau de l’émission…R.MK : Il faut avouer que mon père vient du documentaire mais plus du côté journaliste. Je comptais pas m’intéresser à ça, j’étais plus dans l’écriture créative, la poésie et le jeu. Puis, j’ai rencontré quelqu’un qui m’avait parlé de l’émission culte de Radio Canada à l’époque où j’étais à Montréal, mais encore uniquement anglophone. J’étais là “mais what” c’est fou ! Et faire des petits films à la fois un peu poème et documentaire créatif et personnel, tu introduisais aussi ton film face caméra. Quand il m’a raconté ça, je me suis dis tout de suite que j’allais le faire. Je me suis dis “faut que je le fasse” et il y a quelque chose qui m’a touché quand je l’ai mis en application. C’est sur qu’après ça, j’étais perdue au moment du documentaire. C’est sur que c’était une vie d’artiste et pas une manière très sécurisante de gagner sa vie. Il y avait un côté compétition avec des juges, parfois des anthropologues dans le jury mais c’était surtout des cinéastes comme Robert Lepage, François Girard qui choisissaient leurs sujets préférés. C’était incroyable la course, ça a créé une génération de cinéaste comme Denis Villeneuve et d’autres grands cinéastes québécois ont fait leur début là-dedans. C’était à la télévision mais on avait une liberté totale, on pouvait expérimenter, c’était super beau. Pour en revenir à Thanadoula, comment as-tu travaillé avec Elise Simard et Sharron Mirsky ? R.MK : Le film a pris cinq ans, c’était un long processus que j’avais commencé avec un autre créateur, Daniel Gies (de e→d films) et on avait commencé par travailler en 3D et aussi en mix média. C’était ma première fois et c’était trop ambitieux et compliqué pour le petit budget que j’avais. Alors, on a développé l’animatique ensemble et là on a arrêté car on manquait d’argent pour le finir.Puis, j’ai commencé à parler à l’ONF et on a commencé à collaborer. La productrice Jelena Popovića suggéré qu’on amène plus le côté documentaire et on a commencé à évoquer le fait de ne pas travailler en 3D. J’avais toujours cette vision d’être entre deux mondes, le flou et cet espace onirique en laissant la 3D de côté, on trouverait une approche plus fidèle à cette idée là. J’ai découvert le cinéma d’Elise au début et j’étais complètement amoureuse, j’ai adoré ce qu’elle fait, c’est tellement original, spécial et délicat. Elle a une approche très artisanale, faite à la main et avec la lumière avec les couches de transparence. J’avais vu ses films et c’était proche de ma vision, de ce que je voulais pour mon film. 

Thanadoula - Robin McKenna

Quand l’ONF a dit oui, j’ai commencé à travaillé avec Jelena qui connaissait Elise, puis elle a amené Elise et Sharon pour faire l’animation. A ce stade là, avec Daniel, on avait créé les décors et beaucoup de textures et on avait cette idée d’apporter plus de documentaire donc on a cherché plus d’images d’archives de familles. J’avais travaillé sur un documentaire à Vancouver sur le Downtowm Eastside, le ghetto où on a pris les images de rues que j’avais fait.On avait alors assez d’éléments pour travailler avec Elise et elle aime travailler avec des éléments trouvés comme ça. On a aussi fait des images avec Natalie elle-même et on faisait de la rotoscopie à partir de celles-ci. On a travaillé les couches et Elise a travaillé les effets de lumière et d’ombre. Elle fait beaucoup de mèches de lumière dans ses films qui apporte de la poésie et de la magie. C’était un mélange de ces techniques qui donne cette atmosphère. As-tu des projets pour le futur ?  R.MK : Je travaille sur un projet de long-métrage que j’ai depuis longtemps sur l’ayahuasca, c’est sur une médecine visionnaire en rapport avec les souvenirs. C’est devenu très à la mode ces derniers temps, en France il doit y avoir beaucoup de groupes qui font des cérémonies avec des chamanes. Le film s’appelle Medicine et s’intéresse aux gens qui ont des problèmes de toxicomanies. Le médecin Gabor Maté est un auteur assez bien connu, un peu rebelle, c’est le protagoniste de ce film là. C’est de cette manière que Natalie m’a raconté l’histoire de sa sœur, car il était son médecin. J’espérais avoir un montage brut avant que j’accouche de mon bébé mais on espère sortir le film l’année prochaine.Après, j’avais un autre projet aux Etats Unis, mais avec le Covid, je n’ai aucune idée de quand ça va être possible et sécurisant de tourner là bas. Il y a un côté documentaire de la vie ordinaire, il faut que les choses retournent à la normalité, je ne sais pas quand… Je pense que c’est le bon moment pour faire de l’animation (rires).


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